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 Lettre à La France

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Faï Tirà
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MessageSujet: Lettre à La France   Lettre à La France Icon_minitimeLun 23 Mar 2020, 11:48






"Los Angeles, le 22 mars 2020,

Chère France,

Je suis loin de toi, pourtant plus que jamais proche de ton cœur en ces temps où le monde doute de lui-même, agressé par un ennemi imperceptible. 
Les conséquences désastreuses de ces attaques ont considérablement changé notre manière de nous témoigner notre amour. Si je ne peux à présent t’embrasser, te prendre la main ou te chuchoter les mots les plus tendres, mes pensées, elles, n’ont jamais été aussi fortes que pendant cette période de confinement.

La Californie où je réside a, elle aussi, limité les mouvements des individus, les réduisant à demeurer en permanence dans leur domicile. Je lis avec attention tes nouvelles qui traversent l’Atlantique, je me réjouis des énergies que tu déploies, et c’est toujours ainsi que tu as souvent surmonté les épreuves les plus tragiques de ton histoire.

Dans mes prières quotidiennes, je pense aux personnes les plus fragiles, aux démunis, à celles qui risquent leur vie pour nous, à celles qui proposent leur humilité et leur générosité en réponse à la propagation de cette pandémie qui ne nous laisse pas pour l’heure entrevoir le bout du tunnel d’où proviendrait la lueur salvatrice du soulagement.

Dans cette atmosphère, nos querelles habituelles ne deviennent plus que des échos insipides, et tout ce que nous avons jusqu’alors pris pour acquis affiche désormais un coût hors de notre portée, quelle que soit notre classe sociale.

J’ai appris depuis mon pays d’origine, le Congo-Brazzaville, que le malheur a la mémoire courte et la vue réduite. Il se moque des mappemondes, des noms de contrées et entre chez vous sans frapper à la porte. Notre ultime bouclier a pour nom solidarité. Mais nous avons perdu son sens pour le règne impitoyable du chacun pour soi. Nos illustres écrivains nous ont pourtant dissuadé d’emprunter cette sente de l’égocentrisme.

Pour Victor Hugo, « le propre de la solidarité, c’est de ne point admettre d’exclusion ».

Dans Terre des Hommes Saint-Exupéry a noté des propos qui prennent actuellement une résonnance particulière :
« En travaillant pour les seuls biens matériels nous bâtissons nous-mêmes notre prison. Nous nous enfermons solitaires, avec notre monnaie de cendre qui ne procure rien qui vaille de vivre. »

Des mots qui devraient pousser à la réflexion celles et ceux qui estiment que leur survie individuelle est au-dessus de l’urgence de la pérennité du genre humain… 

Mais, chère France, la solidarité que nous réclamons aujourd’hui devrait également prévaloir demain lorsque le soleil reprendra majestueusement son cycle, satisfait d’avoir enfin consumé l’armée de ces bêtes terribles qui, dans leur capacité d’ouvrir les batailles sur tous les fronts, s’imaginaient défaire notre planète en s’appuyant sur notre impréparation.

Nous sommes une chaîne dont chacun des maillons, même les plus minuscules, contribue à la concordance et à l’équilibre de notre existence…


Alain Mabanckou"














Alain Mabanckou est écrivain. Né au Congo-Brazzaville, il vit à Los Angeles, aux États-Unis, où il enseigne la littérature francophone. Dans cette lettre adressée à la France, il invoque les vertus de la solidarité

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Faï Tirà
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MessageSujet: "Aujourd'hui, je te demande pardon..." - Ariane Ascaride   Lettre à La France Icon_minitimeJeu 26 Mar 2020, 20:13

"Aujourd'hui, je te demande pardon..."


Ariane Ascaride est comédienne. Elle est née à Marseille, vit à Montreuil. Son nom est associé au cinéma de Robert Guédiguian. 


Dans cette lettre de contrition adressée à un adolescent inconnu, elle explique en quoi la pandémie actuelle révèle et exacerbe les inégalités sociales.





Lettre à La France Cccc_w10


Partie improvisée de football sur la pelouse d'une cité :copyright: Getty / Sam Mellish



Montreuil, le 26 mars 2020

Bonjour « beau gosse »,


Je décide de t’appeler « Beau gosse ». Je ne te connais pas. Je t’ai aperçu l’autre jour alors que, masquée, gantée, lunettée, j’allais faire des courses au pas de charge, terrifiée, dans une grande surface proche de ma maison. Sur mon chemin, je dois passer devant un terrain de foot qui dépend de la cité dans laquelle tu habites et que je peux voir de ma maison particulière pleine de pièces avec un jardin. 





Citation :
Je suis abasourdie de vivre une réalité qui me semblait appartenir à la science fiction. 
À mon réveil chaque jour je prends ma température, j’aère ma maison pendant des heures au risque de tomber malade, paradoxe infernal et ridicule. La peau de mes mains ressemble à un vieux parchemin et commence à peler, je les lave avec force et savon de Marseille toutes les demie heures. Si je déglutis et que cela provoque une légère toux, mon sang se glace et je dois faire un effort sur moi-même pour ne pas appeler mon médecin. Je n’ai d’ailleurs pas fui en province pour rester proche de lui. Je deviens folle ! 


Sortir me demande une préparation  mentale intense, digne d’une sportive de haut niveau, car pour moi une fois dehors tout n’est que danger ! 


Et c’est dans cet angoissant état d’esprit, que je t’ai vu, loin, sur ce terrain de foot, insouciant, jouant avec tes copains, vous touchant, vous tapant dans les mains comme des chevaliers invincibles protégés par le bouclier de la jeunesse.



Citation :
Vous étiez éclatants de sourire, d’arrogance, de vie mais peut-être  aussi porteurs de malheurs inconscients. 

Si vous étiez dehors, c’est qu’il n’est pas aisé d’être je ne sais combien dans un appartement toujours trop étroit, c’est invivable et parfois violent. 



Vos parents travaillent, eux, toujours, à faire le ménage dans des hôpitaux sans grande protection ou à livrer toutes sortes de denrées et de colis que nous récupérerons prudemment avec nos mains gantées après qu’ils ont été posés devant nos portes fermées. Prudence oblige. 




Bakari, je suis née dans un monde similaire au tien je n’ai eu de cesse de l’avoir toujours très présent dans mon cœur et ma mémoire, et je n’ai eu de cesse de le célébrer et d’essayer de faire changer les choses. 



Citation :
Aujourd’hui je te demande pardon, à toi porteur sain certainement qui risque d’infecter l’un des tiens. 




Je te demande pardon de ne pas avoir été assez convaincante, assez entreprenante, pour que la société dans laquelle tu vis soit plus équitable et te donne le droit de penser que tu en fais partie intégrante. Tout ce que je dis aujourd’hui, tu ne l’entendras pas, car tu n’écoutes pas cette radio. 


Je voudrais juste que tu continues à exister, que ta mère, ton père, tes grands-parents continuent à exister, à rire et non pleurer. 


Je ne sais pas comment te parler pour que tu m’entendes : je suis juste une pauvre folle masquée, gantée, lunettée, qui passe non loin de toi et que tu regardes avec un petit sourire ironique car tu n’es pas méchant, tu es simplement un adolescent qui n’a pas eu la chance de mes enfants.



Ariane Ascaride"




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MessageSujet: Erri De Luca est un écrivain italien, vivant à Rome.    Lettre à La France Icon_minitimeSam 28 Mar 2020, 15:07

Erri De Luca est un écrivain italien, vivant à Rome. 




Sa voix, portée par une parole politique, humaniste et poétique, est celle d'un éternel dissident. 


Dans cette lettre adressée à une activiste, actuellement incarcérée à Turin, il nous parle d'espoir, d'union et de lutte.




Lettre à La France Bbb14



"La mésange et moi, croyons au retour du printemps" écrit Erri de Luca :copyright: Getty




Rome, le 23 mars 2020




Lettre adressée à Nicoletta Dosio, 74 ans, enseignante de latin et de grec, à la retraite, condamnée à un an de prison  pour la lutte contre le tunnel de Val di Susa, et depuis trois mois recluse à Turin.

"Chère Nicoletta,


En ces jours, je relis. J’ai à nouveau sur mes genoux les lettres de Rosa Luxembourg depuis la prison de Berlin.  

Dans l’une, adressée à Mathilde Jacob le 7 fevrier 1917, Rosa raconte le cri de la mésange, tss-vi, tss-vi. Elle sait l’imiter au point que la mésange s’approche de ses barreaux. 


Rosa écrit : 


Citation :
Malgré la neige, le froid et la solitude, nous croyons, moi et la mésange, à l’arrivée du printemps. 




Et nous voici aux jours qui déclarent l’hiver expiré. Tu es recluse, et par une mystérieuse solidarité, un peuple tout entier s’est enfermé chez lui. Les roues ne roulent pas, le Nord de l’Italie émigre au Sud, les balcons se remplissent de familles. Les économistes ont disparu : tout le pouvoir et toute la parole sont aux médecins.


Je suis dans mon champ, et je regarde la progression des bourgeons sur les arbres. En Italien « bourgeon » et « gemme » sont le même mot : « gemma ». Donc chez nous, les bourgeons sont aussi des pierres précieuses et le Printemps est une joaillerie à ciel ouvert pour toutes celles et ceux qui savent l’admirer. 


Ici, les personnes se font la politesse de se tenir à l’écart, de s’éviter



Chez vous, dans les cellules, il n’y a même pas l’espace de se tourner. Aux malades de pneumonie manque l’air, que vous devez respirer à plusieurs. Les prisons surpeuplées sont devenues, par surcharge pénale, des laboratoires de l’étouffement. 


Mais la vallée pour laquelle tu t’es battue et pour laquelle tu es en prison continue à produire et souffler un oxygène politique, celui qui surgit de l’intérieur d’une communauté, qui resserre ses fibres, et ainsi  donne droit de citoyen à qui est traité par le pouvoir comme un sujet feudataire. Votre vallée, traitée comme une province rebelle, continue à faire obstacle au viol de son territoire.

Ton calme inflexible et intransigeant est celui de ta communauté. Il se manifeste quand un peuple se réveille.



Je suis fier de pouvoir m’adresser à toi, chère Nicoletta, avec le pronom « tu », fier d’être un parmi vous. 



Je t’attends ici et te promets qu’à ta sortie tu trouveras la même union et le même printemps. 



Je t’embrasse fort," 



Erri de Luca






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MessageSujet: Lettre de Léonora Miano à Manu Dibango - Lettres d'intérieur   Lettre à La France Icon_minitimeSam 28 Mar 2020, 15:09

Lettre de Léonora Miano à Manu Dibango - Lettres d'intérieur







Léonora Miano est écrivain. Elle est née au Cameroun et partage sa vie entre le Togo et la France. Dans cette lettre adressée au musicien Manu Dibango, victime du Covid 19, elle rend un dernier hommage à celui qui a fait briller les lumières du continent africain dans le monde entier.


Lettre à La France Bb21


Hommage à Manu Dibango © Getty[/size]
Le 24 mars 2020

Lomé, Togo



Tonton Manu,

C’est ainsi que je t’appelais. D’ailleurs, même si nous ne nous fréquentions pas, c’est ce que tu étais. Mon premier souvenir de toi me ramène à ma toute petite enfance. Mes parents reçoivent, dans notre maison du quartier Kumasi à Douala, un type à l’allure impressionnante. Un géant au crâne rasé et à la voix grave, dont le rire fait trembler la terre. 

Quand tu seras parti, papa me tendra un 45 tours avec toi sur la pochette. Tu étais déjà si célèbre que l’on t’avait requis pour promouvoir un des nouveaux modèles de la marque Toyota. Cette chanson promotionnelle fut gravée sur un disque. Le Cameroun dansa au son de : « La Toyota Corolla est fantastique », exactement comme s’il s’était agi de n’importe lequel de tes tubes. Tu avais mis, dans ce morceau, la même exigence, la même créativité, la même chaleur, que dans tout ce que tu nous as offert.

Au fil des années, ton nom devint celui d’une divinité de la musique. Arrivant à Paris, les musiciens africains, de toutes origines, se mirent à ta recherche. Te côtoyer. Apprendre auprès de toi. Beaucoup devinrent des vedettes parce qu’ils avaient joué avec toi. Et l’Afrique abolit ta nationalité. Tu venais du Cameroun, mais tu étais à tous, et tu offrais le monde. Sans lever le poing ni faire de grands discours. Simplement en mêlant les musiques, en présentant tes orchestres dont les visages avaient toutes les couleurs. Tes choristes, d’où qu’elles viennent, apprirent à prononcer les mots du douala, cette langue à laquelle tu ne renonças pas. Ses rythmes, ses intonations, te donnaient cet accent unique. Dans toutes les langues, tu parlais celle-là.

Pourtant, quand tu souhaitas retrouver ton pays, lui apporter ta lumière, on voulut l’éteindre. Le public fut au rendez-vous, mais d’autres te mirent des bâtons dans les roues. Cette période prit des allures de film noir avec, au générique, toutes les crapules imaginables. Il fallut plier bagage, renoncer. La France sut t’accueillir à nouveau, te célébrer et te chérir. Tu t’es éteint en France, après soixante années d’une carrière incomparable.





Soixante ans à faire vibrer ton saxophone sur les scènes du monde. Tu as toujours été là, présence africaine lumineuse. 



Un jour, tu rejoindrais les étoiles, mais nous te souhaitions un voyage paisible. 



Nous n’attendions pas que ce virus te tue et dérobe nos adieux : frontières closes, rassemblements interdits, impossible de te rendre l’hommage mérité. Nous devions venir, et nous serions venus. Des quatre coins du monde. 



On se serait fait beaux. On aurait eu du style. On aurait dansé pour chasser le chagrin, t’ouvrir le passage vers l’autre vie. Il y a une danse pour cela, qui fait couler les larmes et apaise en même temps. Tu aimais que l’on danse.





Alors, on danse. Et on te remercie. Bon voyage, tonton Manu.





Léonora Miano









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MessageSujet: "Sachez, Monsieur le Président, que nous ne laisserons plus nous voler notre vie..." : Annie Ernaux   Lettre à La France Icon_minitimeLun 30 Mar 2020, 15:13

Annie Ernaux est écrivain. Elle vit à Cergy, en région parisienne. Son oeuvre oscille entre l'autobiographie et la sociologie, l'intime et le collectif. Dans cette lettre adressée à Emmanuel Macron, elle interroge la rhétorique martiale du Président.










   

"Sachez, Monsieur le Président, que nous ne laisserons plus nous voler notre vie..." : Annie Ernaux

Cergy, le 30 mars 2020


Monsieur le Président,

« Je vous fais une lettre/ Que vous lirez peut-être/ Si vous avez le temps ». 


À vous qui êtes féru de littérature, cette entrée en matière évoque sans doute quelque chose. 


C’est le début de la chanson de Boris Vian Le déserteur, écrite en 1954, entre la guerre d’Indochine et celle d’Algérie. 


Aujourd’hui, quoique vous le proclamiez, nous ne sommes pas en guerre, l’ennemi ici n’est pas humain, pas notre semblable, il n’a ni pensée ni volonté de nuire, ignore les frontières et les différences sociales, se reproduit à l’aveugle en sautant d’un individu à un autre. 




Les armes, puisque vous tenez à ce lexique guerrier, ce sont les lits d’hôpital, les respirateurs, les masques et les tests, c’est le nombre de médecins, de scientifiques, de soignants. 


Or, depuis que vous dirigez la France, vous êtes resté sourd aux cris d’alarme du monde de la santé et  ce qu’on pouvait lire sur la  banderole  d’une manif  en novembre dernier -L’état compte ses sous, on comptera les morts - résonne tragiquement aujourd’hui. Mais vous avez préféré écouter ceux qui prônent le désengagement de l’Etat, préconisant l’optimisation des ressources, la régulation des flux,  tout ce jargon technocratique dépourvu de  chair qui noie le poisson de la réalité.




 Mais regardez, ce sont les services publics qui, en ce moment, assurent majoritairement le fonctionnement du pays :  les hôpitaux, l’Education nationale et ses milliers de professeurs, d’instituteurs si mal payés, EDF, la Poste, le métro et la SNCF. Et ceux dont, naguère, vous avez dit qu’ils n’étaient rien, sont maintenant tout, eux qui continuent de vider les poubelles, de taper les produits aux caisses, de  livrer des pizzas, de garantir  cette vie aussi indispensable que l’intellectuelle,  la vie matérielle.  




Choix étrange que le mot « résilience », signifiant reconstruction après un traumatisme. 


Nous n’en sommes pas  là. Prenez garde, Monsieur le Président, aux effets de ce temps de confinement, de bouleversement du cours des choses. 


C’est un temps propice aux remises en cause. Un temps   pour désirer un nouveau monde. Pas le vôtre ! Pas celui où les décideurs et financiers reprennent  déjà  sans pudeur l’antienne du « travailler plus », jusqu’à 60 heures par semaine. Nous sommes nombreux à ne plus vouloir d’un monde  dont l’épidémie révèle les inégalités criantes, Nombreux à vouloir au contraire un monde  où les besoins essentiels, se nourrir sainement, se soigner, se loger, s’éduquer, se cultiver, soient garantis à tous, un monde dont les solidarités actuelles montrent, justement, la possibilité. 


Sachez, Monsieur le Président, que nous ne laisserons plus nous voler notre vie,  nous n’avons qu’elle, et  « rien ne vaut la vie » -  chanson, encore, d’Alain  Souchon.




 Ni bâillonner durablement nos libertés démocratiques, aujourd’hui restreintes, liberté qui  permet à ma lettre – contrairement à celle de Boris Vian, interdite de radio – d’être lue ce matin sur les ondes d’une radio nationale.




Annie Ernaux

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MessageSujet: "Je vais essayer de te dire comment c'était d'être une femme quand j'avais 20 ans..." - Le Clézio   Lettre à La France Icon_minitimeLun 30 Mar 2020, 15:18

"Je vais essayer de te dire comment c'était d'être une femme quand j'avais 20 ans..." 


 Le Clézio





Il est écrivain. En 2008 il recevait le prix Nobel de Littérature. Dans cette lettre, adressée à sa petite fille, il fait le vœu d'une société dans laquelle les femmes ne seront plus victimes de la violence des hommes.



Lettre à La France Bb22

Jeune fille des années 1960 © Getty / picture alliance[/size][/size]

"Pour Itzi, qui aura vingt ans en 2040,


Je vais essayer de te dire comment c'était d'être une femme quand j'avais vingt ans.


Tomber enceinte en dehors du mariage, à cette époque, c'était entrer dans un cauchemar. La contraception n'existait pas vraiment. Pour une fille il était absolument impensable d'entrer dans une pharmacie et de demander des préservatifs. 

Elle pouvait (avec l'accord de ses parents) se faire placer un stérilet, mais quels parents auraient accepté cette honte ? Il existait, en revanche - et tout le monde le savait, même si personne n'en parlait ouvertement - des spécialistes, des faiseuses d'anges (c'était le joli surnom sinistre que ces femmes portaient). 



Droit à l'avortement, la tentation du recul


Être une femme libre de son corps à cette époque était très compliqué. Mais il y avait beaucoup d'autres problèmes. Je ne vais pas te parler des brutalités que les hommes faisaient parfois subir aux filles - en toute impunité, parce que, sous la pression morale des familles, il était impensable qu'une fille portât plainte pour des attouchements ou viols.


 Je me contenterai de mentionner le climat d'extrême prédation qui régnait à peu près partout, par exemple a la Fac de Lettres, où un des profs (un docteur en littérature américaine) s'attaquait systématiquement à toutes les étudiantes, les convoquant dans son bureau sans témoins pour essayer d'obtenir, en échange d'une bonne note aux examens, des faveurs qu'elles essayaient de refuser. 

Cet homme était une des stars de l'Université, bardé de décorations et encensé par l'Académie. C'était aussi un salopard, mais personne n'en parlait. Apprendre à être une femme, en ce temps-là, c'était apprendre à vivre dangereusement. En silence. Pourtant, l'amour existait, et dans l'innocence et l'expérience, la violence de la vie trouvait bien sa rédemption.


À l'heure où je t'écris cette lettre - alors que tu commences à peine à vivre - les femmes ont décidé de ne plus se soumettre à la violence de certains hommes.

 Elles ont décidé de se battre, de faire savoir, de résister. Tu devras les admirer pour cela et opposer un sarcasme à la prétendue indignation de tous ceux qui veulent voir dans ce combat un ressaut de puritanisme et une moralisation militante, voire une manœuvre pour prendre le pouvoir. 

Ce combat n'est pas facile : l'on discute beaucoup sur la différence qu'il y aurait entre l'artiste et la vie. L'art aurait le privilège de se situer dans les limbes, au-dessus de toute morale. Par son talent, l'artiste transcenderait les turpitudes de sa conduite réelle.

 J'espère que dans le temps où tu vivras, loin de moi, loin de notre époque un peu folle, on ne se posera plus cette question - et que seront définitivement renvoyés dans la nuit des mythes, la Barbe-Bleue et Agostino Tassi, l'agresseur d'Artémisia Gentileschi - et bien sur, Matzneff et Polanski."


J.M.G. Le Clézio




Lecture par Augustin Trapenard



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MessageSujet: "Seul l’amour sait nous raconter à ceux qui savent écouter..." - Yasmina Khadra   Lettre à La France Icon_minitimeJeu 02 Avr 2020, 11:00

"Seul l’amour sait nous raconter à ceux qui savent écouter..." - Yasmina Khadra




Yasmina Khadra est écrivain.
 Il est né en Algérie. On lui doit notamment "Les hirondelles de Kaboul". Dans cette lettre adressée à sa mère décédée, il lui témoigne sa reconnaissance, se souvient d'instants de grâce, et exprime son désarroi face au temps qui sépare les êtres qui se sont aimés.


Lettre à La France Bbb22




"Seul l’amour sait nous raconter à ceux qui savent écouter..." - Yasmina Khadra :copyright: Getty / proxyminder






Paris, le 2 avril 2020.




Ma chère petite maman,

Depuis quelques jours, je suis confiné chez moi à cause du coronavirus. L’enfermement est devenu une habitude, pour moi. Je sors rarement. Le temps parisien ne se prête  guère à un enfant du Sahara qui ne reconnaît le matin qu’à sa lumière éclatante et qui a toujours rangé la grisaille du côté de la nuit. 




Je suis en train de terminer un roman — le seul que j’aurais aimé que tu lises, toi qui n’as jamais su lire ni écrire. Un roman qui te ressemble sans te raconter et qui porte en lui le sort qui a été le tien. 




Je sais combien tu aimais la Hamada où tu adorais traquer la gerboise dans son terrier et martyriser les jujubiers pour quelques misérables fruits. Eh bien, j’en parle dans mon livre comme si je cherchais à revisiter lieux qui avaient compté pour toi. Je parle des espaces infinis, des barkhanes taciturnes, des regs incandescents et du bruit des cavalcades. Je parle des héros qui furent les tiens, de Kenadsa et de ses poètes, des sentiers poussiéreux jalonnés de brigands et des razzias qui dépeuplaient nos tribus. 




C’est toi qui m’as donné le courage de m’attaquer enfin à cette épopée qui me hante depuis des années. Je craignais de n’avoir pas assez de souffle pour aller au bout de mon texte, mais il a suffi que je pense à toi pour que mes peurs s’émiettent comme du biscuit. 




Chaque fois que j’emprunte un chapitre comme on emprunte un passage secret, je perçois une présence penchée par-dessus mon épaule. Je me retourne, et c’est toi, ma maman adorée, ma petite déesse à moi. 


Je te demande comment tu vas, Là-haut ? Tu ne me réponds pas. 


Tu préfères regarder l’écran de mon ordi en souriant à cette écriture si bien agencée dont tu n’as pas les codes. Je sais combien tu aimes les histoires. Tu m’en racontais toutes les nuits, autrefois, lorsque le sommeil me boudait. Tu posais ma tête sur ta cuisse et tu me narrais les contes berbères et les contes bédouins en fourrageant tendrement dans mes cheveux. Et moi, je refusais de m’assoupir tant ta voix était belle. Je voulais qu’elle ne s’arrête jamais de bercer mon âme. Il me semblait, qu’à nous deux, nous étions le monde, que le jour et la nuit ne comptaient pas car nous étions aussi le temps. 




C’est toi qui m’a appris à faire d’un mot une magie, d’une phrase une partition et d’un chapitre une saga. C’est pour toi, aussi, que j’écris. Pour que ta voix demeure en moi, pour que ton image tempère mes solitudes. 


Toi qui frisais le nirvana lorsque tu te dressais sur la dune en tendant la main au désert pour en cueillir les mirages ; toi qui ne pouvais dissocier un cheval qui galopait au loin d’une révélation divine, tu te sentirais dans ton élément dans ce roman en train de forcir et tu ferais de chacun de mes points d’exclamation un point d’honneur. 




Comment oublier l’extase qui s’emparait de toi au souk dès qu’un troubadour inspiré se mettait à affabuler en chavirant sur son piédestal de fortune ? 
Pour toi, comme pour Flaubert — un roumi qui n’était ni gendarme ni soldat, rassure-toi — tout était vrai. Etaient vraies les légendes décousues, vraie la rumeur abracadabrante, vrai tout ce qui se disait parce que, pour toi, c’était cela le pouls de l’humanité. 


Quand il m’arrive de retourner à Oran, je vais souvent m’asseoir à notre endroit habituel et convoquer nos papotages qui se poursuivaient, naguère, jusqu’à ce que tu t’endormes comme une enfant. 




C’était le bon vieux temps, même s’il ne remonte qu’à deux ans — deux ans interminables comme deux éternités. Nous prenions le frais sur la véranda, toi, allongé sur le banc matelassé et moi, tétant ma cigarette sur une marche du perron, et nous nous racontions des tas d’anecdotes en riant de notre candeur. Tu plissais les yeux pour mieux savourer chaque récit, le menton entre le pouce et l’index à la manière du Penseur. 




Mon Dieu ! Que faire pour retrouver ces moments de grâce ? 


Quelle prière me les rendrait ? Mais n’est-ce pas dans l’ordre des choses que de devoir restituer à l’existence ce qu’elle nous a prêté ? 


On a beau croire que le temps nous appartient, paradoxalement, c’est à lui que revient la tâche ingrate de séparer à jamais ceux qui se chérissent. Ne reste que le souvenir pour se bercer d’illusions. Ma petite maman d’amour, depuis que tu es partie, je te vois dans toute grand-mère ? Qu’elles soient blondes, brunes ou noires, il y a quelque chose de toi en chacune d’elles.


 Si ce ne sont pas tes yeux, c’est ta bouche ; si ce n’est pas ton visage, ce sont tes mains ; si ce n’est pas ta voix, c’est ta démarche ; si ce n’est rien de tout ça, c’est l’émotion que tu as toujours suscitée en moi. 


Et pourtant, partout où je vais, même là où il n’y a personne, c’est toi que je vois me faire des signes au fond des horizons. Tantôt étoile filante dans le ciel soudain triste que tu lui fausses compagnie, tantôt île de mes rêves au milieu d’un océan de tendresse aussi limpide que ton cœur, tu demeures mon aurore boréale à moi. 


Si je devais un jour te rejoindre, maman, je voudrais qu’il y ait une part de nous deux dans tout ce qui nous survivrait. Puisque seul l’amour sait nous raconter à ceux qui savent écouter.




Yasmina Khadra

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Dernière édition par Faï Tirà le Sam 04 Avr 2020, 11:32, édité 1 fois
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MessageSujet: "Mes chéris, savez-vous combien je vous aime ?" - Susie Morgenstern   Lettre à La France Icon_minitimeJeu 02 Avr 2020, 21:44





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"Mes chéris, savez-vous combien je vous aime ?" - Susie Morgenstern




 
Susie Morgenstern est née dans le New Jersey, aux Etats Unis. Elle vit et travaille à Nice, où elle écrit des livres pour la jeunesse. Dans cette lettre adressée à ses petits-enfants, elle parle de procrastination, d'écriture et de solidarité.



Lettre à La France Bb18


 
"Mes chéris, savez-vous combien je vous aime ?" Susie Morgenstern :copyright: Getty / alexey_ds




Nice, le 31 mars 2020




Chers Yona, Noam, Emma et Sacha,




Vous le savez déjà : je ne suis pas une fée du ménage. Je suis disciplinée pour certaines choses et pas pour d’autres. Mais, je voudrais profiter de cette période de confinement à Nice pour faire le grand nettoyage de printemps sachant que je ne suis pas douée.


Je vais vraiment m’appliquer. 


D’abord, j’écris quelques lignes pour me donner du courage et puis promis, j’y vais. Et oui, je préfère écrire une histoire que de faire le tri dans mes affaires.


 Me voilà prête. J’ouvre un tiroir, la boîte de Pandore, une jungle de machins et de trucs que la consommation frénétique de ma jeunesse a fait s’accumuler. Je regarde, consternée, mais je ne touche à rien ! Est-ce que j’ai vraiment besoin de quatre louches, trois couteaux à pain, six paires de ciseaux, cinq agrafeuses et des collections infinies de pacotille ? 




Je ne referme pas le tiroir, mais je m’enfuis devant mon écran. Tout sauf ça. La mauvaise conscience me pousse à y retourner et à contempler la scène du crime. Je garde tout, au cas où l’un de vous en aurait besoin le jour où vous vous installerez en ménage. (Il y a une louche pour chacun d’entre vous !)




Je prépare mon déjeuner. 




Le tiroir me nargue. Après la sieste, peut-être …




Au lit, je ne me permets pas plus de cinq pages de relecture de Virginia Woolf « Une chambre à soi ». Au compte-gouttes pour savourer.  Et comme chaque fois que je lis un chef d’œuvre, j’espère que vous le lirez aussi. 


Que vous lirez tout court !




Je retourne au travail. Je parcours mes messages. On me demande un article. Autant commencer tout de suite. Mais le tiroir est ouvert comme la bouche béante d’un monstre. Je remarque un chocolat qui aurait pu être là depuis l’antiquité.




Je le mange. Et puis d’un coup décisif et déterminé, je vide le tiroir pour former une montagne sur la table de la salle à manger. Il y a un vieux cahier et des stylos. Je m’assois pour les essayer et je retrouve le plaisir d’écrire sur du papier. Je pense à tous mes manuscrits écrits à la main avec nostalgie.




Mes yeux tombent sur un paquet de ballons de toutes les couleurs, un stock suffisant pour une future fête gigantesque. J’en gonfle un. Puis, un à un, je les gonfle tous. 


C’est un effort considérable, mais je ne peux pas m’arrêter. Les ballons remplissent la maison de légèreté, d’espoir, de folie. Un à un je les envoie par la fenêtre, mon message de gratitude et d’admiration au personnel soignant. Je les connais bien après ma longue maladie, ces anges sur terre, nos héros. 


Chaque ballon dit « I love you ! »




Comme les ballons sont appropriés ! Aujourd’hui c’est mon anniversaire : j’ai 75 ans ! Happy birthday to me !




Mes ballons expédiés, je fixe le contenu du tiroir, je fais les cent pas et d’un geste définitif et concluant, je remets toute la pagaille à sa place. Dans un mois peut-être ?




Entre temps, ne serait-il pas urgent et important de vider le tiroir du bric à brac qui se trouve dans ma tête ?




Mes chéris, savez-vous combien je vous aime ?




Votre Bubie, Susie Morgenstern

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MessageSujet: "Nous pensons à vous parce qu’en plus des murs clos, un Minotaure vous terrorise" - Sorj Chalandon   Lettre à La France Icon_minitimeSam 04 Avr 2020, 11:44

"Nous pensons à vous parce qu’en plus des murs clos, un Minotaure vous terrorise" - Sorj Chalandon



 



Sorj Chalandon est écrivain et journaliste. Il est né à Tunis. Son oeuvre est une examen minutieux de catastrophes collectives et intimes. 


Dans cette lettre dédiée aux femmes battues, il exhorte les victimes de violences conjugales à se mettre à l'abri.






J’écris de la maison parce que c’est moins loin de chez moi, le 3 avril 2020




Depuis quelques jours, « Les passantes » tournent lentement dans ma tête. La chanson triste et belle de Henri Pol et Georges Brassens. « À celles qui sont déjà prises / Et qui, vivant des heures grises / Près d’un être trop différent / Vous ont, inutile folie  / Laissé voir la mélancolie/ D’un avenir désespérant. »



Aujourd’hui, les passantes ne passent plus. 

Certaines sont confinées auprès de cet être trop différent, prisonnières de cet avenir désespérant. Et c’est à elles que je m’adresse. 


À vous, qui n’aviez que l’air libre pour respirer, la rue, le travail, les copines, tous ces instants sans lui. À vous, qui rentrez le soir la peur au ventre, en l’entendant marcher derrière la porte. 

À vous, que ses silences terrorisent autant que ses cris. À vous, qui cachez aux autres vos yeux meurtris derrière des sourires tristes. À vous, qui prétendez une fois encore vous être cognées contre un meuble. À vous, qui redoutez que sa main se transforme en poing. À vous, qui protégez vos enfants de sa rage.

 À vous qui pleurez tout bas. À vous, qui êtes prisonnières du virus, de vos murs, d’un homme cogneur. À vous, qui êtes captives d’un salaud. 
Je ne connais pas votre prénom, mais à le prononcer, voilà les prénoms du monde. 

Tous les visages. Toutes les couleurs de peau. Peu importe votre vie. Beaux quartiers, quartiers vilains, vos larmes ont le même goût de sel. Et où que ce soit. Dans cette pièce misérable ou ce salon somptueux, vous êtes sœurs de douleurs. 


Nous rendons hommage, et c’est justice, aux soignants qui combattent à mains nues. Aux inconnus, aux invisibles, à ceux qui font que la machine cahote sans s’arrêter.


Mais vous, qui vous console ? Lorsque vous souffrez, lorsque vous mourrez, je n’entends monter que des voix de femmes. Ils sont où, les hommes ? Pas les mecs, les hommes ? Ceux qui devraient combattre à vos côtés ? 


Depuis des jours, le salaud a fixé un bracelet électronique à votre cheville. La promenade se fera autour du pâté de maison. Quelques courses et retour à la case prison. 

Les enfants, le ménage et le salaud qui ne sait plus quoi faire de lui. Qui occupe le coin télé. Le salaud qui boit la bière de trop. 


Nous sommes loin de vous, passantes. Nous, applaudissant aux fenêtres, vous dissimulées derrière vos volets. Mais sachez que nous pensons à vous.


Nous pensons à vous parce qu’en plus des murs clos, un Minotaure vous terrorise. Et que cette idée doit nous être insupportable, à tous. Pas seulement en ces temps prisonniers mais après, bien après, lorsque nous nous embrasserons dans la rue et que vous resterez en cellule. 


Sur nos autorisations de circuler, une case indique: « déplacements pour motif familial impérieux, pour l’assistance à personnes vulnérable ». En cas de danger, vous êtes cette personne vulnérable. Et vous mettre à l’abri est un devoir impérieux. 

C’est à vous, a dit le poète, que je voulais dédier ces mots… 

Sorj  Chalandon

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MessageSujet: "Et ta moue et ton sourire et ta raideur m’accueilleront. Dis-moi oui." - Christiane Taubira   Lettre à La France Icon_minitimeLun 06 Avr 2020, 13:56

"Et ta moue et ton sourire et ta raideur m’accueilleront. Dis-moi oui." 


- Christiane Taubira



   



Christiane Taubira est née à Cayenne. Elle a été Garde des sceaux entre 2012 et 2016. Dans cette lettre adressée à une jeune femme sans abri, elle use de son art de la digression, pour mieux exprimer son inquiétude concernant la vulnérabilité des personnes sans domicile face à l'épidémie.


Lettre à La France Bb28


Christiane Taubira © AFP / Jewel Samad



"Cayenne, le 6 avril 2020







Hello Julie,







Avant tes mots, c’est ta moue puis ton sourire puis une légère raideur vertébrale qui me répondent… m’auraient répondu. 



Car je ne peux plus passer te voir. C’est ainsi depuis plus de quatre mois maintenant. Je vis à des milliers de kilomètres. Ici, nous n’avons pas besoin de guetter un printemps capricieux. Il fait beau toute l’année. Et ce n’est pas un cliché. Même les deux saisons pluvieuses sont traversées, tous les trois ou quatre jours, d’après-midis ardemment ensoleillées. 



D’ailleurs depuis quelques temps, ici comme partout, le temps fait comme il veut. Les météorologistes eux-mêmes semblent désorientés. Et je peux te dire que le Covid n’a rien à y voir. C’était déjà comme ça des mois avant ce fléau. C’est étonnant la vie des mots ! Il n’y a pas si longtemps, disons quoi, vingt, trente ans - pour toi qui n’étais pas née, évidemment, ça fait un siècle - donc il n’y a pas si longtemps, calamité était un mot plus fort que fléau. Calamité suggérait une plus grande diversité de dégâts. 



Je ne crois pas que ça ait à voir avec son genre… féminin. Je pense plutôt que ses sonorités courtisaient l’imagination bien davantage que ne sait le faire le fléau. Assurément, ce n’est pas tout à fait ainsi que le dit le Dictionnaire historique des mots, d’Alain Rey. Mais les savants proposent, les langages populaires disposent. 





Je te disais donc, chère Julie, que les météorologistes perdent le nord. Ou plutôt le sens des marées. Il faut dire que c’est à vue d’œil que la mer se livre à des foucades. Elle se retire loin, très loin, laisse remonter puis durcir pendant des heures, d’immenses étendues de vase parcourues ça et là d’entailles plus tendres, presque liquides, où les aigrettes, ces oiseaux au plumage immaculé qui volent en escadrilles, se régalent de larves jusqu’au retour de l’eau. Chez nous, l’eau de la mer est marron car elle reçoit les alluvions de l’Amazone. Cela fait près d’un an déjà que la mer joue à ça. Il n’y aucune raison pour que les choses aient changé ces deux dernières semaines. Je crois plutôt que cela va durer encore une bonne année et que nous verrons revenir plus tôt que d’habitude la mangrove de palétuviers. 

Mais je suis incorrigible avec mes digressions ! 



Ce n’est pas de la mer que j’avais prévu de te parler. Je voulais juste te dire que je pense très fort à toi. Et à quelques autres, ici et chez toi. Je me demande ce que tu deviens. 

J’avais renoncé à te convaincre. Par respect pour ton choix de liberté. Mais je n’ai jamais cessé d’en être inquiète. 



J’ai admis ce choix dès la nuit de notre première rencontre. J’accompagnais une maraude du SAMU. Tu ne voulais pas être hébergée. Admettre ne signifie ni comprendre ni accepter. 

Julie ? Julie ???? Tu réponds ?! 





Je repasserai. Je reviendrai dans cet angle de rues. Et ta moue et ton sourire et ta raideur m’accueilleront. Dis-moi oui. 





Christiane Taubira"

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MessageSujet: "Tu lisais pour toi même (...) contre tout ce qui prétendait te priver d'être..." - Daniel Pennac   Lettre à La France Icon_minitimeMar 07 Avr 2020, 14:07


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"Tu lisais pour toi même (...) contre tout ce qui prétendait te priver d'être..." - Daniel Pennac



Daniel Pennac est écrivain.
 Il est né à Casablanca et vit à Paris. Dans cette lettre adressée à une jeune femme croisée dans le métro avant le confinement, il célèbre avec tendresse, les vertus libératrices de la lecture.




Lettre à La France Bb35


Lettre de Daniel Pennac à une jeune lectrice du métro © Getty / Eva-Katalin



Paris, le 7 avril 2020


A une jeune fille qui lisait dans le métro



Ma toute belle,


Tu es, je crois, mon dernier souvenir de métro. De ces temps où nous pouvions nous déplacer tous ensemble, avant que corona ne nous enferme chez nous. 


Ligne 6, tu étais assise en face de moi et tu lisais La guerre et la paix de Tolstoï. A en juger par l'épaisseur de ce qui te restait à lire, tu devais être en pleine bataille de Borodino. A cette seconde où le prince André attend l'explosion de l'obus qui tournoie en crachotant à ses pieds et qui le tuera. Tu pouvais avoir dix-huit ans. Dans tes yeux de lectrice l'ardeur disait clairement que tu manquerais ta station. Tu lisais pour toi-même, tu lisais pour Tolstoï, mais tu lisais aussi contre le métro, contre le boulot, contre tout ce qui prétendait te priver d'être. 


Ce que tu lisais je l'avais lu plus d'un demi siècle avant toi et je m'en souvenais encore. Est-ce la mort ? se demande le prince André en regardant l'obus fuser si près de lui. Et voilà que pour la première fois il s'intéresse aux herbes qui frémissent, à l'air qu'il respire. Voilà que pour la première fois peut-être, il se sent absolument vivant. Il ne veut pas mourir. Pourtant, à l'officier qui, près de lui, se jette à plat ventre pour ne pas être blessé, il dit : Un peu de dignité, voyons ! Une phrase de ce genre. Et l'obus explose.


Eh bien voilà, ma pitchounette, l'obus a explosé. Il fallait nous y attendre. A force d'attiser le feu sous la cocotte minute, Boum ! On y a tous eu droit. Chacun confiné chez soi sur toute la surface de la planète, mais désireux de vivre encore, comme le prince André. Plus de boulot, plus de métro. Plus que soi. Et tous occupés à espérer. 


A espérer quoi, au fait ? 


Dans mon cas à espérer que tu puisses un jour raconter ça à des enfants. 


"Mes petits, dans les années 20, pendant ce foutu confinement dû au corona virus, j'ai découvert que la lecture sauvait de tous les enfermements. Un matin sur France inter, un type a raconté que le philosophe Antonio Gramsci lisait Kipling et Anna Karenine pour s'évader des prisons de Mussolini, que Soljénitsyne, l'auteur de L'archipel du Goulag, écrivait et lisait contre le bagne et le cancer, que le Chinois Dai Sijie s'était sauvé de son camp de rééducation en lisant Balzac, que, pour ne pas devenir fou, l'otage Jean-Paul Kaufmann avait relu indéfiniment le deuxième volume de Guerre et Paix. 


Ce jour-là, les enfants, j'ai donné rendez-vous aux 28 locataires de mon immeuble pour deux heures de lecture quotidienne. Je me suis assise sur mon palier et je leur ai lu Cent ans de solitude, le roman de Gabriel Garcia Marquès. Une heure le soir, une heure le matin, juste avant qu'ils ne s'endorment et juste après qu'ils se réveillent. Je n'irai pas jusqu'à dire que ce furent les cent plus belles années de nos vies, mais en tout cas ce ne fut pas du temps perdu.


Voilà ma toute belle, je pense qu'un jour tu raconteras ça aux jeunes générations. En attendant, j'embrasse ton beau visage de lectrice. Vivent toi et ton futur.  


Daniel Pennac

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MessageSujet: "Je suis venue te dire adieu ; je préfère te murmurer : merci" - Nina Bouraoui   Lettre à La France Icon_minitimeJeu 09 Avr 2020, 23:20

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"Je suis venue te dire adieu ; je préfère te murmurer : merci" - Nina Bouraoui


Nina Bouraoui est née à Rennes. 


Elle a grandi entre l'Algérie et la France. Dans son oeuvre empreinte de violence et de délicatesse, elle s'aventure sur les terrains de l'intime, de l'identité et de l'écriture. 


Dans cette lettre, elle rend un dernier hommage à son grand-père maternel, disparu en mars.


   




Paris, le 9 avril 2020


Cher grand père, tu t’en vas en ce sombre mois de mars dans le salon bleu de la maison du Tabor, là où Simone, ton épouse, s’éteignait déjà, il y a quinze ans, sans moi. 



Je crois en la puissance des regrets : pardon. Je crois en la puissance des espaces : Simone t’attend et t’accompagnera, dès que tu te sentiras prêt à la suivre, vers l’Invisible.


Enfant, le salon bleu était ma partie préférée de la maison, lieu transitoire de mes vacances d’été avant de gagner Saint Malo, Saint Briac, Saint Lunaire, terres de mes amours primitives et solaires ; salon secret où je m’enfermais à la recherche d’un trésor que je n’ai jamais trouvé ; peut-être savais-je déjà qu’il serait votre dernier abri et le lieu de notre dernier rendez-vous. 


Je me tiens près de toi, les mains ouvertes et le cœur perdu, interdite d’étreinte et de baiser, tu es si fragile et tu sembles si fort, escorté par ta beauté qui ne t’a jamais quitté. Je te regarde à peine, j’ai peur de te brûler.  


Je suis sans mot, et pourtant, j’ai tant écrit sur notre famille qui n’a su ni s’entendre, ni se retrouver. 


J’ai appris, tard, que tu me lisais, avec admiration et parfois fierté, mais la littérature peut échouer face au mur du silence. 


Longtemps nous fûmes de faux adversaires, doux car désarmés.
En raison peut-être de ton très grand âge, nous nous sommes un jour rapprochés, sans devenir de véritables alliés, restant sur nos gardes, mais nous écrivant, nous appelant, nous aimant je crois : nous étions comme les marins qui se saluent en pleine mer pour se protéger.


Tu portes un tricot blanc à manches courtes, tes bras sont posés sur le drap qui couvre ton ventre, ton corps, sec, noueux, me fait penser au corps de Samuel Beckett que Richard Avedon a photographié. Je scelle vos deux images à tout jamais, unissant nos univers et nos croyances.


Je te promets d’honorer ta mémoire et laisse-moi te ramener au Merveilleux d’un matin d’août, au lendemain de mes neuf ans, quand nous gravissions le sentier d’une colline qui nous éloignait de Nîmes, des arènes, de sa foule bruyante. 
Nous étions ivres de liberté, grimpant sans compter nos forces, les jambes griffées par les ronces et les orties. 

Nous étions fous de bonheur, tendus vers un but invisible dont nous avions tous les deux la prémonition.  


Tu m’attendais quand je tardais et je t’attendais quand je te dépassais ; jamais je n’aurais été autant ta petite fille et jamais tu n’auras été autant mon grand père. 
Derrière les herbes hautes nous découvrîmes enfin  les ruines d’un château médiéval.

Nous avons escaladé les tours à demi détruites, franchi les seuils des chambres et des salons, nous avons dansé avec des fantômes et gravi les marches du donjon.  

Nous avions de l’imagination, mais une chose existait : unis par les branches d’un seul arbre, j’appartenais à ton histoire, moi, si hantée par mes origines qui nous aurons tant séparés.  


Je suis venue te dire adieu ; je préfère te murmurer : merci.


Nina Bouraoui

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MessageSujet: Re: Lettre à La France   Lettre à La France Icon_minitimeLun 13 Avr 2020, 10:04

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Wajdi Mouawad est auteur et metteur en scène. 


Il est né au Liban. 


Depuis 2016, il est directeur du Théâtre de la Colline. Dans cette lettre adressée à l'homme que sera son fils, il s'interroge sur le monde laissé aux générations futures, et réaffirme la puissance des valeurs que sont l'amour, le courage et la bonté.



 


Lettre à La France Bb50





"Nogent-sur-Marne, le 12 avril 2020




Mon cher petit garçon, 



T’écrire ces quatre mots me bouleverse. Ils rendent si réel l’homme que tu es, en cet aujourd’hui qui est le tien, quand, dans celui qui est le mien, tu n’es encore qu’un enfant. 




Cette lettre je l’adresse donc à l’homme que tu n’es pas encore pour moi, mais que tu es devenu puisque te voilà en train de la lire. Tu l’auras trouvée sans doute par hasard sur cette clé où je consigne en secret les trésors de ton enfance. J’ignore l’âge que tu as, j’ignore ce qu’est devenu le monde, j’ignore même si ces clefs fonctionnent encore mais j’ai espoir que, la découvrant, tu trouveras un moyen de l’ouvrir. 




Et par la magie de l’écriture, voici que cette lettre devient la fine paroi qui nous relie, et entre l’aujourd’hui où je t’écris - où tu commences à déchiffrer les phrases, où tu as peur dans le noir, où tu crois à la magie - et celui où tu me lis, chaque mot de ma lettre a gardé sa présence ; si à l’instant j’écris je t’aime, voilà qu’à ton tour, des années plus tard, tu lis je t’aime



Et que t’écrire d’autre que je t’aime, alors que nous vivons ce que nous vivons en ce confinement dont tu n’as peut-être plus qu’un vague souvenir ? 

Quoi dire de plus urgent que l’amour ? 


En ces journées étranges où rode une mort invisible et où le monde va vers son ravin, un ravin qui semble être l’héritage laissés aux gens de ta génération, un père, plus que de raison, s’inquiète pour son fils. Je te regarde. Tu dessines un escargot. Tu lèves la tête et tu me souris. "Qu’est-ce qu’il y a papa ?" Rien mon garçon. 


Je ne sauverai pas le monde. Mais j’ai beau ne pas le sauver, je peux du moins te désapprendre la peur. T’aider à ne pas hésiter le jour où il te faudra choisir entre avoir du courage ou avoir une machine à laver. 

T’apprendre surtout pourquoi il ne faudra jamais prononcer les mots de Cain et, toujours, rester le gardien de ton frère. Quitte à tout perdre. J’ignore d’où tu me lis, ni de quel temps, temps de paix ou temps de guerre, temps des humains ou temps des machines, j’espère simplement que ton présent est meilleur que le mien. 


Nous nous enterrons vivants en nous privant des gestes de l’ivresse : embrassades, accolades, partage et nul ne peut sécher les larmes d’un ami. 


Mais si ton temps est pire que celui de ton enfance, si, en ce moment où tu me lis, tu es dans la crainte à ton tour, je voudrais par cette lettre te donner un peu de ce courage dont parfois j’ai manqué et, repensant à ce que nous nous sommes si souvent racontés, tu te souviennes que c’est la bonté qui est la normalité du monde car la bonté est courageuse, la bonté est généreuse et jamais elle ne consent à être comme une embusquée, qui, à l’arrière vit grâce aux sang des autres. 

Nul ne peut expliquer la grandeur de ceux qui font la richesse du monde. Donne du courage autour de toi et n’accepte jamais ce qui te révulse. 


Quant à moi : je t’aime. Ton père t’aime. Sache cela et n’en doute jamais. 


Ton père".


Wajdi Mouawad

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MessageSujet: JE NE VOUS PARDONNERAI PAS   Lettre à La France Icon_minitimeLun 13 Avr 2020, 15:10

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Lettre à La France Bbb23



JE NE VOUS PARDONNERAI PAS


« Comment osons-nous pousser des caddies et abandonner nos morts ? »








Julie a perdu sa mère en quelques jours. Après avoir contracté les premiers symptômes du Covid-19, Danielle a été hospitalisée, et à partir de ce moment, dans une violence inouïe et habillée de droit, son corps ne lui appartenait plus.



Julie a pris la voiture pour aller voir sa mère, être auprès d’elle dans ce moment décisif. Mais le médecin lui a dit qu’elle ne pourrait pas la voir, qu’elle pourrait seulement voir son corps avant qu’elle ne soit mise sans aucune toilette ni soin dans un sac mortuaire.


 Elle a donc attendu dans la chambre anonyme d’un hôtel de bord de route. Elle a regardé la télé, confinée dans son deuil impossible à faire. Elle est descendue commander un repas, un verre de vin. Elle a attendu pendant que sa mère attendait elle aussi sur son lit d’hôpital. 


Et puis elle a reçu un coup de fil. Elle était morte. Elle pouvait venir voir le corps. Ça lui a été présenté comme une fleur, un privilège. 


Elle est donc allée voir sa mère, le corps de sa mère encore tiède. Elle a dû mettre des gants, un masque. Elle a pu lui dire au revoir, commencer à réaliser ce que notre monde voulait lui voler : aimer sa mère.



Elle est retournée dans sa chambre d’hôtel, toujours anonyme. Elle a commencé à faire les démarches pour les obsèques : carte d’identité, livret de famille, choix du cercueil, de l’urne. Elle a appelé plusieurs pompes funèbres. Elle les a presque toutes appelées. Elles ont toutes répondu cette même réponse inaudible, impossible, inhumaine. 





Vous ne pourrez pas revoir le corps de votre mère, vous ne pourrez pas suivre le cercueil au funérarium, vous ne pourrez pas assister à la crémation, vous ne pourrez pas célébrer les obsèques. Vous pourrez venir chercher l’urne dans deux semaines.
Il n’est plus question ici de contagiosité. Il n’est plus question ici de coronavirus. 



On peut pousser son caddy au supermarché, mais on ne peut pas accompagner le cercueil de sa mère. On peut prendre sa voiture pour aller travailler, on peut planter des pommes de terre, on peut réparer des voitures, on peut transporter des marchandises, on peut livrer des colis, on peut faire le plein d’essence, on peut prendre l’autoroute, le train, où même l’avion. On peut quitter Paris, faire une location saisonnière, mais on ne peut pas dire adieu à sa mère, on ne peut pas assister à sa crémation, on ne peut pas dire lui dire un dernier poème, devant quelques proches réunis. Ça n’a rien à voir avec le coronavirus.


 Ça vient de nous, de notre inhumanité naissante.



Nous sommes dépossédés de nos défunts. L’État et son heuristique de la peur semble avoir conquis le monopole radical de la mort. Et je n’entends aucune voix, aucune rage, aucune fureur monter de la rue. Et je n’entends aucune plainte.



 J’ai passé le moment d’émerveillement face au retour de la nature. L’homme ne s’est pas retiré du monde, il s’est retiré de lui-même, il a retranché son humanité. Ne pas enterrer ses morts, c’est enterrer sa vie même.
Julie rentre demain. Elle ira chercher l’urne dans deux semaines. Elle ira chercher son deuil, et elle organisera les obsèques quand l’État lui en donnera le droit. 



Un corps représente encore une valeur marchande : cercueil, urne, funérarium, prestation des pompes funèbres. Le deuil, les larmes, le rituel, la chaleur humaine, le cœur, l’âme, les déchirements, les déchirures, les cicatrices, les colères, les rages, ça ne rapporte rien, ça ne mérite aucune case dans aucune attestation dérogatoire de déplacement. Mais c’est votre cœur que vous avez déplacé ! C’est votre cœur que vous avez oublié de cocher.



Julie ira faire les courses, elle ira sortir les poubelles, elle ira faire le plein, elle ira peut-être aider aux champs. Son deuil, elle s’en occupera plus tard. 



Quand elle n’aura plus le temps de s’en occuper. Quand on aura tous oublié, quand on voudra tous oublier. Elle lira un poème, peut-être au funérarium où sa mère a été incinérée.


 Peut-être qu’on y verra que du feu, qu’on fera comme si sa mère venait de mourir, comme si on avait pu lui dire au revoir, comme si on avait pu l’accompagner, lui tenir la main, la serrer, embrasser son front, comme si on avait entendu son dernier souffle, comme si on avait pu faire son deuil. 


Mais sera-t-on capable de faire comme si ? 


Comment osons-nous pousser des caddies et abandonner nos morts ? 


Comment osons-nous laisser les gens crever seuls ? Comment osons-nous regarder ailleurs ? Qui a l’autorité de nous dire comment accompagner nos défunts ? Qui a l’autorité de nous interdire un geste, un deuil, un murmure ?



Je ne vous pardonnerai pas de laisser crever les morts. Je ne vous pardonnerai pas d’avoir blessé ma compagne. 



Je ne vous pardonnerai pas votre inhumanité habillée d’urgence sanitaire. Vous voulez que j’écoute les oiseaux, que je regarde les rorquals dans les calanques, vous voulez que je visionne des séries, que je lise des livres. Vous voulez que je médite sur le sens de l’existence. 


La voilà ma méditation métaphysique : vous êtes des chiens aveugles qui piétinez nos âmes sur l’asphalte du progrès. Vous êtes les fantômes d’un monde mortifère détruisant nos songes. Vous avez presque le monopole radical de la mort, je ne vous laisserai pas celui de la vie.



Mathieu Yon

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MessageSujet: "Tu t’en souviens très bien je pense, de la chambre de notre enfance..."   Lettre à La France Icon_minitimeSam 18 Avr 2020, 12:17

"Tu t’en souviens très bien je pense, de la chambre de notre enfance..."




Sophie Fontanel


Sophie Fontanel est journaliste et romancière.

Dans cette lettre adressée à son frère, avec qui elle vit confinée, face à le mer, elle saisit quelques instantanés de leur quotidien, et fait l'éloge d'une tendresse fraternelle.





Lecture par Augustin Trapenard.




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MessageSujet: Il décroche le portrait d'Emmanuel Macron, le maire de Lavaurette dans le Tarn-et-Garonne convoqué par les gendarmes   Lettre à La France Icon_minitimeVen 04 Fév 2022, 19:54

Il décroche le portrait d'Emmanuel Macron, le maire de Lavaurette dans le Tarn-et-Garonne convoqué par les gendarmes


Publié le 04/02/2022 


Écrit par Juliette Meurin


Lettre à La France A1_web43

Nils Passedat, le maire de Lavaurette, dans le Tarn-et-Garonne. • © Jean-Pierre Jauze/FTV


Le maire de Lavaurette (82) était convoqué ce vendredi à la gendarmerie pour outrage à personne dépositaire de l'autorité publique. Une convocation qui intervient après avoir décroché le portrait du président de la République.


Une centaine de personnes se sont rassemblées ce vendredi 4 février en soutien au maire de Lavaurette convoqué à la gendarmerie de Caussade dans le Tarn-et-Garonne. Le maire de la petite commune et ses deux adjoints sont mis en cause pour outrage à personne dépositaire de l’autorité publique.


Le maire a décroché le portrait du président de la République et l’a restitué à la préfète du Tarn-et-Garonne accompagné d’une lettre. Dans ce courrier, il demande à la représentante de l’Etat si elle préfère suivre le chemin de Jean Moulin ou celui de Maurice Papon et il lui propose de recycler le portrait dans les latrines de la République.



Lettre à La France A1111



La lettre du maire de Lavaurette envoyée à la préfète du Tarn-et-Garonne • © copie de la lettre à la préfète



Enquête pour outrage



La préfète a fait un signalement au procureur qui a ouvert une enquête. L’audition de chacun des mis en cause a duré environ une demi-heure. Ils ont été entendus séparément par des enquêteurs de la Brigade de recherche de Montauban.




Citation :
C’est lui qui nous autorise à utiliser ce genre de vocabulaire (latrines) quand il parle d’emmerder les non-vaccinés.
Nils Passédat, maire de Lavaurette

Interrogé sur ces faits présumés d’outrage, le maire a expliqué qu’il ne les reconnaissait pas. 


"On a simplement repris la terminologie du président de la République", dit Nils Passédat. "C’est lui qui nous autorise à utiliser ce genre de vocabulaire (latrines) quand il parle d’emmerder les non-vaccinés. J’ai précisé, dit-il, que cette action était faite dans le sens du respect de la fonction présidentielle qui a été outragée par celui qui l’occupe".


 Dans un entretien au Parisien le 4 janvier 2022, le chef de l'Etat avait en effet prononcé ce mot "emmerdé" qui a suscité la polémique.




Nils Passédat a d’ailleurs porté plainte contre la préfète pour abus de pouvoir et contre le président de la République pour outrage à la fonction présidentielle.
"Les suites appartiennent au procureur", dit Nils Passédat, "soit elle classe l’affaire sans suite soit elle décide de poursuivre mais la matière juridique est insuffisante je pense pour qualifier l’outrage. 
Si elle décide de poursuivre cela sera jugé en correctionnel et on fera encore plus de tapage et on sera relaxé. 


Pour l’anecdote à la mairie de Lavaurette nous avions fait un signalement au procureur en 2015 et en 2018 pour un homme qui harcelait des femmes dans des maisons isolées et nous n’avons jamais eu de réponse".




La déclaration des droits de l'homme à la place du portrait du président




"Ce que l’on a fait ce n’est pas pour glorifier la mairie de Lavaurette c’est pour que les citoyens restent debout, marchent vers la liberté et refusent cette division. Ce geste est politique mais pas politicien", dit le maire sans étiquette. "La dignité citoyenne a été outragée". 


A la mairie de Lavaurette à la place du portrait d’Emmanuel Macron, c’est la déclaration universelle des droits de l’homme qui trône désormais en bonne place dans la salle du conseil municipal.

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