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C'est bien le diable si je ne trouve pas dans ce village un bistrot où je pourrai casser la croûte. Jules Romains
 
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 Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré

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Kiki
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MessageSujet: Lettre d’Erich Maria Remarque à Marlene Dietrich   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 Icon_minitimeMar 01 Nov 2016, 19:31

Lettre d’Erich Maria Remarque à Marlene Dietrich



Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 B117



Je suis un tableau sur lequel rien n'est écrit et qui commence avec toi.



Erich Maria Remarque (1898-1970) rencontre Marlene Dietrich (1901-1992) à Venise en 1937. Les premières années de leur relation s’accompagnent d’une correspondance passionnée, dont demeurent surtout les lettres de l’écrivain à l’« ange bleu » du cinéma allemand. Dans cette lettre écrite peu après la Noël 1937, l’élan lyrique prend des accents cosmiques.








Décembre 1937




 
 
Quand je suis rentré auprès des chiens, des tapis, des tableaux, du lac et enfin du soleil, j’ai pensé que je serais très content. Mais l’après-midi s’est obscurci, bien que rien ne se fût passé, et, peu à peu, tout s’est replié en un sentiment de manque misérable auquel je pendais comme à un parachute, et je m’y suis senti étranger, j’étais prêt à le quitter, et je ne voulais rien d’autre que cela : être seul quelque part avec toi, au-delà du temps, au-delà de tous les liens et de toutes les entraves des années, au-delà des pensées et des souvenirs, au-delà de moi-même et de ma vie gâchée et détruite —
Et puis il y a eu ton appel et j’étais seul avec toi — seul par-delà le monde entier, seul avec ta tendre voix — et pourquoi le nier, mes mains tremblaient et, après, j’ai dû regarder plusieurs fois dans la glace : je pensais que tout le monde devait lire sur mon visage et que je devais rayonner de bonheur.
Chérie — je ne sais pas ce que cela donnera, d’ailleurs je ne veux pas le savoir. Je n’arrive pas à imaginer que je puisse un jour aimer quelqu’un d’autre. Je ne veux pas dire, aimer comme je t’aime toi, — non, même aimer d’un petit amour. Il ne me reste plus rien. Tout est auprès de toi. Non seulement l’amour. Mais aussi toute la vie qui tremble derrière mes yeux. Mes mains sont tes mains, mon front est ton front, et toutes mes pensées sont imbibées de toi comme le lin blanc des Coptes, de la pourpre millénaire qui ne pâlit jamais, et de la couleur impériale du safran doré.



Doux arc-en-ciel devant l’orage de ma vie en train de s’éloigner ! Vent, lourd d’humidité et de senteurs de jardins étrangers, doux vent de jeunesse venant de forêts oubliées, vent d’enfant au-dessus des champs durs, craquelés de mon existence, chant d’oiseau au-dessus de terres brûlées, douce flûte de berger parlant de rêves enfuis, toi, mélodie venant d’un temps inimaginablement lointain, que je ne cherchais déjà plus depuis longtemps —
Que tu sois née ! 

Qu’après des millions d’années, la trajectoire de ta vie ait rencontré les rares trajectoires — feux follets — de la mienne ! Ô créature de Noël ! Cadeau, jamais cherché, jamais demandé, parce que jamais cru possible ! Et que tout n’ait pas été détruit ! 

Que mes yeux gardent encore suffisamment de leur ancienne lumière pour te voir et te reconnaître, que mes mains aient été suffisamment sensibles encore pour te saisir et te tenir ! Doux arc-en-ciel avant que viennent la nuit et l’abandon éternel.

Ai-je seulement vécu, avant toi ? 

Pourquoi donc ai-je déchiré et laissé choir ma vie sans y prendre garde ? Toi qui m’étais prédestinée ! Il est bon que je l’aie fait. Je l’ai oubliée avant même d’avoir fini de la vivre. Et, maintenant, c’est comme si toutes ces années tombaient, feuilles sèches, et je suis très vieux et très jeune à la fois, et comme rien n’est resté, rien n’a pu rester, qui m’étais prédestinée !

Orion est placé haut dans le ciel, la neige luit sur les montagnes, le lac bruit et la nuit de nouvelle lune tempête, dehors. Elle tempête et pousse le temps devant elle, le temps qui nous sépare, la sombre montagne de nuages des journées sans toi. 

Des journées longues, vides et pourtant remplies en même temps, tristes et pourtant pleines de bonheur, mouvementées et non plus indifférentes, insipides et sans but — les eaux de la vie remontent de nouveau, les sources coulent et, tâtonnant à travers le sable et l’entrelacs des racines, arrivent à la surface, atteignent la lumière pour monter et se changer en nuage, nuage et pluie et rosée dans le cercle mystique du devenir et de la mort —



Rosée au-dessus des champs de narcisses en mai
Douce terre sombre
Et douce source ruisseau et fleuve —
Et larmes —
Très-aimée — ne mourons jamais —



Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 B212



(Erich Maria Remarque, Marlene Dietrich, Dis-moi que tu m'aimes, Stock, 2002.) - (Source image : Erich Maria Remarque, 23 mars 1939, German Federal Archives / Publicity photo of Marlene Dietrich for the film No Highway in the Sky (1951))
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Kiki
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MessageSujet: Lettre d’André Gorz à sa femme   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 Icon_minitimeMar 01 Nov 2016, 19:43

Lettre d’André Gorz à sa femme



Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 A133



Je ne veux pas assister à ta crémation ; je ne veux pas recevoir un bocal avec tes cendres.




André Gorz (1923 – 2007) est un philosophe français, connu pour être l’un des principaux théoriciens de l’écologie politique après avoir côtoyé l’existentialisme de Sartre. Il est aussi le co-fondateur du Nouvel Observateur, en 1964, sous le pseudonyme de Jean Bosquet, avec Jean Daniel. Gorz avait dit que la Lettre à D., lettre à sa femme atteinte d’une maladie incurable, serait sa dernière œuvre. 


Il n’avait pas menti : les époux se sont donnés la mort peu après la rédaction de cette lettre, pour mettre fin aux souffrances de Doreen. 


DesLettres publie ici seulement un extrait de cette lettre poignante.






21 mars - 6 juin 2006


Je me suis demandé quel était l’inessentiel auquel je devrais renoncer pour me concentrer sur l’essentiel. Je me suis dit que, pour comprendre la portée des bouleversements qui s’annonçaient dans tous les domaines, il fallait plus d’espace et de temps de réflexion que n’en permettait l’exercice à plein temps du métier de journaliste.

 Je n’attendais rien de vraiment novateur de la victoire de la gauche en 1981 et je te l’ai dit après avoir rencontré deux ministres du gouvernement Mauroy au lendemain de leur nomination. 

J’ai été étonné que mon départ du journal, après vingt ans de collaboration, ne fût pénible ni à moi-même ni à d’autres.

Je me souviens d’avoir écrit à E. qu’en fin de compte une seule chose m’était essentielle : être avec toi. Je ne peux m’imaginer continuant à écrire si tu n’es plus. Tu es l’essentiel sans lequel tout le reste, si important qu’il me paraisse tant que tu es là, perd son sens et son importance. Je te l’ai dit dans la dédicace de mon dernier écrit.



 
Vingt-trois ans se sont écoulés depuis que nous sommes partis vivre à la campagne. 

Dans « ta » maison d’abord, qui dégageait une harmonie méditative. Nous ne l’avons goûtée que pendant trois ans. Le chantier d’une centrale nucléaire nous en a chassés. 

Nous avons trouvé une autre maison, très ancienne, fraîche en été, chaude en hiver, avec un grand terrain. Tu aurais pu y être heureuse. Là où il n’y avait qu’un pré tu as créé un jardin de haies et d’arbustes. J’y ai planté deux cents arbres. Pendant quelques années nous avons encore voyagé un peu ; mais les vibrations et secousses des moyens de transport, quels qu’ils soient, te déclenchent des maux de tête et des douleurs dans tout le corps. L’arachnoïdite t’a obligée à abandonner petit à petit la plupart de tes activités favorites.

 Tu réussis à cacher tes souffrances. Nos amis te trouvent « en pleine forme ». Tu n’as cessé de m’encourager à écrire. Au cours des vingt-trois années passées dans notre maison, j’ai publié six livres et des centaines d’articles et entretiens. Nous avons reçu des dizaines de visiteurs venus de tous les continents et j’ai donné des dizaines d’interviews.



Je n’ai sûrement pas été à la hauteur de la résolution prise il y a trente ans : de vivre de plain-pied dans le présent, attentif avant tout à la richesse qu’est notre vie commune. Je revis maintenant les instants où j’ai pris cette résolution avec un sentiment d’urgence. Je n’ai pas d’ouvrage majeur en chantier. Je ne veux plus — selon la formule de Georges Bataille — « remettre l’existence à plus tard ». Je suis attentif à ta présence comme à nos débuts et aimerais te le faire sentir. Tu m’as donné toute ta vie et tout de toi ; j’aimerais pouvoir te donner tout de moi pendant le temps qu’il nous reste.

 
Tu viens juste d’avoir quatre-vingt-deux ans. Tu es toujours belle, gracieuse et désirable.



Cela fait cinquante-huit ans que nous vivons ensemble et je t’aime plus que jamais. Récemment je suis retombé amoureux de toi une nouvelle fois et je porte de nouveau en moi un vide dévorant que ne comble que ton corps serré contre le mien. 

La nuit je vois parfois la silhouette d’un homme, sur une route vide et dans un paysage désert, marche derrière un corbillard. Je suis cet homme. C’est toi que le corbillard emporte. Je ne veux pas assister à ta crémation ; je ne veux pas recevoir un bocal avec tes cendres. J’entends la voix de Kathleen Ferrier qui chante : « Die Welst ist leer, Ich will nicht leben mehr » et je me réveille.
 
Nous aimerions chacun ne pas avoir à survivre à la mort de l’autre. Nous nous sommes souvent dit que si, par impossible, nous avions une seconde vie, nous voudrions la passer ensemble.
 


(André Gorz, Lettre à D., Histoire d'un amour, Gallimard, Folio, 2009.)
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Kiki
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MessageSujet: Lettre de Simone de Beauvoir à Nelson Algren   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 Icon_minitimeLun 07 Nov 2016, 16:46

Lettre de Simone de Beauvoir à Nelson Algren



Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 A110



Vous savez, pour moi l’existence ne va pas de soi.



Si l’histoire d’amour entre Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre est mythique, il ne faudrait pas pour autant oublier qu’elle a aussi entretenu une relation intense avec Nelson Algren, romancier de Chicago.


Pour entretenir cet « amour transatlantique », elle lui écrit de nombreuses lettres, de 1947 à 1964.
Dans celle-ci, Simone de Beauvoir fait le point sur ses amitiés féminines et donne un aperçu de l’atmosphère frénétique de l’après-guerre à Saint-Germain-des-Prés.





3 juillet 1947


Depuis ma dernière lettre, j’ai mené une vie des plus tranquilles : ni caves, ni party, ni vie « intellectuelle ». Un orage somptueux a éclaté, après une journée si brûlante qu’on agonisait — amour, travail, bonheur n’avaient plus de sens. […]

Vous savez, pour moi l’existence ne va pas de soi, bien que j’ai toujours été très heureuse, peut-être parce que je veux tellement être heureuse. J’aime avec passion la vie, j’abomine l’idée de devoir mourir. Je suis terriblement avide, aussi, je veux tout de la vie, être une femme et aussi un homme, avoir beaucoup d’amis et aussi la solitude, travailler énormément, écrire de bons livres, et aussi voyager, m’amuser, être égoïste, et aussi généreuse… Vous voyez, ce n’est pas facile d’avoir tout ce que je veux. Or quand je n’y parviens pas, ça me rend folle de colère.

Bon, après cet orage, j’ai retrouvé mon calme, écrit le papier sur les femmes pour gagner des dollars et la Nouvelle-Orléans avec vous. Mardi je suis revenue à Paris, j’ai vu cette amie juive dont je vous ai dit un mot, autrefois étudiante brillante, mais qui a épousé sans grand amour un aryen, a dû se cacher pendant quatre ans et n’a plus à présent rien de brillant ; elle est malheureuse. Elle m’est très attachée alors que moi très peu. J’ai une autre amie, une Russe [Olga Kosakievitch], qui est tuberculeuse — elle m’est attachée elle aussi. Mais c’est triste à dire, je ne tiens pas vraiment à ces amies — femmes, elles sont trop jeunes, ou trop tordues, je ne sais pas, mais la seule femme que j’apprécie et respecte, c’est la vieille dame. Pour les autres, je représente quelque chose comme une sorte de mère, une sœur aînée, alors que moi je n’ai absolument pas le sentiment qu’elles soient mes filles. Je ne désire aucune fille. Ah j’oubliais ! J’ai bien une sorte de fille, c’est l’autre petite Russe mariée à Los Angeles, avec qui j’ai voyagé cette année. Elle, elle a de l’importance pour moi, je vous en parlerai un autre jour, je ne peux continuer à vous écrire, je suis débordée de travail. […]

Depuis deux jours, il fait chaud, très chaud, pas autant qu’à New York, mais une solide chaleur. Les soirées, les nuits sont un délice. Le charme de Paris tient à sa vie nocturne. Après avoir trimé tout le jour, il suffit de déambuler boulevard Saint-Germain et, sans aucun rendez-vous particulier, on est sûr de tomber sur des amis avec qui passer un bon moment avant de dormir. […]

Les jeunes existentialistes se laissent actuellement pousser la barbe, ainsi que les touristes américains. J’ai croisé une fois le Puma, ce prétentieux aux yeux noirs, plutôt froid, l’idylle est finie. Toutes ces barbes sont d’une laideur horrible ! Quant aux caves « existentialistes », elles connaissent un succès foudroyant. Deux pâtés de maison, voilà tout Saint-Germain-des-Prés, mais à l’intérieur de ce périmètre, trouver à s’asseoir est problématique, dans les bars, les cafés, les clubs, ou même sur le trottoir. À l’extérieur de cet îlot, ténèbres et mort. […]

Vous semblez très loin, mais je vous aime de loin comme de près. Je vous embrasse doucement, mon chéri,


Votre Simone


Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 A210


(Simone de Beauvoir, Lettres à Nelson Algren. Un amour transatlantique (1947-1964), trad. de l'anglais par Sylvie Le Bon de Beauvoir, Gallimard, Folio, 1997.) - (Source image : Flickr.com : Simone de Beauvoir by Irving Penn / Nelson Algren holding copy of his book A Walk on the Wild Side, a World Telegram photo by Walter Albertin, 1956.)
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MessageSujet: Lettre de Maria Casarès à Albert Camus   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 Icon_minitimeLun 21 Nov 2016, 15:25

Lettre de Maria Casarès à Albert Camus



Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 A113





Je peux devenir quelque chose si tu es là.




Maria Casarès (21 novembre 1922 – 22 novembre 1996) fut l’une des plus grandes actrices françaises, figure de proue du cinéma des années 40 (Les enfants du paradis, Orphée) et légendaire tragédienne.


Elle rencontra Albert Camus à l’hôtel Aviatic, au 105 rue de Vaugirard en 1943, alors que l’écrivain faisait également la rencontre de l’équipe de Gallimard et devint son grand amour : 12 années d’amour que seule la mort de l’écrivain brisa.


Témoin de cette relation passionnelle et impossible, cette lettre jamais envoyée à Camus : extraits !




31 juillet – Je me réveille avec un petit mot de toi. Oh la la la ! Un autre mot vient d’arriver. Damnée mécanique. Je me rends compte que je n’aurais pas pu tenir un mois et demi (c’est long !) sans lettres de toi. Non je n’aurais pas pu mon amour, mon chéri, je t’aime fort, fort. […]

Je me sens tout entourée par toi. Alors qu’ai-je à souhaiter d’autre ? Non. Il faut que je dorme.
Dors-toi aussi. Que fais-tu en ce moment ?

Je vais dormir c’est mieux.


Bonsoir. Pense à moi.


[Sans date] Voilà quelques jours déjà que je ne t’ai pas écrit et pourtant je n’ai pas cessé de penser à toi.


Mais pour être transparente et puisque tu ne liras tout cela qu’un jour lointain et à condition que tu me le demandes, je pense pouvoir te dire sans danger de t’apporter la moindre inquiétude ni le plus petit souci.


Ces derniers jours ont été assez pénibles malgré tous les efforts que j’ai faits pour vaincre les doutes et répondre à toutes les questions qui se sont présentées à mon esprit.

J’ai passé des heures dures de mélancolie et de révolte successivement à en perdre haleine. 

J’ai eu beau me dire que ça ne pouvait pas, qu’il ne pouvait en être autrement, qu’après tous les jours de bonheur inespérés et suffocants que tu m’avais donnés il fallait de toute évidence qu’une fois seule et loin de toi, trop brusquement après avoir été avec et en toi d’une façon surprenante, il fallait me suis-je répété avec un entêtement de vraie galicienne, une réaction et une réaction qui devait m’emmener vers des pensées et des sentiments injustes, illogiques et sots.


Je ne devrais donc pas leur porter aucune [sic] attention. Je t’en fiche ! J’avais tout simplement oublié que l’état dans lequel je me trouvais venait justement du fait de me trouver seule, un peu perdue, déséquilibrée (« désépaulée ») et par conséquent en dehors de toute sagesse et tout raisonnement.


À ce vide que ton départ a laissé en moi est venu s’ajouter l’accomplissement de la promesse que je t’avais faite de dire à JS [Jean Servais] clairement où j’en étais.

Tout a été fait ou presque tout. Il connaît mes sentiments vis-à-vis de toi bien qu’il ignore encore notre vie depuis un mois. Je ne lui en parlerai d’ailleurs que si tu l’exiges car je considère qu’il en est étranger et que cela ne regarde en rien.

Tout s’est passé facilement et doucement. Trop bien. Dès qu’il a su il s’est incliné. Mais de quelle façon !

Aussitôt que j’ai pu me retrouver seule une foule d’idées contradictoires me noya. Des idées dont je te parlerai un jour si tu veux les connaître mais que je n’ai pas le courage d’écrire. En tous cas ce que je peux te dire c’est que tout se révélait contre nous sauf une chose : mon amour tout neuf pour toi, une sorte d’avalanche qui est prête à tout broyer, à tout casser par le seul fait qu’elle se sent trop puissante et qu’il faut de la place pour s’y installer et prendre ses aises.

Le bric-à-brac intérieur mêlé aux dernières choses à faire et aux préparations de départ m’ont privé d’un temps précieux dans lequel j’aurais pu te dire que je t’aime. […]

Bonsoir mon chéri, mon amour, serre moi comme je t’aime, je t’en prie.

Mardi 3 août — Deux jours entiers de passés sans t’écrire mais pas une heure, une pensée, une tristesse vague, un plaisir quelconque, une lecture, une promenade, un lever, un coucher qui ne mènent directement à toi. Est-ce que je souffre de ton absence ? Oui. Est-ce que je suis malheureuse ? Non.

Avec une patience dont je ne me serais crue capable, j’attends. J’emploie chaque jour, chaque seconde qui s’écoule à m’approcher de toi. Tout instant fini me comble de joie par le fait qu’il ne se pose plus entre toi et moi. Tout instant à venir m’est doux car il se trouve dans mon chemin vers toi.

Ce n’est pas je t’assure fausse littérature. C’est en moi comme la faim et le soleil. Ce n’est pas non plus romantisme. Je ne suis pas le moins du monde, altérée et toute ma vie de vacances s’écoule dans un calme de corps et d’esprit qui est nouveau pour moi.

C’est tout simplement que je t’aime et que tu sois près ou loin, tu es toujours là partout et que le seul fait que tu existes me rend pleinement heureuse. […]

Ah ! Mon chéri, ne me laisse plus jamais. Maintenant c’est très grave. Je veux me faire, je peux devenir quelque chose si tu es là. Seule je me sens incapable du moindre effort. Et ce sont là les dernières choses que je te dirai sur moi. Mon sort est désormais réglé. […]

31 juillet — […] Je passe mon temps à essayer d’inventer des moyens d’attendre sans t’ennuyer et j’espère de tout mon cœur qu’à chaque fois que j’en trouverai un, même le plus bête, tu comprendras et tu ne m’en voudras pas.

Je t’aime. Je te demande pardon pour toutes ces histoires. Mais rends-toi compte que je suis loin et seule et toute tournée vers toi.

Je t’aime




Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 A221


(Javier Figuero, Maria Casarès, l'étrangère, Fayard, 2005) - (Source image : Image : Unifrance)
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MessageSujet: Lettre de Simone de Beauvoir à Nelson Algren   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 Icon_minitimeVen 09 Déc 2016, 13:10

Lettre de Simone de Beauvoir à Nelson Algren
 
 

Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 A116

 
 
Est-ce que je mérite votre amour puisque je ne vous donne pas ma vie ?
 
 
 
 

Simone de Beauvoir (9 janvier 1908 – 14 avril 1986) a eu une vie sentimentale bien remplie. Si le couple qu’elle forme avec Jean-Paul Sartre est déjà iconique, elle choisit pourtant de se lier à l’écrivain Nelson Algren, rencontré en 1947, pour quelques années. Mais Simone de Beauvoir est résolument parisienne, tandis que Nelson Algren, ce « fils de l’Amérique », ne peut se détacher de Chicago. L’officialisation de leur union n’est pas possible. 
Simone insiste sur ce point dans la lettre suivante. Pour l’auteur du Deuxième Sexe, le mariage est une institution bourgeoise et oppressante. Nelson lui répondra (par lettre) qu’il avait en effet songé à lui demander de l’épouser. Qu’à cela ne tienne : malgré leur rupture, Simone de Beauvoir sera enterrée avec au doigt un anneau que lui avait offert Nelson Algren au lendemain de leur première nuit d’amour.




23 juillet 1947


Bien-aimé à moi, pas de nouvelle lettre depuis les deux de la semaine dernière, alors je les ai relues.



Sachez que je ne blâme pas tellement votre goût du jeu. Si vous avez travaillé toute la journée, pourquoi ne pas jouer ? La seule chose importance, c’est de bien travailler, mais quand on en a fini et qu’on cherche à se détendre, on peut faire ce qu’on veut. Moi je préfère boire un verre, ça ne vaut pas mieux que les cartes, ni plus ni moins. J’ai tendance à un peu trop boire en ce moment parce que vous me manquez, à un point que je n’aurais jamais cru. Nelson chéri, vous êtes le plus gentil des hommes, c’est si gentil de souhaiter arranger tout à la perfection pour mon retour, mais que ça demeure un souhait. Si vous êtes toujours en vie, et m’aimant, que demander de plus ?


Ne faites rien de spécial. À la rigueur si vous réussissez à acheter une auto pour dix dollars, ça serait parfait, mais avec des autocars et des avions, avec seulement des autocars et pas d’avions, avec des steaks et du maïs dans la cuisine, et même seulement du maïs, sans steak, nous serons heureux, n’est-ce pas ? Vous savez que je ne suis pas difficile, je peux vivre de pain et de pommes de terre, d’amour et d’eau fraîche, ne vous inquiétez de rien.


En un sens, oui, c’est vrai, j’ai de l’appréhension. Cet après-midi, j’ai vu le film de Sartre [Les Jeux sont faits], achevé, assez bon, mais pas autant qu’il aurait pu. Tant pis, ce n’est pas le problème. Le problème, c’est que l’histoire qu’il conte m’a troublée. Il s’agit d’un homme et d’une femme qui, après leur mort, se rencontrant et tombent amoureux l’un de l’autre. On leur accorde le privilège de revenir sur terre : s’ils réussissent à métamorphoser cet amour en un véritable sentiment humain et vivant, ils revivront une existence entière ; s’ils échouent, ils mourront définitivement. Ils échouent. C’est émouvant, et ça m’a fait penser à vous et moi.


Nous nous aimons à travers des souvenirs et des espoirs, à travers la distance et des lettres. Parviendrons-nous à faire de cet amour un sentiment humain vivant et heureux ? Il le faut. Je crois que nous réussirons, mais ce ne sera pas facile. Nelson, je vous aime, mais est-ce que je mérite votre amour puisque je ne vous donne pas ma vie ? J’ai essayé de vous expliquer pourquoi je ne veux pas vous la donner. Le comprenez-vous ? N’en concevez-vous pas de ressentiment ? N’en concevrez-vous jamais ? Croirez-vous toujours, malgré ça, que c’est réellement de l’amour que j’ai pour vous ?


Peut-être ne devrais-je pas soulever ces questions, ça me fait mal de les exprimer si brutalement.


Mais ainsi je ne peux fuir, c’est à moi-même que je pose ces questions. Je ne veux pas vous mentir, vous dissimuler quoi que ce soit. Si je suis troublée depuis deux mois, c’est qu’une de ces questions hante mon cœur et me fait souffrir : est-ce juste de donner une part de soi, sans être prête à tout donner ? Puis-je l’aimer et lui dire que je l’aime sans avoir l’intention de lui donner toute ma vie s’il la demande ? Me haïra-t-il un jour ?


Nelson, mon amour, ça me serait plus facile de ne pas soulever ce problème, ça me serait facile puisque vous ne l’avez jamais fait, mais vous disiez si gentiment que nous ne pourrions jamais nous mentir ou nous taire l’un devant l’autre. Je ne supporterais aucune espèce de mauvais sentiment, de déception, de rancune entre nous. Maintenant c’est fait, c’est écrit. […]

Ô chéri, c’est infernal d’être éloignés et incapables de se voir quand on parle de choses si importantes. Sentez-vous que c’est par amour que j’essaie de parler selon la vérité malgré tout, que ça révèle plus d’amour que de dire simplement « Je vous aime » ? Sentez-vous que je veux mériter votre amour aussi fortement que je le désire ?
Lisez ceci d’un cœur aimant, ma tête sur votre épaule.
Peut-être ma lettre vous paraîtra-t-elle puérile d’ailleurs, car ce que je dis vous le savez déjà. Je n’ai pas pu m’empêcher ce soir de l’écrire, notre amour doit être vrai, nous devons réussir nos retrouvailles. Je place mon espoir autant en vous qu’en moi.

Quoi que vous pensiez, embrassez-moi, très fort


Votre Simone
 
Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 A1133


(Simone de Beauvoir, Lettres à Nelson Algren. Un amour transatlantique (1947-1964), trad. de l'anglais par Sylvie Le Bon de Beauvoir, Gallimard, coll. « Folio », 1999.) - (Source image : Simone de Beauvoir, Flick.com / Nelson Algren, Wikimedia Commons ©)
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MessageSujet: Lettre de Victor Hugo à Charles Baudelaire   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 Icon_minitimeLun 19 Déc 2016, 14:25

Lettre de Victor Hugo à Charles Baudelaire



Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 A119

Vos Fleurs du mal rayonnent et éblouissent comme des étoiles.




Charles Baudelaire (9 avril 1821 – 31 août 1867), « Dante d’une époque déchue » selon les termes de Barbey d’Aurevilly, occupe une place prestigieuse parmi les poètes français, signant un chef-d’œuvre qu’il aura bâtie une vie durant et qui n’aura de cesse d’inspirer les générations futures : Les Fleurs du mal. Ce chantre de la modernité a été amené à échanger avec un autre visionnaire, Victor Hugo, qui avait la capacité de reconnaître les génies de son époque. Dans cette lettre, il lui apporte tout son soutien et le félicite pour ses « fleurs maladives », malgré le procès dont Baudelaire est victime au même moment…



30 août 1857


J’ai reçu, Monsieur, votre noble lettre et votre beau livre. L’art est comme l’azur, c’est le champ infini. Vous venez de le prouver. 

Vos Fleurs du mal rayonnent et éblouissent comme des étoiles. Continuez. Je crie bravo de toutes mes forces à votre vigoureux esprit. Permettez-moi de finir ces quelques lignes par une félicitation. Une des rares décorations que le régime actuel peut accorder, vous venez de la recevoir. Ce qu’il appelle sa justice vous a condamné au nom de ce qu’il appelle sa morale. C’est là une couronne de plus.


Je vous serre la main, poète.

Victor Hugo



(Claude et Vincenette Pichois, Études Baudelairiennes IV-V : Lettres à Charles Baudelaire, Neuchâtel, La Baconnière, 1973) - (Source image : Nadar, Portrait de Victor Hugo, circa 1884 / Étienne Carjat, Portrait de Charles Baudelaire, circa 1863 © Creative Commons)
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MessageSujet: Lettre de Paul Eluard à Joé Bousquet   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 Icon_minitimeLun 26 Déc 2016, 07:26

Lettre de Paul Eluard à Joé Bousquet



Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 A1195




Noël ? Je hais Noël, la pire des fêtes.


Les fêtes de Noël n’emportent pas l’enthousiasme de tous : l’allégresse des enfants, les victuailles familiales ou les festivités des retrouvailles ne mettent pas tous les cœurs en joie. 


Une fois n’est pas coutume, c’est au poète Paul Eluard qu’il revient de briser cette allégresse. Iconoclaste, cette figure de proue du surréalisme l’avoue sans ambages à son ami Joé Bousquet : « Je hais toutes les fêtes parce qu’elle m’ont obligé à sourire sans conviction ». 


Un témoignage étonnant et décalé, par l’un des plus grands écrivains du XXè siècle.



20 décembre 1928


Mon cher ami,


Noël ? Je hais Noël, la pire des fêtes, celle qui veut faire croire aux hommes « qu’il y a quelque chose DE MIEUX sur la terre », toute la cochonnerie des divins enfants, des messes de suif, de stuc et de fumier, des congratulations réciproques, des embrassades des poux à sang froid sous le gui. Je hais les marchands de cochon et d’hosties, leur charcuterie, leur mine réjouie. La neige de ce jour-là est un mensonge, la musique des cloches est crasseuse, bonne au cou des vaches. Je hais toutes les fêtes parce qu’elles m’ont obligé à sourire sans conviction, à rire comme un singe, à ne pas croire, à ne pas croire possible la joie constante de ceux que j’aime. Le bonheur leur est une surprise.



Et puis, votre lettre me désole. Comment n’avez-vous pas pu vous procurer les disques que je vous indiquais. N’importe quelle maison un peu moderne de disques de Marseille, de Paris, vous les procureraient [sic] en quelques jours. Et j’y tenais tant. Enfin, dites-moi tout de suite si je dois vous les faire envoyer par des amis ? Si votre gros Dumont s’adresse à ses fournisseurs habituels, il est peu probable qu’on les lui procure. Il y a partout, dans les Cahiers du Sud, N.R.F., Variétés, etc., des annonces de marchands « à la page », comme on dit.

Mais je dois avoir ces jours-ci la visite d’une amie très au courant de ce genre de recherches et qui m’est très dévouée. Elle sera sûrement très heureuse de vous les trouver tous. Et très vite. Sinon, vous allez vous ruiner en achats au petit bonheur. Tous les petits marchands à la Dumont tiennent à se débarrasser de leur stock et laissent en panne, intentionnellement, les nouvelles commandes.


J’ai eu la visite ces jours-ci de Arp et de Max Ernst. Entendu pour votre tableau. Nelli m’a écrit. Il fait un froid solide.


Vous ne me dites pas si vous avez Les Malheurs des Immortels. Chantiers est bien long à paraître. J’en suis fort curieux.

Croyez-moi très affectueusement vôtre,


Paul ELUARD.


[En marge de la première page] :
Pourquoi faut-il que la joie des enfants soit pour ce jour-là et souvent ce jour-là seulement et souvent jamais.


(Paul Eluard, Lettres à Joé Bousquet, Les Editeurs Français Réunis, 1973 ; Image : Paul Eluard, Granger)
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MessageSujet: DE VICTOR HUGO À JULIETTE DROUET   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 Icon_minitimeJeu 12 Jan 2017, 07:43

DE VICTOR HUGO À JULIETTE DROUET


23 650. C’est le nombre de lettres d’amour qu’ont échangées Victor Hugo et son amante Juliette Drouet. Comme toutes les passions amoureuses, cette histoire a été parsemée d’orages, de déchirements, d’érotisme, de courtes et intenses ruptures, de colère et de grande tendresse. Mais comme c’est bientôt la Saint-Valentin, on a choisi un extrait d’une lettre intensément amoureuse.



Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 Drouet-hugo



Nuit du 17 au 18 février 1841 : “T’en souviens-tu, ma bien-aimée ? Notre première nuit, c’était une nuit de carnaval, la nuit du mardis-gras de 1833. On donnait je ne sais dans quel théâtre je ne sais quel bal où nous devions aller tous les deux, et où nous manquâmes tous les deux. (J’interromps ce que j’écris pour prendre un baiser sur ta belle bouche, et puis je continue.) Rien, pas même la mort, j’en suis sûr, n’effacera en moi ce souvenir. 



Toutes les heures de cette nuit-là traversent ma pensée en ce moment l’une après l’autre comme des étoiles qui passent devant l’œil de mon âme. Oui, tu devais aller au bal, et tu n’y allas pas, et tu m’attendis, pauvre ange que tu es de beauté et d’amour. 

Ta petite chambre était pleine d’un adorable silence. Au dehors, nous entendions Paris rire et chanter et les masques passer avec de grands cris. Au milieu de la grande fête générale, nous avions mis à part et caché dans l’ombre notre douce fête à nous. Paris avait la fausse ivresse, nous avions la vraie.”
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MessageSujet: Lettre de Cavanna aux culs-bénits   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 Icon_minitimeMer 25 Jan 2017, 19:23

Lettre de Cavanna aux culs-bénits
  
 
Le vingt-et-unième siècle sera un siècle de persécutions et de bûchers.
 
 
 
  
   Lecteur, avant tout, je te dois un aveu. Le titre de ce livre est un attrape-couillon. Cette « lettre ouverte » ne s’adresse pas aux culs-bénits. […]
 
Les culs-bénits sont imperméables, inoxydables, inexpugnables, murés une fois pour toutes dans ce qu’il est convenu d’appeler leur « foi ». Arguments ou sarcasmes, rien ne les atteint, ils ont rencontré Dieu, il l’ont touché du doigt. Amen. Jetons-les aux lions, ils aiment ça.
 
Ce n’est donc pas à eux, brebis bêlantes ou sombres fanatiques, que je m’adresse ici, mais bien à vous, mes chers mécréants, si dénigrés, si méprisés en cette merdeuse fin de siècle où le groin de l’imbécillité triomphante envahit tout, où la curaille universelle, quelle que soit sa couleur, quels que soient les salamalecs de son rituel, revient en force partout dans le monde. […]
 
Ô vous, les mécréants, les athées, les impies, les libres penseurs, vous les sceptiques sereins qu’écœure l’épaisse ragougnasse de toutes les prêtrailles, vous qui n’avez besoin ni de petit Jésus, ni de père Noël, ni d’Allah au blanc turban, ni de Yahvé au noir sourcil, ni de dalaï-lama si touchant dans son torchon jaune, ni de grotte de Lourdes, ni de messe en rock, vous qui ricanez de l’astrologie crapuleuse comme des sectes « fraternellement » esclavagistes, vous qui savez que le progrès peut exister, qu’il est dans l’usage de notre raison et nulle part ailleurs, vous, mes frères en incroyance fertile, ne soyez pas aussi discrets, aussi timides, aussi résignés!
 
Ne soyez pas là, bras ballants, navrés mais sans ressort, à contempler la hideuse résurrection des monstres du vieux marécage qu’on avait bien cru en train de crever de leur belle mort.
 
Vous qui savez que la question de l’existence d’un dieu et celle de notre raison d’être ici-bas ne sont que les reflets de notre peur de mourir, du refus de notre insignifiance, et ne peuvent susciter que des réponses illusoires, tour à tour consolatrices et terrifiantes,
 
Vous qui n’admettez pas que des gourous tiarés ou enturbannés imposent leurs conceptions délirantes et, dès qu’ils le peuvent, leur intransigeance tyrannique à des foules fanatisées ou résignées,
 
Vous qui voyez la laïcité et donc la démocratie reculer d’année en année, victimes tout autant de l’indifférence des foules que du dynamisme conquérant des culs-bénits […]
 
À l’heure où fleurit l’obscurantisme né de l’insuffisance ou de la timidité de l’école publique, empêtrée dans une conception trop timorée de la laïcité,
 
Sachons au moins nous reconnaître entre nous, ne nous laissons pas submerger, écrivons, « causons dans le poste », éduquons nos gosses, saisissons toutes les occasions de sauver de la bêtise et du conformisme ceux qui peuvent être sauvés ! […]
 
Simplement, en cette veille d’un siècle que les ressasseurs de mots d’auteur pour salons et vernissages se plaisent à prédire « mystique », je m’adresse à vous, incroyants, et surtout à vous, enfants d’incroyants élevés à l’écart de ces mômeries et qui ne soupçonnez pas ce que peuvent être le frisson religieux, la tentation de la réponse automatique à tout, le délicieux abandon du doute inconfortable pour la certitude assénée, et, par-dessus tout, le rassurant conformisme.
Dieu est à la mode. Raison de plus pour le laisser aux abrutis qui la suivent. […]
 
Un climat d’intolérance, de fanatisme, de dictature théocratique s’installe et fait tache d’huile. L’intégrisme musulman a donné le « la », mais d’autres extrémismes religieux piaffent et brûlent de suivre son exemple. Demain, catholiques, orthodoxes et autres variétés chrétiennes instaureront la terreur pieuse partout où ils dominent. Les Juifs en feront autant en Israël.
 
Il suffit pour cela que des groupes ultra-nationalistes, et donc s’appuyant sur les ultra-croyants, accèdent au pouvoir. Ce qui n’est nullement improbable, étant donné l’état de déliquescence accélérée des démocraties. Le vingt-et-unième siècle sera un siècle de persécutions et de bûchers. […]
 
 
 
 
 
 
   Lettre de Jacques Brel
 
 
 
Je vous souhaite d'aimer ce qu'il faut aimer et d'oublier ce qu'il faut oublier.
 
 
1er janvier 1968
 
Le seul fait de rêver est déjà très important. Je vous souhaite des rêves à n’en plus finir et l’envie furieuse d’en réaliser quelques-uns. Je vous souhaite d’aimer ce qu’il faut aimer et d’oublier ce qu’il faut oublier.
 
Je vous souhaite des passions, je vous souhaite des silences. Je vous souhaite des chants d’oiseaux au réveil et des rires d’enfants.
 
Je vous souhaite de respecter les différences des autres, parce que le mérite et la valeur de chacun sont souvent à découvrir. Je vous souhaite de résister à l’enlisement, à l’indifférence et aux vertus négatives de notre époque. Je vous souhaite enfin de ne jamais renoncer à la recherche, à l’aventure, à la vie, à l’amour, car la vie est une magnifique aventure et nul de raisonnable ne doit y renoncer sans livrer une rude bataille.
 
Je vous souhaite surtout d’être vous, fier de l’être et heureux, car le bonheur est notre destin véritable.
 
 
 
 
 
Tu sais peut-être qu'aimer doit s'apprendre, comme tout le reste.
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MessageSujet: Lettre de Paul Celan à René Char sur la mort de Camus   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 Icon_minitimeJeu 26 Jan 2017, 14:24

Lettre de Paul Celan à René Char sur la mort de Camus
 
 
 Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 A1205
 
Point de consolation, point de mots.
 
 
 
Lorsqu’il écrit cette lettre, le poète de langue allemande Paul Celan (1920-1970) vient d’apprendre la nouvelle de la mort brutale d’Albert Camus.
 
En effet, l’auteur de L’Étranger trouve la mort dans un accident de voiture, le 4 janvier 1960, alors qu’il revient d’un séjour en Provence. Triste nouvelle pour le monde des lettres : Michel Gallimard (le neveu et fils spirituel de l’éditeur du même nom) perd également la vie dans cet accident.
 
 
 
 
6 janvier 1960


René Char ! Je voudrais vous dire, en ce moment, qui est celui de votre peine, quelle est ma peine.
Le Temps s’acharne contre ceux qui osent être humains — c’est le temps de l’anti-humain. Vivants, nous sommes morts, nous aussi. Il n’y a pas de ciel de Provence ; il y a la terre, béante, et sans hospitalité ; il n’y a qu’elle. Point de consolation, point de mots. La pensée — c’est une affaire des dents. 
Un mot simple que j’écris : cœur. Un chemin simple : celui-là.
René Char, il y a ce chemin-là, c’est le seul, ne le quittez pas. (Vous l’avez quitté, je vous ai vu le quitter, vous avez su nous faire mal, à la légère, vous nous avez peiné, alors que a peine vous avait ouvert nos cœurs.)
Ai-je le droit de vous dire ceci ? Je ne sais. Je vous le dis. Ajoutez-y un mot ou un silence.
Je vous adresse ces mots — qui sont des mots — après la mort d’Albert Camus.
Soyez vrai, toujours.

Paul Celan
 
(Paul Celan, René Char, Correspondance (1954-1968), éd. Bertrand Badiou, Gallimard, coll. « Blanche », 2015.) - (Source image : photo d'identité du passeport de Paul Celan, 1938, http://www.oliverwieters.de/artikel-73.html, domaine public / René Char, dessin (2010), Wipédia, Creative Commons)





Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 A1206
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MessageSujet: Lettre de Louis Aragon à un destinataire inconnu   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 Icon_minitimeVen 07 Avr 2017, 12:53

Lettre de Louis Aragon à un destinataire inconnu
 
 
 
Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 A141

 
 
Je me moque du monde entier. J'emmerde le succès et la littérature.
 
 
Louis Aragon (3 octobre 1897 – 24 décembre 1982), poète et romancier français, a entamé des études de médecine ; c’est dans ce contexte qu’il se lie à André Breton et Philippe Soupault, deux piliers et fondateurs du mouvement surréaliste
 
 
 
[Sarrebruck, Dimanche 20 avril 1919]

Seconde lettre du même jour


« Es-tu prêt à me suivre ? » écrivais-tu l’autre jour : pose la question à Philippe et je gage qu’il répond oui.
Moi, non. Et quel courage de l’avouer. Va, tu n’en trouveras pas d’autre que moi pour cela. Cependant j’ai confiance en toi, là tout devient tragique.

Ainsi tu avais cru à la défiance. Que, comédien, j’imaginais pour les besoins de la cause ? Mon ami, quand je me livre à toi par toutes mes lettres pieds et poings. Je sais bien que tu peux me tuer. Je voudrais que cela te fût encore plus aisé. Que t’écrire qui me mette plus totalement à ta merci ?

Et sur la peine de mort entendons-nous : il n’en est qu’une que je crains, la mort physique. Encore, à la longue, je m’y ferai. La littéraire, va te faire foutre. Je sais bien que tu peux me ruiner à tous les yeux (pas au point de m’empêcher d’être Marcel Prévost ou Clément Vautel, et si cela me suffisait ?) et puis après ? Je me moque du monde entier. J’emmerde le succès et la littérature.
Il y a un moyen bien plus sûr de te débarrasser de moi, vite je te l’indique : que je sache t’être devenu indifférent, que tu me regardes comme Royère, ou Soupault. Alors je serais vraiment mort d’une façon atroce. Essaye, ténor, si ça te chante.

La mort est un beau fruit doré
que ta main seule peut me donner
avec tout l’art désirable.

Pour la symétrie, ça fera bien, un ami suicidé, le second assassiné.
Il ne te restera plus qu’à étouffer ma légende.
C’est simple. Cet après-midi tout le quartier des casernes sent la lessive : linge sage en famille, et dans la ville haute, j’ai vu aux fenêtres d’une maison basse des rideaux de dentelle jaune.

Ave, Caesar.

Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 A212
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MessageSujet: Paul Edouard lettre à Gala   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 Icon_minitimeVen 14 Avr 2017, 07:40

Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 B154





Tu es pour moi l'incarnation de l'amour, l'incarnation la plus aiguë du désir et du plaisir érotique.
 
 
Paul Éluard (14 décembre 1895 – 18 novembre 1952), poète proche du mouvement dada puis pilier du surréalisme, découvre l’amour à l’aube de sa majorité lorsqu’il rencontre Gala, sa future épouse et mère de leur fille, Cécile. 

S’il tolère d’abord la relation que Gala entretient ouvertement avec Max Ernst, leur inévitable rupture survient en 1928, lorsqu’elle le quitte pour Salvador Dalí. 

Même après la séparation, Éluard envoie des lettres sensuelles à sa muse, dans une correspondance magnifique, où la nostalgie s’efface devant l’amour et le désir.
 
Septembre 1929
 
 
 
J’ai passé deux nuits chez ma mère. Il y avait la nuit dernière une grande bande de lune et je t’ai vue, vraiment toute nue et les jambes écartées et tu étais prise par deux hommes, dans la bouche et dans le sexe. Et tu étais brune et très belle. Et encore maintenant, à ce souvenir, je songe que tu es pour moi l’incarnation de l’amour, l’incarnation la plus aiguë du désir et du plaisir érotique. Tu es toute mon imagination. Et j’imagine, cet après-midi que je suis seul, tout ce que tu peux donner de toi, l’audace de ton corps au service du délire de ton esprit. Et je me branle tout doucement.
Pourquoi n’as-tu pas tiré ces photos nues de toi. Et je voudrais en avoir où tu ferais l’amour. Et je ferai l’amour avec toi devant Nusch qui ne pourra que se branler — et tout ce que tu voudras.
Tu es pour moi une merveilleuse source d’imagination et de liberté. Et je t’adore. […]
JE NE FUME PLUS. C’est assez pénible.
J’ai mon passeport pour la Suisse et l’Angleterre. C’est mieux.









Toute mon affection à Dali. Écris-moi longuement. Je caresse interminablement ton sexe du mien.

 
Paul


 
Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 B155

Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 B218
 


(Paul Éluard, Lettres à Gala. 1924-1948, Gallimard, « Blanche », 1984.) - (Source image : © Wikimédia Commons)
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MessageSujet: Lettre de Simone de Beauvoir à Nelson Algren    Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 Icon_minitimeMar 18 Avr 2017, 21:01

Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 A121






Lettre de Simone de Beauvoir à Nelson Algren
 
 
   Je pleure parce que je ne pleure pas dans vos bras.
 
 
La passion de Simone de Beauvoir (9 janvier 1908 – 14 avril 1986) pour Nelson Algren a du être « transatlantique ». Car le romancier et la femme de lettres ne se voyaient que rarement, et toujours dans l’urgence. 


Alors c’est par lettres que leur amour s’écrit au fil des années, entre les terrasses de Saint-Germain-des-Prés et les bas-fonds de Chicago. Dans cette lettre envoyée après un séjour aux États-Unis, Simone de Beauvoir semble plus amoureuse que jamais, et presque midinette malgré ses quarante ans. 


Quant à la « femme très laide » qu’elle évoque et dont elle peint le désespoir, il s’agit de Violette Leduc.
 
 
 

4 juin 1947


Mon mari bien-aimé.



J’ai été si contente, en descendant, de trouver votre lettre, votre si gentille lettre. C’était comme d’entendre votre chère voix taquine, de voir votre chaud sourire, vous étiez près de moi et nous causions gaiement. 
Ça devient un vrai plaisir de correspondre quand les réponses arrivent vite, une conversation devient possible. 
Vous ne me semblez pas loin en cet instant, je sens que vous m’aimez aussi bien que si vous me regardiez, et je sens que vous sentez que je vous aime. Mon chéri, vous ne savez pas à quel point ça me rend heureuse, je ne savais pas moi-même quel bonheur vous pouviez me donner. Toute la journée a été ensoleillée, radieuse, merveilleuse, par la grâce de cette douce lettre qui m’est allée au cœur. Je suis jalouse que vous écriviez des lettres pareilles, ce n’est pas juste ; moi je ne peux exprimer ce que je voudrais en une langue étrangère, vous, vous pouvez faire le spirituel ; bien décrire les choses, bien raconter des histoires. 
Je ne peux manier qu’un mauvais anglais enfantin, quoique n’étant pas stupide, vous savez. Vous allez vous croire plus malin, plus intéressant et, devant ma gaucherie, concevoir un mépris hautain…
LE SOIR

Mon chéri, il est minuit ; quelle heure cela donne-t-il à Chicago ? L’heure du dîner, je crois : que faites-vous-en ce moment ? 
Mangez-vous un plat d’os ? Je suis dans ma chambre, qui est vraiment bien pouilleuse, j’aurais honte de vous la montrer. Les murs, ça va, ils sont roses, rose pâte dentifrice, mais le plafond, d’une telle saleté, la pièce, si minable, sans rien de confortable ni de joli, auraient besoin d’un homme de ménage compétent qui leur donnerait une « touche féminine » attrayante. 
Malgré tout, j’y suis attachée, à cette chambre pouilleuse où j’ai vécu toute la guerre, y cuisant des nouilles et des patates, et je ne peux m’en arracher, ce qui serait la seule conduite sensée.
Je ne me sens pas un grain de bon sens ce soir, je me sens malheureuse, laissez-moi pleurer un peu. 
Ce serait exquis de pleurer dans vos bras ; je pleure parce que je ne pleure pas dans vos bras, ça n’a pas de bon sens, puisque si j’étais dans vos bras, je ne pleurerais pas. C’est idiot d’écrire des lettres d’amour, l’amour ne peut se dire par lettres, mais que faire quand cet affreux océan s’étend entre vous et l’homme que vous aimez ? 
Que pourrais-je vous envoyer ? 
Les fleurs se fanent, les baisers, les larmes ne s’envoient pas. Seulement les mots, mais je m’exprime mal dans les mots anglais. Vous pouvez être fier, vous me faites pleurer à travers l’Atlantique ! Je suis trop fatiguée et vous me manquez trop. Vous savez, ce retour est très dur, très difficile à vivre. Il y a quelque chose de si triste en France, quoique cette tristesse me plaise.
 
Et puis en Amérique, j’étais en vacances, je n’exigeais rien de moi, ici j’ai à faire, mais je ne sais pas précisément quoi ni si j’en suis capable. J’ai eu une étrange soirée, j’ai beaucoup bu pour a supporter, et je demeure troublée. 
Je vous ai parlé de cette femme très laide, amoureuse de moi, je me rappelle quand : sur les lits jumeaux à New York, nous parlions des femmes, je voyais votre cher visage, j’étais heureuse. C’est avec elle que j’ai dîné. Il y a quatre jours je l’avais rencontrée, elle m’espionnait (elle me l’a avoué) et elle est entrée dans le café où j’étais installée, tremblant de tous ses os ; je lui avais promis un dîner. 
Elle m’a apporté le manuscrit d’un journal où elle relate sans la moindre réserve son amour pour moi — remarquable, c’est un grand écrivain, elle sent profondément les choses et les fait admirablement sentir. 
Lire ce journal constitue une expérience assez bouleversante, d’autant plus qu’il s’agit de moi. J’ai une sorte d’admiration pour elle, et beaucoup de sympathie, mais je ne la vois qu’à peu près une fois par mois, quand je suis à Paris, je ne suis pas sérieusement attachée à elle, et elle le sait. Ce qui est troublant, c’est que nous pouvons parler très librement de son amour pour moi et en discuter comme s’il s’agissait d’une maladie.
 
Toutefois vous vous doutez qu’une soirée avec elle n’est pas une sinécure. Elle m’invite toujours dans un des meilleurs restaurants de Paris, où elle tient à commander du champagne et des plats onéreux. Je parle tant et plus, je raconte des histoires, j’essaie d’être gaie et naturelle. Elle, elle boit comme un trou. Après, nous allons dans quelque bar et là, elle devient tragique, ça me met mal à l’aise, alors je lui dis au revoir. Elle s’en va pleurer, je le sais, se taper la tête contre les murs et ruminer des idées de suicide. Elle refuse d’avoir un seul ami en dehors de moi, vit seule du matin au soir et me voit, moi, six fois par an. Je déteste l’abandonner dans les rues, seule, désespérée, et rêvant de mort, mais que puis-je faire ? Trop d’amabilité serait pire que tout. De toute façon je ne pourrai pas l’embrasser, et là est le problème. 
Que puis-je faire ?
Ce matin aux Temps modernes j’ai ramassé un tas de manuscrits que j’ai examinés dans la journée. Parmi eux il y avait un document étonnant : la vie d’une prostituée racontée par elle-même. Mon Dieu ! quand on pense que c’est ainsi que le monde lui est apparu depuis qu’elle vit sa seule et unique vie, et qu’elle mourra sans connaître autre chose ! 
C’est terrifiant ! Son style est d’un naturel, d’une crudité tels qu’une publication est presque impossible. Voilà sur quoi on devrait pleurer plutôt que sur ses propres petits tourments. 
En plus, elle trouve moyen d’être drôle !
Mon bien-aimé, je vais me coucher. Ça m’a réconforté de vous écrire. Ça me réconforte de savoir que vous êtes vivant, que vous m’attendez, que le bonheur, l’amour reviendront. Vous m’avez dit une fois que j’avais plus d’importance pour vous que vous pour moi, je ne crois plus que ce soit juste. 

Vous me manquez, je vous aime, je suis votre femme comme vous êtes mon mari. Je vais dormir dans vos bras, mon bien-aimé.

Votre Simone

Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 A232

 
 
(Simone de Beauvoir, Lettres à Nelson Algren. Un amour transatlantique (1947-1964), trad. de l'anglais par Sylvie Le Bon de Beauvoir, Gallimard, coll. « Blanche », 1997.) - (Source image : Simone de Beauvoir, Flick.com / Nelson Algren, Wikimedia Commons ©)
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MessageSujet: Lettre de Consuelo de Saint-Exupéry à Antoine de Saint-Exupéry   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 Icon_minitimeJeu 20 Avr 2017, 07:41

Lettre de Consuelo à Antoine de Saint-Exupéry



Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 Consue10





Vous êtes éternel, mon enfant, mon mari. Je vous porte en moi comme le Petit Prince.
 
 
 
 
Consuelo, née Suncín-Sandoval, est une artiste et peintre salvadorienne. Elle rencontre Antoine de Saint-Exupéry en 1930 à Paris. C’est le coup de foudre. Ils se marient dès l’année suivante. Mais Saint-Exupéry est engagé dans l’aéropostale, expérience relatée dans Vol de Nuit, et doit très souvent s’absenter de leur domicile new-yorkais.
 
Alors Consuelo lui écrit, nuit et jour, pour que son aviateur de mari la lise une fois de retour sur la terre ferme. Compagne attentive de l’écrivain, éloignée par les kilomètres mais non par le cœur, elle comble dans l’écriture la distance qui s’instaure de fait dans le couple. La lettre suivante est d’autant plus touchante que l’on connaît le dénouement de l’histoire : l’écrivain-aviateur est porté disparu en Méditerranée à l’été 1944. Sa mort n’empêchera pas Consuelo de continuer à écrire ses lettres passionnées.
 
 
 
 1946

 Paris

 
Tu sais, je vais t’écrire, encore et encore. J’avais appelé à New York mes lettres, « lettres du dimanche », parce que j’avais commencé un dimanche à t’écrire après la messe. Elles étaient toutes prêtes pour toi au cas où un de tes amis militaires serait passé me voir et te les aurait transmises par l’underground… 
Je n’avais plus de larmes, mon amour, il avait fallu que je me batte pour trouver un toit où m’abriter et pour abriter aussi Annibal, votre bouledogue mastiff que vous aviez tant aimé à New York. 
Quand j’ai quitté l’appartement de Greta Garbo, les murs blancs étaient maculés de taches de bulles de savon sur lesquelles Annibal s’élançait pour les écraser. Je vous avais demandé, vous en souvenez-nous, pourquoi vous lui aviez appris à se jeter ainsi sur les bulles de savon. Vous m’avez dit : « J’attendais votre question, Consuelo. C’st parce que, voyez-vous, les chiens ont très peu de mémoire et quand je partirai, si vous ne pouvez pas le garder, vous le confierez à une de nos amis à la campagne.
 Je pense à Madame E. qui a promis de le garder si nous en étions encombrés. Alors quand je reviendrai et si vous le lui avez donné, j’irai reprendre mon chien, et s’il ne me reconnaît pas, je ne le battrai pas, je lui ferai des bulles de savon, et il saura que c’est son maître qui est de retour. »

Je suis seule maintenant, mon Tonio. Vous n’êtes pas revenu. Mais vous êtes en moi, éternel, mon enfant, mon mari, je vous porte en moi, comme le Petit Prince, nous sommes intouchables. Les vrais intouchables ce sont ceux qui, comme nous, sont dans la lumière, dans la pureté de la création.
 Je lis et je relis toujours votre dernière lettre. Cela m’a émue que vous ayez enfin compris la petite Consuelo, « la plume d’or » comme vous l’appeliez souvent, la Pimprenelle de charme, pimprenelle, comme cette petite fleur que j’ai cueillie chez nos amis Werth, à Saint-Amour dans leur propriété de campagne. Je pense aussi à eux, aux Werth. À leur extrême gentillesse quand je vous ai prié de ne pas me dédier Le Petit Prince mais de le dédier à notre ami juif, Léon Werth, qui nous avait abrités à la campagne pendant nos querelles d’amoureux. Et nous étions si heureux dans sa maison. 
Hélas, ce bonheur fut si court. À qui la faute ? Mon chéri, je suis heureuse que vous ayez su combien je vous ai aimé, heureuse que vous ayez compris que je vous ai donné toute ma jeunesse, toute ma vie jusqu’à l’éternité.

Je suis heureuse d’avoir éclairé, ne fût-ce que de ma misérable étoile, votre vie. Tu étais si [illisible] avant de partir. Je ne savais plus comment te distraire, et je te proposais d’aller au parc pour voir les animaux, on allait souvent voir les tigres, les chimpanzés, tu leur donnais à manger dans tes mains, j’avais les poches pleines de cacahuètes pour que tu en distribues à tous ceux qui t’entouraient et j’arrivais quand même à t’arracher un sourire.
Toute la journée tu avais une brume sur toi, qui assombrissait ton visage, alors tu prenais de grands ciseaux et tu faisais de petits avions en papier. Ces petits avions volaient et comme tu faisais souvent cela, un jour, un policier est venu à la maison pour nous demander de ne plus continuer à salir les rues de New York. Tu as souri mais je voyais bien à ton expression que tu n’étais pas du tout heureux.
 Tu ne le serais, disais-tu, que quand on te donnerait la permission de rejoindre ton escadrille, le groupe 2/33, pour aller te battre, pour qu’on te tire dessus. Il fallait prendre des photographies, tout le monde le sait, avec des avions qui puissent voler le plus bas possible. On ne voulait pas que tu voles mais tu as tellement insisté que tu as eu gain de cause.
Je ne me plains pas, Papou, malgré ma solitude, malgré mon veuvage, parce que je sais que tu es parti heureux, comme tu me l’as dit : « Il faut qu’on me tire dessus, que je me sente lavé, que je me sente propre dans cette drôle de guerre. »

Je ne regrette rien de toute cette histoire passée, et surtout pas de t’avoir rejoint à New York. D’avoir répondu à ton dernier rappel. […] Je me souviens de ce que me disait la femme d’André Maurois, à New York, et elle avait raison : « Quand on épouse un écrivain, on entre dans les ordres, dans un ordre qui n’a pas de nom et on doit en inventer la règle, on doit tout reconstruire sans que cela ne se voie, comme une petite araignée fait sa toile et recommence, quand on la balaie d’un coup de brosse. Et elle recommence, oui, sa toile. C’est cela, la vie d’une femme d’écrivain. »

Je parle et je parle, mais je te parle parce que tu aimais tant cela. Tu me disais toujours : « Raconte-moi des histoires, petite Consuelo, parfois quand je suis perdu parmi les étoiles, ou quand je ne sais pas si c’est la polaire ou une lumière sur la Terre qui me fait des signaux, je me dis que c’est ma petite Consuelo qui m’appelle et je t’assure que je te verrai. Je me dirige où tu me dis d’aller. Et tes histoires me guident. »

Je me souviens, mon Papou, oui, de toutes ces douces paroles que tu me disais. Tonio, je ne suis pas seule, je ne crois pas que vous soyez parti. Je sens tellement votre présence, votre regard posé sur moi à l’infini. Je ne ferai plus un mouvement qui ne vous déplaise et qui ne nous éloigne, même à présent que vous êtes parti. C’est fini, nos grandes querelles d’amoureux. 
J’ai tout oublié, vos vacances, vos absences, mes attentes. Il fallait que cela se passe, que tous ces moments soient traversés. La tempête était dans mon cœur mais il suffisait que vous me passiez vos mains d’archange sur le front et que vous me disiez ces mots qui sont pour moi sacrés, d’amour, de tendresse, de fidélité, et tout vous était pardonné.

Votre désir était le plus fort, plus fort même que l’amour que vous portiez à votre petite Consuelo. Vous deviez participer avec les vôtres à tout ce qui était enfermé dans votre patrie, partager leur misère, leur faim, leur humiliation de vaincus. Je l’ai compris très vite, ce désir-là. Celui qui vous tenait tant à cœur de partager la rigueur infligée à vos amis. Vous vouliez vous laver dans cette rivière de balles, avoir un contact de chair avec cette guerre. Je l’ai su, oui, depuis mon arrivée à New York, que vous alliez partir.
 
 

Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 Consue10
 
(Consuelo de Saint-Exupéry, Lettres du dimanche, Paris, Plon, 2001.)
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MessageSujet: Lettre de rupture d’Alex dans Mauvais Sang   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 Icon_minitimeLun 24 Avr 2017, 08:31

Lettre de rupture d’Alex dans Mauvais Sang


Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 A143



 
 
C'est comme un crime, je sais. Je suis le tueur, je suis le tueur.
 
 
Mauvais Sang, est un film réalisé par Leos Carax en1986, mettant en scène Juliette Binoche et Denis Lavant. Alex, le personnage principal, après la mort de son père, souhaite s’envoler vers de nouveaux horizons, et se voit contraint de quitter Lise
 
 
 
Lise, ma petite Lise, je pars. D’abord à la mer et puis on verra. Parce qu’il y a des moments où rien ne peut être changé sans que tout change. Des moments où rien ne peut être dénoué de nous sans quoi tout est dénoué. C’est comme un crime, je sais. Je suis le tueur, je suis le tueur. T’es mon arme encore tiède abandonnée.
Non, oubliée sur le lieu du crime.
J’espère surtout que mes empreintes sur toi s’effaceront. Je sais que ta jeunesse préservera ton étonnement renouvelé de pas comprendre, et c’est bien. Je prends le large. Lise, compte pas sur le temps qui passe. Bouge vite, vite. Fuis-moi à toute vitesse. Couche avec des garçons et des hommes. Je me souviens du tout premier dessin que tu m’avais envoyé, un des plus beaux.
Avec cette phrase dessous : « Quand une fille écarte les jambes, ce ne sont que des secrets qui s’envolent comme des papillons ».
Mais sois prudente, pas d’amour sans préservatif. Écoute-moi Lise, je pourrais pas te revoir à nouveau, ni te toucher tant que la vie n’aura pas effacé mes empreintes sur toi.
Oublie. Oublie-moi. Sois admirable. 
Je t’embrasse Lise. J
e t’assure que je t’embrasse, pour toujours et à jamais.
Alex.


P.-S. : Je joins clés et papiers de la moto. Elle est à toi maintenant.
 
 
Mauvais Sang ) - (Source image : © Tamasa Distribution)
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MessageSujet: Lettre de George Sand à Marie Dorval    Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 Icon_minitimeJeu 27 Avr 2017, 13:36

Lettre de George Sand à Marie Dorval



Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 A144



 
 
 
Au théâtre ou dans votre lit, il faudra que j'aille vous embrasser, madame.
 
 
 
George Sand et Marie Dorval comptent parmi les personnalités féminines les plus importantes du XIXe siècle littéraire. L’une, écrivain reconnue, se grime en homme et terrorise ses confrères par sa beauté et sa plume incorruptible. L’autre, muse d’Alfred de Vigny, brille sur les planches du Théâtre-Français.
 
Son jeu de scène subjugue la gent masculine, mais aussi George Sand, qui lui envoie une lettre admirative en janvier 1833, après l’une de ses représentations. 
C’est le début d’une amitié intense et… jalousée.

Gustave Planche recommande à Sand de se méfier de possibles attirances lesbiennes de la part de Dorval. Et Alfred de Vigny conseille à Dorval de garder elle aussi ses distances.
L’on raconte que Dorval elle-même se méfiait d’une possible connivence entre Vigny et Sand !
Toutefois, malgré la profondeur des déclarations que s’adressent les deux femmes, le caractère amoureux ou sexuel de leur relation n’a pas été prouvé.
 
 
 



George Sand à Marie Dorval
[18 mars 1833]
Je ne peux vous voir aujourd’hui, ma chérie. Je n’ai pas tant de bonheur. Lundi, matin ou soir, au théâtre ou dans votre lit, il faudra que j’aille vous embrasser, madame, ou que je fasse quelque folie.
Je travaille comme un forçat, ce sera ma récompense.
Adieu, belle entre toutes.



Marie Dorval à George Sand
[Fin mars 1833]
Vous êtes une méchante et je comptais bien sur le bonheur de vous avoir toute la soirée dans ma loge. Nous aurions vite dîné, à cinq heures, et nous serions parties ensemble. Voyons, tâchez. Je vous ai vue hier toute la soirée, je vous ai regardée sans rencon­trer vos yeux. Vous aviez l’air d’une boudeuse. C’est moi qui viendrai vous voir demain matin. Ce soir, je ne suis pas chez moi. Mon Dieu, quelle envie de causer j’ai donc ! Nous ne pourrons donc jamais nous accrocher ?



George Sand à Marie Dorval
[« Dimanche soir », fin mars 1833]
Ma petite Marie, voulez-vous, inscrire M. Gustave Planche sur votre liste de bal ? Il demeure rue de La Harpe, n°103.
Décidément Jules [Sandeau] sera des nôtres, mais à l’heure où je vous écris, il est près de vous sans doute — et il est plus heureux que moi.
Adieu. Au milieu de tes grandes fonctions de commissaire, n’oublie pas de m’aimer un peu.
 
 

(Correspondance de George Sand. Tome II (1832 - juin 1835), éd. G. Lubin, Paris, Garnier Frères, 1966.) - (Source image : George Sand par Auguste Charpentier (1838) coll. Musée de la vie romantique, Paris / Lithographie de Marie Dorval par Paul Delaroche © domaine public)
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MessageSujet: Dernière lettre d’Emile Zola à Alfred Dreyfus   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 Icon_minitimeJeu 13 Juil 2017, 21:47

Dernière lettre d’Emile Zola à Alfred Dreyfus
 
Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 Aa10
 
 
Maintenant, la figure est complète, et d’une grande beauté d’innocence et de souffrance.
 
 
 
 
Emile Zola ( 2 avril 1840 –  29 septembre 1902) consacrera de nombreuses années de sa vie à la défense d’Alfred Dreyfus. Convaincu de l’innocence du capitaine, il publie son fameux article « J’accuse » dans l’Aurore le 13 janvier 1898.


 Il sera condamné pour ça à un an de prison par le ministère de la Guerre, et contraint de s’exiler à Londres, il ne reviendra en France qu’un an plus tard. Cependant, Zola n’assistera pas à la réhabilitation du capitaine Dreyfus, car elle n’aura lieu qu’en 1906, quatre ans après son décès.
 
 
Cher monsieur Dreyfus,

J’achève la lecture de Cinq années de ma vie, et je ne sais rien de plus poignant, de plus éloquent, dans la simplicité et la concision. Je suis de ceux qui vous approuvent beaucoup de ne pas avoir tardé plus longtemps à nous donner ces pages. Il était nécessaire qu’on les connût, elles auraient manqué au dossier qui achève de se faire chaque jour. C’est un peu plus de lumière qu’elles apportent, elles vont font connaître définitivement. Elles dissent quel homme vous êtes et quel martyr vous avez été. Maintenant, la figure est complète, et d’une grande beauté d’innocence et de souffrance.

La victoire de demain est certaine, ces pages l’annoncent encore.
Avec toute mon admiration et mon affection.
 

( Emile Zola, Œuvres complètes, Pléiade )

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MessageSujet: Albert Camus   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 Icon_minitimeDim 17 Sep 2017, 16:34

Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 A119

 
Plus je vieillis et plus je trouve qu'on ne peut vivre qu'avec les êtres qui vous libèrent.
 
 
Albert Camus restera comme une figure singulière dans la culture et l’histoire : immense écrivain, penseur à la fois engagé et en rupture avec son époque et, fait rare, homme d’exception, à la hauteur d’une œuvre lumineuse et nécessaire. Son chemin aura croisé l’aventure d’un autre homme d’exception, René Char, poète sibyllin et résistant.
17 septembre 1957
Cher René,





Je suis en Normandie avec mes enfants, près de Paris en somme, et encore plus près de vous par le cœur. Le temps ne sépare, il n’est lâche que pour les séparés — Sinon, il est fleuve, qui porte, du même mouvement. Nous nous ressemblons beaucoup et je sais qu’il arrive qu’on ait envie de « disparaître », de n’être rien en somme. Mais vous disparaîtriez pendant dix ans que vous retrouveriez en moi la même amitié, aussi jeune qu’il y a des années quand je vous ai découvert en même temps que votre œuvre. Et je ne sais pourquoi, j’ai le sentiment qu’il en est de même pour vous, à mon égard. Quoi qu’il en soit, je voudrais que vous vous sentiez toujours libre et d’une liberté confiante, avec moi.

Plus je vieillis et plus je trouve qu’on ne peut vivre qu’avec les êtres qui vous libèrent, qui vous aiment d’une affection aussi légère à porter que forte à éprouver. La vie d’aujourd’hui est trop dure, trop amère, trop anémiante, pour qu’on subisse encore de nouvelles servitudes, venues de qui on aime. À la fin, on mourrait de chagrin, littéralement. Et il faut que nous vivions, que nous trouvions les mots, l’élan, la réflexion qui fondent une joie, la joie. Mais c’est ainsi que je suis votre ami, j’aime votre bonheur, votre liberté, votre aventure en un mot, et je voudrais être pour vous le compagnon dont on est sûr, toujours.
Je rentre dans une semaine. Je n’ai rien fait pendant cet été, sur lequel je comptais, beaucoup, pourtant. Et cette stérilité, cette insensibilité subite et durable m’affectent beaucoup. Si vous êtes libre à la fin de la semaine prochaine (jeudi ou vendredi, le temps de me retourner) déjeunons ou dînons. Un mot dans ma boîte et ce sera convenu. Je me réjouis du fond du cœur, de vous revoir.



Votre ami




Albert Camus



Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 A1175

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MessageSujet: Lettre de Gustave Flaubert à Louise Colet   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 Icon_minitimeMer 04 Oct 2017, 11:05

Lettre de Gustave Flaubert à Louise Colet
 
 

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Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 A127


 
 
 
Je t'aime avec tout ce qui me reste de cœur, avec les lambeaux que j'en ai gardés.
 
 
 
 
 
En 1846, après le décès de son père, Gustave Flaubert, âgé de 25 ans, met fin à sa vie d’étudiant bohème à Paris pour établir ses quartiers de futur écrivain dans la maison familiale au Croisset, en Normandie. Alors qu’il travaille à la première Éducation Sentimentale, il entretient une relation amoureuse et épistolaire avec la poétesse Louise Colet, qui sera sa grande confidente, et le témoin attentif de ses réflexions sur la littérature. Dans cette lettre, la passion authentique du jeune Flaubert prend des accents romantiques.
 
 
 
 
 
 
Dimanche, 11 heures [et lundi, 21 et 22 août 1853]




[…]       Si vous voulez à la fois chercher le Bonheur et le Beau, vous n’atteindrez ni à l’un ni à l’autre, car le second n’arrive que par le sacrifice. L’Art, comme le Dieu des juifs, se repaît d’holocaustes. Allons ! déchire-toi, flagelle-toi, roule-toi dans la cendre, avilis la matière, crache sur ton corps, arrache ton cœur !
 Tu seras seul, tes pieds saigneront, un dégoût infernal accompagnera tout ton voyage, rien de ce qui fait la joie des autres ne causera la tienne, ce qui est piqûre pour eux sera déchirure pour toi, et tu rouleras, perdu dans l’ouragan, avec cette petite lueur à l’horizon. Mais elle grandira, elle grandira comme un soleil, les rayons d’or t’en couvriront la figure, ils passeront en toi, tu seras éclairée du dedans, tu te sentiras légère et tout esprit, et après chaque saignée la chair pèsera moins. Ne cherchons donc que la tranquillité ; ne demandons à la vie qu’un fauteuil et non des trônes, que de la satisfaction et non de l’ivresse. 

La Passion s’arrange mal de cette longue patience que demande le métier. 
L’Art est assez vaste pour occuper tout un homme. En distraire quelque chose est presque un crime, c’est un vol fait à l’idée, un manque au devoir. Mais on est faible, la chair est molle et le cœur, comme un rameau chargé de pluie, tremble aux secousses du sol. On a des besoins d’air comme un prisonnier, des défaillances infinies vous saisissent, on se sent mourir. La sagesse consiste à jeter par-dessus le bord la plus petite partie possible de la cargaison, pour que le vaisseau flotte à l’aise.

Toi, je t’aime comme je n’ai jamais aimé et comme je n’aimerai pas. Tu es et resteras seule, et sans comparaison avec nulle autre. C’est quelque chose de mélangé et de profond, quelque chose qui me tient par tous les bouts, qui flatte tous mes appétits et caresse toutes mes vanités. Ta réalité y disparaît presque. Pourquoi est-ce que, quand je pense à toi, je te vois souvent avec d’autres costumes que les tiens ? L’idée que tu es ma maîtresse me vient rarement ou, du moins, tu ne te formules pas devant moi par cela. Je contemple (comme si je la voyais) ta figure toute éclairée de joie quand je lis tes vers en t’admirant, alors qu’elle prend une expression radieuse d’idéal, d’orgueil et d’attendrissement. Si je pense à toi, au lit, c’est étendue, un bras replié, toute nue, une boucle plus haute que l’autre et regardant le plafond. Il me semble que tu peux vieillir, enlaidir même et que rien ne te changera. Il y a un pacte entre nous deux, et indépendant de nous. N’ai-je pas fait tout pour te quitter ? N’as-tu pas fait tout pour en aimer d’autres ? Nous sommes revenus l’un à l’autre parce que nous étions faits l’un pour l’autre. Je t’aime avec tout ce qui me reste de cœur, avec les lambeaux que j’en ai gardés. Je voudrais seulement t’aimer davantage afin de te rendre plus heureuse, puisque je te fais souffrir, moi qui voudrais te voir en l’accomplissement de tous tes désirs.



Tu as accusé ces jours-ci les fantômes de Trouville ; mais je t’ai beaucoup écrit depuis que je suis à Trouville, et le plus long retard dont j’ai été coupable a été de six jours (ordinairement je ne t’écris que toutes les semaines). Tu ne t’es donc pas aperçue qu’ici justement j’avais recours à toi, au milieu de la solitude intime qui m’environne ? Tous mes souvenirs de ma jeunesse crient sous mes pas, comme les coquilles de la plage. Chaque lame de la mer que je regarde tomber éveille en moi des retentissements lointains. J’entends gronder les jours passés et se presser comme des flots toute l’interminable série des passions disparues. Je me rappelle les spasmes que j’avais, des tristesses, des convoitises qui sifflaient par rafales, comme le vent dans les cordages, et de larges envies vagues tourbillonnant dans du noir, comme un troupeau de mouettes sauvages dans une nuée orageuse. Et sur qui veux-tu que je me repose si ce n’est sur toi ? Ma pensée, fatiguée de toute cette poussière, se couche ainsi sur ton souvenir, plus mollement que sur un banc de gazon. L’autre jour, en plein soleil et tout seul, j’ai fait six lieues à pied au bord de la mer. Cela m’a demandé tout l’après-midi. Je suis revenu ivre, tant j’avais humé d’odeurs et pris de grand air. J’ai arraché des varechs et ramassé des coquilles, et je me suis couché à plat dos sur le sable et sur l’herbe.
 J’ai croisé les mains sur mes yeux et j’ai regardé les nuages. Je me suis ennuyé, j’ai fumé, j’ai regardé les coquelicots, je me suis endormi cinq minutes sur la dune. Une petite pluie qui tombait m’a réveillé. 
Quelquefois j’entendais un chant d’oiseau coupant par intermittence le bruit de la mer. Quelquefois un ruisselet, filtrant à travers la falaise, mêlait son clapotement doux au grand battement des flots. Je suis rentré comme le soleil couchant dorait les vitres du village. Il était marée basse. Le marteau des charpentiers résonnait sur la carcasse des barques à sec. On sentait le goudron avec l’odeur des huîtres.
 
 
 
http://flaubert.univ-rouen.fr/ ) - (Source image : Nadar, Portrait de Gustave Flaubert, © Wikimedia Commons / Anonyme, Portrait de Louise Colet, XIXe siècle, © Wikimedia Commons )

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MessageSujet: Lettre d’un père à son fils homosexuel   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 Icon_minitimeMer 11 Oct 2017, 13:55

http://www.deslettres.fr/
 
 

Lettre d’un père à son fils homosexuel




Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 Abc10







 
 
 
Je t’aime depuis que tu es né.
 
 
Une lettre bouleversante d’un père à son fils, homosexuel, qui peine à faire son coming out !



2013

Nate,


J’ai entendu ta conversation au téléphone avec Mike la nuit dernière sur tes plans pour faire ton coming out. La seule chose que j’ai besoin que tu planifies, c’est de penser à ramener du jus d’orange et du pain après tes cours. Nous sommes dehors, comme toi maintenant. Je sais que tu es gay depuis que tu as six ans. Je t’aime depuis que tu es né.

Papa.

PS : ta maman et moi pensons que Mike et toi, vous formez un joli couple.


Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 Abc10


 

( http://dailygeekshow.com/lemouvante-lettre-dun-pere-a-son-fils-homosexuel-qui-a-fait-le-tour-du-monde/ ) - (Source image : © Wikimedia Kommons)

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MessageSujet: Lettre d’Oscar Wilde à Lord Alfred Douglas   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 Icon_minitimeLun 16 Oct 2017, 22:22

Lettre d’Oscar Wilde à Lord Alfred Douglas







Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 A112







Votre amour est la lumière de toutes mes heures.
 
 
 
 
Immense écrivain irlandais connu pour son grand roman Le Portrait de Dorian Gray ou sa pièce de théâtre De l’importance d’être constant, Oscar Wilde (16 octobre 1854 – 30 novembre 1900) rencontra l’amour en la personne d’un lord anglais, Alfred Douglas. 


Cette relation avec celui qui était surnommé « Bosie » fit scandale et Wilde fut condamné à deux ans de prison pour « grave immoralité ». Du fond de sa cellule, voici les mots qu’il envoie à son amant.
 
 
 
 
29 avril 1895






Mon enfant chéri,

Ce mot est pour vous assurer de mon immortel, de mon éternel amour pour vous. Aujourd’hui l’on va décider de mon sort. 

Si la prison et le déshonneur doivent être ma destinée, pensez que mon amour pour vous et l’idée, croyance encore plus divine, que vous m’aimez en retour, me soutiendront dans mon malheur et me rendront capable, je l’espère, de supporter ma peine avec plus de patience. Puisque l’espoir, je dirai plutôt la certitude, de vous retrouver un jour est le but et l’encouragement de ma vie actuelle, il me faut à cause de cela continuer à vivre en ce monde.
Le cher… est venu me voir aujourd’hui. 

Je l’ai chargé de plusieurs messages pour vous. Il m’a fait une promesse qui m’a rassuré, à savoir que ma mère ne manquerait jamais de rien. Comme j’ai toujours pourvu à sa subsistance, penser qu’elle pourrait avoir à subir des privations me rendait malheureux. Quant à vous (gracieux enfant au cœur de Christ), quant à vous, je vous supplie de partir, dès que vous aurez fait tout ce que vous pourrez, de partir pour l’Italie, de récupérer votre calme et d’écrire ces ravissants poèmes que vous composez avec tellement de grâce étrange. Ne vous exposez sous aucun prétexte à la vindicte de l’Angleterre.
 Si, un jour, soit à Corfou, soit en quelque autre île enchantée, il est une petite maison où nous puissions vivre ensemble, oh ! la vie serait plus douce qu’elle ne le fut jamais. Votre amour a de grandes ailes et de la force : il vient à moi malgré les barreaux de ma prison et m’encourage. Votre amour est la lumière de toutes mes heures. 
Si le sort nous est contraire, ceux qui ne connaissent pas l’amour écriront, je le sais, que j’ai eu une mauvaise influence sur votre vie. 
En ce cas, vous répondrez, vous écrirez à votre tour qu’il n’en est rien. Notre amour fut toujours noble et beau et, si je suis l’objet d’une effroyable tragédie, c’est parce que l’on n’a pas compris la nature de cet amour. 

Dans votre lettre, ce matin, vous dites quelque chose qui me donne du courage. Il faudra que je me le remémore souvent. Vous écrivez qu’il est de mon devoir, pour vous et pour moi-même, de vivre malgré tout. Je pense que c’est exact. Je l’essaierai – et je réussirai. Je désire que vous informiez de vos déplacements Mr. Humphreys afin qu’il puisse, quand il viendra, me dire ce que vous devenez. Je crois que l’on permet aux avocats de voir les prisonniers assez souvent. Ainsi je pourrai communiquer avec vous.

Je suis si heureux de penser que vous êtes parti ! Je sais ce qu’il a dû vous en coûter ; mais il eût été angoissant pour moi de penser que vous étiez en Angleterre pendant que l’on citait votre nom au tribunal. J’espère que vous avez des exemplaires de tous mes livres. On a vendu tous ceux que je possédais.

 Je tends les bras vers vous. Oh, puissé-je vivre pour caresser vos cheveux et vos mains ! Je pense que votre amour va veiller sur ma vie ; mais, si je meurs, je veux que vous meniez une existence douce et paisible, agrémentée de fleurs, de tableaux, de livres et de beaucoup de travail. 
Tâchez de me faire parvenir bientôt de vos nouvelles. Je vous écris cette lettre du fond d’une grande douleur ; cette longue journée au tribunal m’a exténué. Enfant chéri, oh ! vous, le plus délicieux des jeunes gens, le plus aimé, le plus aimable, attendez-moi, attendez-moi ! Je suis à présent, comme je l’ai toujours été depuis que nous nous connaissons, dévotieusement et avec un amour immortel, vôtre.

Oscar.

Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 A113

 
 
(Wilde, Lettres du monde entier, éd. Gallimard, coll. NRF, Paris, 1994.) - (Source image : Oscar Wilde, three-quarter length portrait, facing front, seated, leaning forward, left elbow resting on knee, hand to chin, holding walking stick in right hand, wearing coat par Napoleon Sarony)
 
 

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MessageSujet: Lettre de Camille Claudel à Auguste Rodin   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 Icon_minitimeVen 20 Oct 2017, 18:07

Lettre de Camille Claudel à Auguste Rodin



Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 A163



 
 
 
Il y a toujours quelque chose d'absent qui me tourmente.
 
 
 
 
 
 
 
 
Camille Claudel (8 décembre 1864 – 19 octobre 1943) figure aujourd’hui parmi les femmes artistes les plus célèbres, grâce à une oeuvre aussi puissante que subtilement sensible. 


Cette lettre envoyée à Auguste Rodin fait figurer l’une des phrases les plus célèbres de la sculptrice ; phrase qui se retrouvera plus tard inscrite sur sa pierre tombale, dessinant le portrait d’une artiste engagée dans son art et qui reste encore, à bien des égards, incomprise.
 
 
 
 
1886




Cher ami,






Je suis bien fâchée d’apprendre que vous êtes encore malade. Je suis sûre que vous avez encore fait des excès de nourriture dans vos maudits dîners, avec le maudit monde que je déteste, qui vous prend votre santé et qui ne vous rend rien. Mais je ne veux rien dire car je sais que je suis impuissante à vous préserver du mal que je vois.




Comment faites-vous pour travailler à la maquette de votre figure sans modèle ? Dites-le-moi, j’en suis très inquiète. Vous me reprochez de ne pas vous écrire assez long. Mais vous-même vous m’envoyez quelques lignes banales et indifférentes qui ne m’amusent pas.




Vous pensez bien que je ne suis pas très gaie ici ; il me semble que je suis loin de vous ! et que je vous suis complètement étrangère. Il y a toujours quelque chose d’absent qui me tourmente.




Je vous raconterai mieux ce que j’ai fait quand je vous verrai. Je vais jeudi prochain chez Miss Faucett, je vous écrirai le jour de mon départ d’Angleterre. D’ici là, je vous en prie, travaillez, gardez tout le plaisir pour moi. Je vous embrasse.

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MessageSujet: Lettre d’une inconnue de Stefan Zweig   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 Icon_minitimeMar 28 Nov 2017, 13:00

Lettre d’une inconnue de Stefan Zweig




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Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 A1246
 
 
C'est seulement si je meurs que tu recevras ce testament d'une femme qui t'a aimé plus que toutes les autres et que tu n'as jamais reconnue.
 
 
 
Lettre d’une inconnue, nouvelle de Stefan Zweig publiée pour la première fois le 19 mars 1922, raconte l’histoire d’une femme qui, après avoir rencontré un homme pour la première fois à l’âge de 13 ans, lui voue une obsession sans pareille. Des années plus tard, après de longues attentes au bas de son immeuble, elle passe trois nuits d’amour avec l’écrivain, et tombe enceinte de lui. 


Il ne le saura jamais puisqu’il ne se donnera pas la peine de la recontacter. Alors que son — leur — enfant meurt de la grippe, elle sait qu’elle n’y survivra pas et lègue à l’homme qui ne l’a jamais regardée cette longue lettre, dont voici la chute.
 
 
[…] Mon enfant est mort, notre enfant — maintenant, je n’ai plus personne au monde à aimer que toi. Mais que m’es-tu, toi qui, jamais, jamais ne me reconnais, qui passes devant moi comme devant de l’eau, qui marches sur moi comme sur une pierre, qui vas ton chemin, toujours, et me laisses éternellement t’attendre ? Autrefois, j’ai cru te tenir, toi l’insaisissable, à travers cet enfant. Mais c’était ton enfant : du jour au lendemain, il m’a cruellement quittée pour partir en voyage, il  m’a oubliée et ne reviendra plus.

Me revoilà seule, plus seule que jamais, et je ne garde rien, rien de toi… plus d’enfants, pas un mot, pas une ligne, pas un souvenir, et si quelqu’un citait mon nom devant toi, il ne te dirait rien. Pourquoi ne mourrais-je pas de gaieté de cœur, puisque je n’existe pas pour toi, pourquoi ne pas passer mon chemin, puisque tu me laisses derrière toi ? Non, bien-aimé, je ne viens pas en plaignante, je ne veux pas jeter mon affliction dans ta sereine demeure. Sois sans lait, je ne t’importunerai plus ; pardonne-moi, il fallait que j’épanche mon âme au moins une fois, à l’heure où cet enfant gît là, mort et abandonné. 

Une seule fois, il fallait que je te parle ; maintenant, je vais regagner l’ombre et devenir muette, aussi muette que je l’ai toujours été à ton côté. Mais tu n’entendras pas ce cri de mon vivant ; c’est seulement si je meurs que tu recevras ce testament d’une femme qui t’a aimé plus que toutes les autres et que tu n’as jamais reconnue, qui t’a toujours attendu et que tu n’as jamais appelé. Peut-être, peut-être m’appelleras-tu alors, et pour la première fois je te serai infidèle, dans la mort je ne t’entendrai plus : je ne te laisse ni image ni signe, de même que tu ne m’as rien laissé ; jamais tu ne me reconnaîtras, jamais. Ce fut mon destin dans la vie, que ce soit aussi mon destin dans la mort. Non, je ne t’appellerai pas à ma dernière heure, je m’en vais sans que tu saches mon nom ni découvres mon visage. Je meurs avec légèreté, car à distance tu n’en ressentiras rien. Si tu en avais de la peine, je ne pourrais pas mourir.

Je ne peux plus poursuivre… j’ai la tête tellement prise… les membres me font mal, j’ai la fièvre… je crois que je vais devoir m’étendre. Peut-être que tout sera bientôt terminé, peut-être que le destin, pour une fois, me sera clément et m’évitera de voir ces hommes emporter mon enfant… Je ne peux plus écrire. Adieu, bien-aimé, adieu, je te rends grâce… C’était bien ainsi, malgré tout… Je veux te rendre grâce jusqu’à mon dernier souffle. Je me sens bien : je t’ai tout dit, tu sais maintenant, ou du moins tu entrevois combien je t’ai aimé, et cet amour n’est pas un poids pour toi. Je ne te manquerai pas, c’est ce qui me console. Il n’y aura rien de changé dans ta belle vie claire… je ne te fais aucun tort en mourant… c’est ce qui me console, ô bien-aimé.
Mais qui… t’enverra désormais des roses blanches pour ton anniversaire ? Hélas ! le vase sera vide, le petit souffle, la petite part de moi qui, une fois l’an, voletait autour de toi va s’éteindre, elle aussi ! Bien-aimé, écoute, je t’en supplie… c’est ma première et ma dernière demande… fais ça pour moi : à chacun de tes anniversaires — c’est un jour où on pense un peu à soi, quand même, — trouve donc des roses et mets-les dans le vase. Fais-le, bien-aimé, fais-le comme d’autres, une fois l’an, font dire une messe pour une morte qui leur était chère. Moi, je ne crois plus en Dieu et je ne veux pas de messe, je ne crois qu’en toi, je n’aime que toi et ne veux survivre qu’en toi… Oh ! un seul jour par an, très discrètement, comme j’ai vécu à ton côté… Je t’en prie, bien-aimé, fais-le… 
C’est ma première demande et la dernière… je te rends grâce… Je t’aime, je t’aime… adieu.
 
 Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 A239
 
 
(Zweig, Lettre d'une inconnue, trad. Diane Meur, Flammarion, coll. « GF », 2013.) - (Source image : Allociné : image tirée du film Letter From An Unknown Woman, film américain de Max Ophüls (1948).)

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MessageSujet: Lettre de Fernando Pessoa à Mário de Sá-Carneiro   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 Icon_minitimeJeu 30 Nov 2017, 18:25

Lettre de Fernando Pessoa à Mário de Sá-Carneiro




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Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 A117
 
 
 
 
La vie me fait mal à petit bruit, à petites gorgées, par les interstices.
 
 
 
 
Fernando Pessoa (13 juin 1888 – 30 novembre 1935) est un écrivain, poète et polémiste portugais trilingue dont les vers légendaires et la prose poétique ont permis l’apparition du modernisme au Portugal. 


À sa mort, on découvrit, enfouis dans une malle, 27 543 textes que l’on a exhumés peu à peu et qui tous ensemble composaient Le Livre de l’intranquillité, considéré comme le chef-d’œuvre de l’écrivain. 


En voici un extrait.
 
 
 
 

14 mars 1916





Je vous écris aujourd’hui, poussé par un besoin sentimental — un désir aigu et douloureux de vous parler. Comme on peut le déduire facilement, je n’ai rien à vous dire. Seulement ceci — que je me trouve aujourd’hui au fond d’une dépression sans fond. L’absurdité de l’expression parlera pour moi.



Je suis dans un de ces jours où je n’ai jamais eu d’avenir. Il n’y a qu’un présent immobile, encerclé d’un mur d’angoisse. La rive d’en face du fleuve n’est jamais, puisqu’elle se trouve en face, la rive de ce côté-ci ; c’est là toute la raison de mes souffrances. Il est des bateaux qui aborderont à bien des ports, mais aucun n’abordera à celui où la vie cesse de faire souffrir, et il n’est pas de quai où l’on puisse oublier. Tout cela s’est passé voici bien longtemps, mais ma tristesse est plus ancienne encore.

En ces jours de l’âme comme celui que je vis aujourd’hui, je sens, avec toute la conscience de mon corps, combien je suis l’enfant douloureux malmené par la vie. On m’a mis dans un coin, d’où j’entends les autres jouer. Je sens dans mes mains le jouet cassé qu’on m’a donné, ironiquement, un jouet de fer-blanc. Aujourd’hui 14 mars, à neuf heures dix du soir, voilà toute la saveur de ma vie.

Dans le jardin que j’aperçois, par les fenêtres silencieuses de mon incarcération, on a lancé toutes les balançoires par-dessus les branches, d’où elles pendent maintenant ; elles sont enroulées tout là-haut ; ainsi l’idée d’une fuite imaginaire ne peut même pas s’aider des balançoires, pour me faire passer le temps.

Tel est plus ou moins, mais sans style, mon état d’âme en ce moment. Je suis comme La Veilleuse du Marin, les yeux me brûlent d’avoir pensé à pleurer. La vie me fait mal à petit bruit, à petites gorgées, par les interstices. Tout cela est imprimé en caractères tout petits, dans un livre dont la brochure se défait déjà.



Si ce n’était à vous, mon ami, que j’écris en ce moment, il me faudrait jurer que cette lettre est sincère, et que toutes ces choses, reliées historiquement entre elles, sont sorties spontanément de ce que je me sens vivre. Mais vous sentirez bien que cette tragédie irreprésentable est d’une réalité à couper au couteau — toute pleine d’ici et de maintenant, et qu’elle se passe dans mon âme comme le vert monte dans les feuilles.

Voilà pourquoi le Prince ne régna point. Cette phrase est totalement absurde. Mais je sens en ce moment que les phrases absurdes donnent une intense envie de pleurer.

Il se peut fort bien, si je ne mets pas demain cette lettre au courrier, que je la relise et que je m’attarde à la recopier à la machine pour inclure certains de ses traits et de ses expressions dans mon Livre de l’intranquillité. Mais cela n’enlèvera rien à la sincérité avec laquelle je l’écris, ni à la douloureuse inévitabilité avec laquelle je la ressens.

Voilà donc les dernières nouvelles. Il y a aussi l’état de guerre avec l’Allemagne, mais, déjà bien avant cela, la douleur faisait souffrir. De l’autre côté de la vie, ce doit être la légende d’une caricature quelconque.
Cela n’est pas vraiment la folie, mais la folie doit procurer un abandon à cela même dont on souffre, un plaisir, astucieusement savouré, des cahots de l’âme — peu différents de ceux que j’éprouve maintenant.



Sentir — de quelle couleur cela peut-il être ?
Je vous serre contre moi mille et mille fois, vôtre, toujours vôtre.



Fernando PESSOA



P.S. J’ai écrit cette lettre d’un seul jet. En la relisant, je vois que, décidément, je la recopierai demain, avant de vous l’envoyer. J’ai bien rarement décrit aussi complètement mon psychisme, avec toutes ses facettes affectives et intellectuelles, avec toute son hystéroneurasthénie fondamentale, avec tous ces carrefours et intersections dans la conscience de soi-même qui sont sa caractéristique si marquante…

Vous trouvez que j’ai raison, n’est-ce pas ?



Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 A1254

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MessageSujet: Lettre de Jean d’Ormesson au président de la République   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 Icon_minitimeMar 05 Déc 2017, 22:06

Lettre de Jean d’Ormesson au président de la République
 
 
 
 Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 Ormess10
 
 
 
Couper notre langue de ses racines grecques et latines serait la condamner de propos délibéré à une mort programmée.
 
 
 
 
 
 
Jean d’Ormesson, né le 16 juin 1925, écrivain, diplomate et journaliste à succès, vient de faire son entrée dans La Pléiade. Il constitue un cas singulier dans la culture française : c’est un nonagénaire populaire, un académicien prisé de la jeunesse.


 Académicien, gaulliste, figure emblématique du Figaro, il a pris parti lors du récent débat sur la réforme de l’enseignement, avec hauteur et élégance. 


Hommage épistolaire à un monstre sacré des lettres, au regard toujours pétillant !
 
 
 
 




8 mai 2015
Monsieur le président de la République,





Plus d’une fois, vous avez souligné l’importance que vous attachiez aux problèmes de la jeunesse, de l’éducation et de la culture. Voilà que votre ministre de l’Éducation nationale se propose de faire adopter une réforme des programmes scolaires qui entraînerait, à plus ou moins brève échéance, un affaiblissement dramatique de l’enseignement du latin et du grec et, par-dessus le marché, de l’allemand.



Cette réforme, la ministre la défend avec sa grâce et son sourire habituels et avec une sûreté d’elle et une hauteur mutine dignes d’une meilleure cause. Peut-être vous souvenez-vous, Monsieur le président, de Jennifer Jones dans La Folle Ingénue ? En hommage sans doute au cher et grand Lubitsch, Mme Najat Vallaud-Belkacem semble aspirer à jouer le rôle d’une Dédaigneuse Ingénue. C’est que son projet suscite déjà, et à droite et à gauche, une opposition farouche.



On peut comprendre cette levée de boucliers. Il y a encore quelques années, l’exception culturelle française était sur toutes les lèvres. Cette exception culturelle plongeait ses racines dans le latin et le grec. Non seulement notre littérature entière sort d’Homère et de Sophocle, de Virgile et d’Horace, mais la langue dont nous nous servons pour parler de la science, de la technique, de la médecine perdrait tout son sens et deviendrait opaque sans une référence constante aux racines grecques et latines. 

Le français occupe déjà aujourd’hui dans le monde une place plus restreinte qu’hier. Couper notre langue de ses racines grecques et latines serait la condamner de propos délibéré à une mort programmée.



Mettre en vigueur le projet de réforme de Mme Najat Vallaud-Belkacem, ce serait menacer toute la partie peut-être la plus brillante de notre littérature. Montaigne et Rabelais deviendraient vite illisibles.

 Corneille, Racine, La Fontaine, Bossuet changeraient aussitôt de statut et seraient difficiles à comprendre. Ronsard, Du Bellay, Chateaubriand, Giroudoux ou Anouilh — sans même parler de James Joyce — tomberaient dans une trappe si nous n’apprenions plus dès l’enfance les aventures d’Ulysse aux mille ruses, si nous ignorions, par malheur, qu’Andromaque est la femme d’Hector, l’adversaire malheureux d’Achille dans la guerre de Troie, si nous nous écartions de cette Rome et de cette Grèce à qui, vous le savez bien, nous devons presque tout.



Les Anglais tiennent à Shakespeare, les Allemands tiennent à Goethe, les Espagnols à Cervantès, les Portugais à Camõens, les Italiens à Dante et les Russes à Tolstoï. Nous sommes les enfants d’Homère et de Virgile — et nous nous détournerions d’eux ! 

Les angoisses de Cassandre ou d’Iphigénie, les malheurs de Priam, le rire en larmes d’Andromaque, les aventures de Thésée entre Phèdre et Ariane, la passion de Didon pour Énée font partie de notre héritage au même titre que le vase de Soissons, que la poule au pot d’Henri IV, que les discours de Robespierre ou de Danton, que Pasteur ou que Clemenceau.
 
 
 
( http://bit.ly/1RZe7wO ) - (Source image : Georges Seguin (Okki), Jean d'Ormesson au Salon du livre de Paris lors d'un tête-à-tête avec António Lobo Antunes, 29 mars 2010, © Wikimedia Commons)

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MessageSujet: Lettre de Gustave Flaubert à Louise Colet   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 Icon_minitimeMar 12 Déc 2017, 14:36

Lettre de Gustave Flaubert à Louise Colet
 
 Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 B110
 
J'ai l'honneur de vous saluer.
 
 
Gustave Flaubert (12 décembre 1821 – 8 mai 1880), maître du style, connu pour ne produire des phrases qu’au prix de longs efforts et d’un immense travail (« Une bonne phrase de prose doit être comme un bon vers, inchangeable, aussi rythmée, aussi sonore » écrit-il), savait aussi être expéditif. Sentant son amour pour la belle poétesse Louise Colet s’épuiser, alors qu’elle abandonne Paris pour lui rendre visite dans son Croisset natal et qu’elle supplie le maître des lieux de la recevoir, il lui envoie un dernier billet d’une concision lapidaire et diablement efficace. Un Flaubert méconnu !




 
 
 
6 mars 1855
Madame,




J’ai appris que vous vous étiez donné la peine de venir, hier, dans la soirée, trois fois, chez moi.
Je n’y étais pas. Et dans la crainte des avanies qu’une telle persistance de votre part pourrait vous attirer de la mienne, le savoir-vivre m’engage à vous prévenir : que je n’y serai jamais.



J’ai l’honneur de vous saluer.
 
 
 
 
 
(Gustave Flaubert, Correspondance, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1973-1991.) - (Source image : Gustave Flaubert, portrait de Nadar / Portrait de la poétesse française Louise Colet © domaine public)

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MessageSujet: Lettre de Ludwig van Beethoven à l’immortelle Bien-aimée   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 Icon_minitimeDim 17 Déc 2017, 20:43

http://www.deslettres.fr/
 
 
Lettre de Ludwig van Beethoven à l’immortelle Bien-aimée
 
 
Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 A1364



Notre amour n'est-il pas une véritable demeure céleste ?


 
L’allemand Ludwig Van Beethoven, né le 17 décembre 1770 et décédé le 26 mars 1827, précurseur du romantisme dans la musique, est le compositeur de multiples symphonies, concertos et sonates. 


Mais outre la trace importante qu’il a laissée dans la création musicale en occident, il fut aussi un amant passionné : celui dont Haydn dit qu’il est « un homme qui a plusieurs têtes, plusieurs cœurs, plusieurs âmes » écrit ces trois lettres enflammées à quelques heures d’intervalle, adressée à une femme inconnue, mais dont il semble très épris.
 
 
 
6 et 7 juillet 1812




Le 6 juillet dans la matinée


Mon ange, mon tout, mon moi. – Aujourd’hui quelques mots seulement, et même au crayon (le tien). – Ce n’est que jusqu’à demain que j’ai une demeure ; quelle fâcheuse perte de temps que tout cela. Pourquoi ce profond chagrin, quand la nécessité se prononce – Notre amour peut-il exister ailleurs que dans l’immolation, dans le renoncement à tout avoir ? 
Peux-tu y changer quelque chose, au fait que tu ne m’appartiens pas tout entière, que je suis pas entièrement à toi ? – Ah ! mon Dieu, que ton regard s’étende à la belle nature et que ton âme y trouve la quiétude puisqu’il faut que ce soit – L’amour exige tout et il a bien raison.
Ainsi en est-il de moi avec toi et de toi avec moi – mais tu oublies trop à la légère que tu dois vivre pour moi et pour toi. Si nous étions complètement unis, tu n’éprouverais pas, ni moi non plus, ce sentiment douloureux – […] Aujourd’hui non plus je ne puis te faire part des observations que j’ai faites sur ma vie durant ces derniers jours – Si nos cœurs étaient toujours étroitement liés l’un à l’autre, je n’irais certes pas nourrir de pareilles pensées. 
Mon serin est rempli de tant de choses à te dire – Hélas ! – il y a des moments où je trouve que le langage n’est encore absolument rien – Rassérène-toi – demeure mon cher, mon unique trésor, mon tout comme je le suis pour toi. 
Le reste, ce sont les cieux qui doivent nous l’envoyer, quelle que doive être et sera notre destinée –
Ton fidèle

LUDWIG

Lundi soir, 6 juillet


Tu souffres, toi, qui de tous les êtres m’est le plus cher – C’est en ce moment que je m’aperçois que les lettres doivent être de très bonne heure mises à la poste, lundi – ou le jeudi – les seuls jours où elle part pour K. 
– Tu souffres – Oh ! où je suis, tu es aussi avec moi – je veillerai à ce que toi et moi… à ce que je puisse vivre avec toi. Quelle vie !!!! telle qu’elle est sans toi – persécuté de-ci de-là, par la bonté des hommes – que je désire mériter aussi peu que je la mérite
 – L’humilité de l’homme à l’égard de l’homme – elle m’est douloureuse – et quand je me considère en relation avec le grand Tout, voyant ce que je suis et ce qu’il est – celui que l’on considère le plus Grand – et que néanmoins – c’est en cela encore que consiste le divin de l’homme – Je pleure à la pensée que ce sera sans doute samedi seulement que tu recevras de moi la première nouvelle
 – Si fort que tu m’aimes – je t’aime encore encore plus fort, – ne cherche donc pas à te dérober à ma vue – bonne nuit nuit – Je dois aller me coucher car je fais la cure des bains – O mon Dieu ! – si près ! si loin ! Notre amour n’est-il pas une véritable demeure céleste ? – mais aussi solide que le firmament –

Bonjour, le 7 juillet.


Déjà même avant le saut du lit, mes pensées se portent en foule vers toi, mon éternellement bien-aimée, par instants joyeuses, puis de nouveau tristes, attendant du sort qu’il nous exauce – Je ne peux vivre qu’avec toi complètement ou pas du tout ; j’ai même résolu de continuer d’aller errant au loin jusqu’à ce que je puisse me réfugier dans tes bras et me dire chez toi dans ma vraie demeure, que je puisse plonger mon âme, entourée de toi, au royaume des esprits bienheureux. 


Car hélas ! il en doit être ainsi – tu te ressaisiras d’autant plus que tu sais à quel point je te suis fidèle. Jamais – jamais – jamais une autre ne possédera mon coeur. O mon Dieu ! pourquoi être séparé de celle que l’on aime, si ardemment ? Et pourtant ma vie [Vienne], telle qu’elle est en ce moment, est une vie misérable – Ton amour a fait de moi le plus heureux et le plus malheureux des hommes – J’aurais besoin à mon âge d’une certaine uniformité, d’une certaine égalité de vie – celle-ci peut-elle subsister dans nos rapports ?

 – Mon ange, à l’instant même j’apprends que la poste part tous les jours – et je dois par conséquent terminer pour que tu reçoives ma lettre aussitôt – Sois tranquille, c’est uniquement pour un tranquille examen de notre existence que nous pourrons atteindre notre but de vivre ensemble – Sois tranquille – aime-moi – Aujourd’hui – hier – quelle nostalgie éplorée de toi – de toi – toi – ma vie – mon tout – Bonne chance – Oh ! continue de m’aimer – ne méconnais pas le cœur fidèle de ton amant.

toujours tien

toujours mienne

toujours à nous.

L.


 Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 A260


 
(Ludwig von Beethoven, L'intégrale de la correspondance 1787-1827, Ed. Actes Sud, 2010 ; Joseph Karl Stieler / Beethoven-Haus)

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MessageSujet: Lettre de Paul Eluard à Joë Bousquet   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 Icon_minitimeDim 24 Déc 2017, 10:27

Lettre de Paul Eluard à Joë Bousquet
 
 
http://www.deslettres.fr/
 
 
 
 Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 A1395
 
 
 
Noël ? Je hais Noël, la pire des fêtes.
 
 
Les fêtes de Noël ne suscitent pas l’enthousiasme de tous : certains ne supportent pas — ou plus — l’allégresse des enfants, les victuailles ou la tension des retrouvailles familiales. Une fois n’est pas coutume, c’est à Paul Éluard qu’il revient de battre en brèche l’idée selon laquelle Noël serait forcément synonyme de félicité. Iconoclaste, le poète l’affirme sans ambages à son ami Joë Bousquet : « Je hais toutes les fêtes parce qu’elle m’ont obligé à sourire sans conviction ». 


Un témoignage étonnant et décalé !
 
 
 
 
20 décembre 1928


Mon cher ami,



Noël ? Je hais Noël, la pire des fêtes, celle qui veut faire croire aux hommes « qu’il y a quelque chose DE MIEUX sur la terre », toute la cochonnerie des divins enfants, des messes de suif, de stuc et de fumier, des congratulations réciproques, des embrassades des poux à sang froid sous le gui. Je hais les marchands de cochon et d’hosties, leur charcuterie, leur mine réjouie. La neige de ce jour-là est un mensonge, la musique des cloches est crasseuse, bonne au cou des vaches. 

Je hais toutes les fêtes parce qu’elles m’ont obligé à sourire sans conviction, à rire comme un singe, à ne pas croire, à ne pas croire possible la joie constante de ceux que j’aime. Le bonheur leur est une surprise.

Et puis, votre lettre me désole. Comment n’avez-vous pas pu vous procurer les disques que je vous indiquais. N’importe quelle maison un peu moderne de disques de Marseille, de Paris, vous les procureraient [sic] en quelques jours. Et j’y tenais tant. Enfin, dites-moi tout de suite si je dois vous les faire envoyer par des amis ? Si votre gros Dumont s’adresse à ses fournisseurs habituels, il est peu probable qu’on les lui procure. Il y a partout, dans les Cahiers du Sud, N.R.F., Variétés, etc., des annonces de marchands « à la page », comme on dit.
Mais je dois avoir ces jours-ci la visite d’une amie très au courant de ce genre de recherches et qui m’est très dévouée. Elle sera sûrement très heureuse de vous les trouver tous. Et très vite. Sinon, vous allez vous ruiner en achats au petit bonheur. Tous les petits marchands à la Dumont tiennent à se débarrasser de leur stock et laissent en panne, intentionnellement, les nouvelles commandes.

J’ai eu la visite ces jours-ci de Arp et de Max Ernst. Entendu pour votre tableau. Nelli m’a écrit. Il fait un froid solide.
Vous ne me dites pas si vous avez Les Malheurs des Immortels. Chantiers est bien long à paraître. J’en suis fort curieux.



Croyez-moi très affectueusement vôtre,

Paul ELUARD.



[En marge de la première page] :

Pourquoi faut-il que la joie des enfants soit pour ce jour-là et souvent ce jour-là seulement et souvent jamais.
 

(Paul Eluard, Lettres à Joë Bousquet, Les Editeurs Français Réunis, 1973 ; Image : Paul Eluard, Granger)

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MessageSujet: Lettre d’Umberto Eco à son petit-fils   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 Icon_minitimeMer 24 Jan 2018, 17:06

Lettre d’Umberto Eco à son petit-fils



Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré - Page 12 A1440 



 
 
 

 
Umberto Eco (5 janvier 1932 – 19 février 2016) est un écrivain italien polygraphe, véritable érudit moderne. Il est connu auprès du grand public pour ses romans (Le Nom de la roseLe Pendule de Foucault), mais également estimé en tant que linguiste et universitaire. Il est aussi l’auteur de chroniques plus légères souvent rassemblées en recueils. 

Dans cette lettre écrite à la demande d’un grand hebdomadaire italien en janvier 2014, Umberto Eco nous régale de son ton familier et sage à la fois. Version moderne de la lettre de Gargantua à son fils pour une éducation humaniste, le texte offre tour à tour des réflexions sur la pornographie, les nouvelles technologies, le cinéma, la mémoire, et l’Histoire. Vaste programme… et véritable plaidoyer pour la culture générale !

 
 
 
Mon petit-fils chéri,


Je ne voudrais pas que cette lettre de Noël résonne de manière trop moralisatrice et te donne à entendre des conseils sur nos semblables, la patrie, les mondes et d’autres choses de ce genre. Tu ne l’entendrais pas et quand l’heure viendra de la mettre en pratique (toi, adulte, et moi, trépassé) le système des valeurs aura tellement changé que mes recommandations t’apparaîtront probablement datées.

Ainsi voudrais-je m’attarder sur une seule recommandation que tu seras à même de mettre en pratique même maintenant, au moment même où tu navigues sur ton iPad ; je ne commettrais pas l’erreur de te le déconseiller, non parce que j’aurais l’air d’un grand-père radoteur, mais parce que je le fais moi aussi.

Tout au plus puis-je te conseiller, si jamais tu tombes sur les centaines de sites pornos qui montrent les rapports sexuels entre deux êtres humains, ou entre un être humain et un animal, dans des milliers de positions, essaie de ne pas croire que le sexe se réduit à ce qui t’en est montré de manière assez monotone, parce qu’il s’agit d’une mise en scène pour te contraindre à ne pas sortir de chez toi et regarder de vraies filles.


Je pars du principe que tu es hétérosexuel, sinon tu adapteras mes recommandations à ton cas précis. Mais regarde les filles, à l’école ou là où tu vas jouer, parce que les vraies filles sont mieux que celles qu’on voit à la télévision, et, un jour, elle te donneront bien plus de satisfaction que celles que tu trouves online. Crois en celui qui a plus d’expérience que toi (et si j’avais regardé le sexe uniquement à travers l’ordinateur, ton père ne serait jamais né, et toi, on ne sait même pas où tu serais, voire tu ne serais même pas là).
Toutefois ce n’est pas de ceci dont je voudrais te parler mais plutôt d’une maladie qui a frappé ta génération et même celle de jeunes gens un peu plus âgés que toi, ceux qui vont peut-être déjà à l’université : la perte de la mémoire.

Il est vrai que si l’on a le désir de savoir qui est Charlemagne ou encore où se trouve Kuala Lumpur, tu n’as qu’à taper sur une touche et Internet te le révèle aussitôt. Fais-le quand cela est utile mais après l’avoir fait, essaie de te rappeler ce que tu as lu pour ne pas être obligé de le chercher une deuxième fois si jamais, tu en ressentais un besoin irrésistible, peut-être pour une recherche à l’école. Mais sache que le risque est le suivant : puisque tu crois que ton ordinateur pourra te le dire à n’importe quel moment, tu pourrais perdre le goût de le mémoriser. 

Ce serait un peu comme si, ayant appris que pour aller de telle rue à une autre, il y a l’autobus ou le métro qui te permettront de te déplacer sans aucune fatigue (ce qui est très commode, et fais-le à chaque fois que tu es pressé), tu penses que tu n’as ainsi plus besoin de marcher. 

Mais si tu ne marches pas suffisamment, tu deviens une personne à mobilité réduite, comme on appelle aujourd’hui celui qui est obligé à se déplacer avec une chaise roulante. 

D’accord, je sais que tu fais du sport et que donc tu sais bouger ton corps, mais revenons à ton cerveau.

La mémoire est un muscle comme ceux des jambes, et si tu ne l’exerces pas, il s’atrophie et tu deviens (d’un point de vue mental) handicapé, c’est-à-dire (soyons clair), un idiot. Et, en plus, étant donné que nous risquons tous d’avoir un Alzheimer quand on devient vieux, l’un des moyens pour éviter cet incident déplaisant, c’est d’exercer sans cesse notre mémoire.


Dès lors, voici mon régime. Apprends tous les matins quelques vers, un bref poème ou, comme on m’a appris à mon époque, « La Cavallina storna » ou « Il Sabato del villaggio ». Et peut-être fais une compétition avec tes amis pour voir qui s’en souvient le plus. 

Si tu n’aimes pas la poésie, fais-le avec les formations de joueurs de football, mais fais attention à ne pas juste connaître qui sont les joueurs de l’équipe de la Roma d’aujourd’hui mais aussi ceux d’autres équipes y compris ceux des équipes d’autrefois (figure-toi que je me souviens de la formation de l’équipe de Turin quand leur avion s’était écrasé à Superga avec tous les joueurs : Bacigalupo, Ballarin, Maroso etc.). Fais des compétitions de mémoire, peut-être à propos de livres que tu as lus (qui était à bord de la Hispaniola à la recherche de l’île au Trésor ? 

Lord Trelawney, le Capitaine Smollet, le Docteur Livesey, Long John Silver, Jim…). Essaie de savoir si tes amis se souviennent qui étaient les domestiques des Trois Mousquetaires et de D’Artagnan (Grimaud, Bazin, Mousqueton et Planchet)… Et si tu ne voudras pas lire Les Trois Mousquetaires (et tu ne sauras pas ce que tu perdras), fais-le, je ne sais pas, avec d’autres histoires que tu as lues.
On dirait un jeu (et c’en est un) mais tu verras à quel point ta tête pourra se peupler de personnages, histoires, souvenirs en tous genres. 

Tu te seras demandé pourquoi les ordinateurs s’appelaient autrefois « cerveaux électroniques ». C’est parce qu’ils ont été conçus sur le modèle de ton (de notre) cerveau mais notre cerveau possède plus de connexions que notre ordinateur, c’est une sorte d’ordinateur que tu portes en toi et qui grandit et devient de plus en plus fort avec l’exercice, tandis que l’ordinateur que tu as sur ta table, plus tu l’utilises plus il perd en rapidité et au bout de quelques années tu dois le changer.

 En revanche ton cerveau peut actuellement durer jusqu’à quatre-vingt-dix ans et à quatre-vingt-dix ans (si tu l’as entretenu dans un exercice continu) il se souviendra de beaucoup plus de choses que celles dont tu te souviens aujourd’hui. 

Et ceci, gratuitement.


Il y a aussi la mémoire historique, celle qui ne concerne pas les faits de ta vie ou les choses que tu as lues, mais ce qui est arrivé avant que tu ne viennes au monde.


Aujourd’hui si tu vas au cinéma, tu dois entrer à une heure fixe quand le film commence et dès qu’il commence, quelqu’un te prend pour ainsi dire par la main et te dit ce qui se passe. De mon temps, on pouvait entrer au cinéma à n’importe quel moment, je veux dire même à la moitié du spectacle, on arrivait au moment où les choses étaient en train de se dérouler, et on essayait de comprendre ce qui s’était passé avant (puis quand le film recommençait depuis le début, on pouvait constater si on avait tout compris — mis à part que, si le film nous avait plu, on pouvait rester le regarder à nouveau). Voilà la vie est comme le cinéma permanent, un film de mon temps. Nous entrons dans la vie quand beaucoup de choses sont déjà arrivées, depuis des centaines de milliers d’années, et c’est important d’apprendre ce qui s’est passé avant notre naissance, cela sert à mieux comprendre ce qui se passe aujourd’hui.


Actuellement l’école (au-delà des trois lectures personnelles) devrait t’apprendre à mémoriser ce qui est arrivé avant ta naissance mais visiblement elle ne le fait pas bien parce que beaucoup de sondages montrent que les jeunes d’aujourd’hui, même ceux qui vont à l’université, s’ils sont nés par hasard en 1990, ils ne savent pas (ou peut-être ne veulent pas savoir) ce qui s’était passé en 1980 (et ne parlons pas de ce qui s’est passé il y a cinquante ans). Les sondages nous disent que si on demande à certains qui était Aldo Moro, ils répondent qu’il était le chef des Brigades Rouges — en réalité il a été tué par les Brigades Rouges.
Ne parlons pas des Brigades Rouges. Elles demeurent quelque chose de mystérieux pour beaucoup de monde, et pourtant, elles représentaient le présent d’il y a une trentaine d’années. Je suis né en 1932, dix ans après la prise de pouvoir du fascisme, mais je savais même qui était le premier ministre au moment de la Marche sur Rome (qu’est-ce que c’est ?). Peut-être l’école fasciste me l’avait-elle appris pour m’expliquer à quel point le ministre que les fascistes avaient remplacé était stupide et mauvais (l’inapte à la guerre nommé Facta). D’accord, mais au moins je le savais. Et puis, si l’on met l’école à part, un garçon d’aujourd’hui ne sait pas qui étaient les actrices de cinéma d’il y a vingt ans. Tandis que moi, je savais qui était Francesca Bertini qui jouait dans les films muets vingt ans avant ma naissance, probablement parce que je feuilletais de vieilles revues empilées dans le débarras chez nous. Mais justement, je t’invite à regarder de vieilles revues car c’est un moyen pour apprendre ce qui se passait avant ta naissance.


Mais pourquoi est-il nécessaire de savoir ce qui est arrivé avant ? Parce que très souvent ce qui est arrivé avant t’explique pourquoi certaines choses arrivent aujourd’hui et comme pour les joueurs, c’est un moyen pour enrichir notre mémoire.


Fais bien attention, tu ne pourras pas faire tout ceci uniquement avec des livres et des revues. On peut le faire très bien aussi sur Internet. Qui est à utiliser non seulement pour chatter avec tes amis mais aussi pour chatter (pour ainsi dire) avec l’histoire du monde. Qui étaient les Hittites ? Et les Camisards ? Comment s’appelaient les trois caravelles de Christophe Colomb ? Quand les dinosaures ont-ils disparu ? L’Arche de Noé pouvait-elle avoir un gouvernail ? Comment s’appelait l’ancêtre du bœuf ? Y avait-il plus de tigres il y a cent ans qu’aujourd’hui ? 

Qu’était l’Empire du Mali ? Et qui en revanche parlait de l’Empire du Mal ? Qui a été le deuxième Pape de l’Histoire ? Quand Mickey a-t-il paru ?

Je pourrais continuer à l’infini et tout serait une belle aventure de recherche. Et tout marquerait la mémoire.

Viendra le jour où tu seras un vieil homme et tu auras le sentiment d’avoir vécu mille vies car ce sera comme si tu avais été présent à la Bataille de Waterloo, avais assisté à l’assassinat de Jules César, et si tu avais été à une très courte distance du lieu où Berthold le Noir, en mélangeant des substances dans un mortier afin de trouver le moyen pour fabriquer de l’or, avait découvert par hasard la poudre à canon et armes à feu, et il a fini par sauter en l’air (et c’est bien pour lui). Tes amis qui n’auront pas cultivé leur mémoire auront juste vécu une seule vie, la leur, qui doit avoir été assez mélancolique et pauvre de grandes émotions.


Cultive donc ta mémoire, et dès demain, apprends par cœur « La Vispa Teresa ».


Umberto Eco

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