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 Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré

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Kiki
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MessageSujet: Les lettres célèbres   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Icon_minitimeMar 11 Mar 2014, 20:46



http://www.deslettres.fr/


Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré VanGogh-self-portrait-dedicated_to_gaugin-1

Lettre de Van Gogh à Paul Gauguin : "Nous donnons nos vies pour une génération de peintres qui durera encore longtemps."

Vincent Van Gogh, né le 30 mars 1853 et mort le 29 juillet 1890, est plus qu'un peintre et l'auteur d'une correspondance fameuse avec son frère : c'est un mythe central de l'art moderne. Avec Paul Gauguin, son frère terrible de l'art "fin de siècle", inventeurs d'un style et d'une destinée qui n'appartiennent qu'à eux, ils forment, comme Rimbaud


Nous donnons nos vies pour une génération de peintres qui durera encore longtemps.

Lettre de Van Gogh à Paul Gauguin

Vincent Van Gogh, né le 30 mars 1853 et mort le 29 juillet 1890, est plus qu’un peintre et l’auteur d’une correspondance fameuse avec son frère : c’est un mythe central de l’art moderne. Avec Paul Gauguin, son frère terrible de l’art « fin de siècle », inventeurs d’un style et d’une destinée qui n’appartiennent qu’à eux, ils forment, comme Rimbaud et Verlaine, George Sand et Flaubert, Godard et Truffaut, Montaigne et La Boétie, un duo légendaire de la culture. Avant leur brouille célèbre et l’épisode de l’oreille coupée, ils peignaient dans une marginalité précaire, s’écrivaient des lettres enflammées sur le nouvel art, rêvant tout haut de créer une communauté d’artistes souveraine et éclatante. Voici une lettre majestueuse (et pleine de fautes) de l’étrange hollandais au sauvage qui s’en ira vers les Marquises fonder son royaume.

3 octobre 1888

Mon cher Gauguin,

Ce matin j’ai reçu votre excellente lettre que j’ai derechef envoyé [sic] à mon frère ; votre conception de l’impressionniste en général, dont votre portrait est un symbole, est saisissante. Je suis on ne peut plus intrigué de voir cela – mais il me semblera j’en suis sûr d’avance que cette œuvre soit trop importante pour que j’en veuille en échange [sic]. Mais si vous voulez la garder pour nous, mon frère la vous prendra, ce que je lui ai immédiatement demandé, si vous voulez à la première [sic] occasion et espérons [sic] que cela sera sous bien peu. Car nous chercherons encore une fois à presser la possibilité de votre venue.

Je dois vous dire que même [sic] pendant le travail je ne cesse à songer à cette entreprise de fonder un atelier ayant vous-même [sic] et moi pour habitants fixes mais dont nous désirerons [sic] tous les deux faire un abri et un asile pour les copains au moments où ils se trouveront acculés dans leur lutte. Lorsque vous êtes [sic] parti de Paris mon frère et moi y avons encore passé ensemble un temps qui me demeurera toujours inoubliable. Les discussions avaient pris une envergure plus large – avec Guillaumin, avec Pissarro père [sic] et fils, avec Seurat que je ne connaissais pas (j’ai visité son atelier juste quelques heures avant mon départ). Dans ces discussions il s’est souvent agi de ce qui nous tient si fort au cœur à mon frère [sic] comme à moi, des mesures à prendre pour sauvegarder l’existence matérielle [sic] des peintres et de sauvegarder les moyens de production (couleurs, toiles) et de sauvegarder à eux directement leur part dans le prix que ne prennent leurs tableaux actuellement que longtemps après avoir cessé d’être [sic] la propriété des artistes. Lorsque vous serez ici nous repasserons en revue toutes ces discussions-là. Quoi qu’il en soit, lorsque j’ai quitté Paris, bien bien navré, assez malade et presqu’alcoolique [sic] à force de me monter le cou alors que mes forces m’abandonnaient – alors je me suis renfermé en moi-même et sans encore oser espérer à présent dans le vague d’un horizon cependant, voilà qu’elle me vient, l’espérance, cette espérance à éclipse qui dans ma vie solitaire m’a parfois consolée.

Or je désirerais vous faire une part fort large de cette croyance que nous allons relativement réussir [sic] à fonder une chôse [sic] de durée. Lorsque nous causerons de ces jours étranges de discussions dans les ateliers pauvres et les cafés du petit boulevard et que vous verrez en plein notre conception, celle de mon frère et de moi, qui ne s’est point réalisée [sic] en tant que formation d’une société – Néanmoins [sic] vous verrez qu’elle est telle que tout ce que l’on fera dans la suite pour remédier à l’état terrible de ces dernières [sic] années sera ou bien cela même que nous avons dit, ou quelque chôse [sic] de parallèle [sic] à cela. Tant nous avons pris la chôse [sic] par une base immuable. Et vous admettrez, lorsque vous aurez l’explication entière, que nous sommes allés alors bien au delà [sic] de ce plan que vous nous avons déjà communiqué. Que nous ayons été au delà [sic] ce n’est que notre devoir de marchands de tableaux car vous savez peut-être [sic] que moi aussi j’ai passé des années dans le commerce et je ne dédaigne [sic] pas un métier [sic] où j’ai mangé mon pain. Suffit pour vous dire que je ne crois pas que tout en vous isolant en apparence de Paris vous cesserez de vous sentir en rapport assez direct avec Paris. J’ai une fièvre [sic] de travail extraordinaire ces jours ci, actuellement je suis aux prises avec un paysage à ciel bleu au-dessus d’une immense vigne verte pourpre jaune, à sarments noirs et orangés. Des figurines de dames à ombrelles rouges, des figurines de vendangeurs avec leur charrette [sic] l’égayent encore. Avant-plan de sable gris. Toujours toile de 30 carrée pour la décoration [sic] de la maison. J’ai un portrait de moi tout cendré, la couleur cendrée qui résulte du mélange du Véronèse [sic] avec la mine orange, sur fond Véronèse [sic] pâle tout uni, à vêtement brun rouge, mais exagérant moi aussi ma personnalité [sic] j’avais cherché plutôt le caractère d’un bonze, simple adorateur du Bouddha éternel. Il m’a couté assez de mal mais il faudra que je le refasse entièrement si je veux réussir à exprimer la chose.

Il me faudra même encore me guérir davantage de l’abrutissement conventionnel de notre ainsi nommé état [sic] civilisé afin d’avoir un meilleur modelé [sic] pour un meilleur tableau. Une chôse [sic] qui me fait énormément [sic] plaisir : j’ai reçu une lettre hier de Bockc (sa sœur est dans les vingtièmes Belges) qui écrit [sic] s’être établi dans le Borinage pour y peindre charbonniers et charbonnages. Il reviendra cependant, à ce qu’il se propose, dans le midi – pour varier ses impressions et certes dans ce cas viendra à Arles. Je trouve excessivement communes mes conceptions artistiques en comparaison des vôtres. J’ai toujours des appétits [sic] grossiers de bête. J’oublie tout pour la beauté extérieure des choses que je ne sais pas rendre car je la rends laide dans mon tableau et grossière alors que la nature me semble parfaite. Maintenant pourtant l’élan [sic] de ma carcasse osseuse est tel qu’il va droit au but, de là il résulte une sincérité quelquefois originale peut-être [sic] dans ce que je fais si toutefois le motif puisse se prêter à mon exécution [sic] brutale et inhabile. Je crois que si dès maintenant vous commenciez à vous sentir le chef de cet atelier dont nous chercherons à faire un abri pour plusieurs, peu à peu, à fur et à mesure que notre travail acharné nous fournisse les moyens de compléter [sic] la chose [sic] – je crois qu’alors vous vous sentirez relativement consolé des malheurs présents [sic] de gêne et de maladie en considérant que probablement nous donnons nos vies pour une génération de peintres qui durera encore longtemps.

Ces pays ci ont déjà [sic] vu et le culte de Venus – essentiellement artistique en Grèce – puis les poètes [sic] et des artistes de la renaissance. Là que ces choses ont pu fleurir l’impressionnisme [sic] le peut aussi. Pour la chambre où vous logerez j’ai bien exprès fait une décoration, le jardin d’un poète (dans les croquis qu’a Bernard il y en a une première [sic] conception simplifiée ensuite). Le banal jardin public renferme des plantes et buissons qui font rêver [sic] aux paysages où l’on se représente volontiers Botticelli, Giotto, Pétrarque [sic], le Dante et Boccace. Dans la décoration j’ai cherché à démêler l’essentiel de ce qui constitue le caractère [sic] immuable du pays. Et j’eusse voulu peindre ce jardin de telle façon que l’on penserait à la fois au vieux poète [sic] d’ici (ou plutôt d’Avignon), Pétrarque [sic], et au nouveau poète d’ici – Paul Gauguin. – Quelque maladroit que soit cet essai vous y verrez tout de même peut-être que j’ai pensé à vous en préparant votre atelier avec une bien grosse émotion. Ayons bon courage pour la réussite de notre entreprise et continuez à vous sentir bien chez vous ici. Car je suis tellement porté à croire que tout cela durera longtemps.

Bonne poignée de main et croyez moi t. à v. Vincent



 
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Kiki
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MessageSujet: Lettre de Boris Vian à M. Faber   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Icon_minitimeMar 11 Mar 2014, 20:50

« C'est bien la liberté en général que vous défendiez quand vous vous battiez, ou la liberté de penser comme monsieur Faber ? » 

Lettre de Boris Vian à M. Faber

 

Le 7 mai 1954, jour de la défaite de l’armée française à Dien Bien Phu, Mouloudji  chante sur les ondes de la radio française Le déserteur, violent pamphlet antimilitariste composée par le facétieux, irrévérent et polyfacétique Boris Vian (auteur culte, compositeur, chanteur, critique, etc.).

La réaction des autorités ne se fait pas attendre par l’entremise de M. Faber, conseiller municipal, qui demanda rien moins que la censure de cette chanson.

Réponse épistolaire sans appel du génial Boris Vian.

 

Cher Monsieur,

Vous avez bien voulu attirer les rayons du flambeau de l'actualité sur une chanson fort simple et sans prétention, Le Déserteur, que vous avez entendue à la radio et dont je suis l'auteur. Vous avez cru devoir prétendre qu'il s'agissait là d'une insulte aux anciens combattants de toutes les guerres passées, présentes et à venir.

Vous avez demandé au préfet de la Seine que cette chanson ne passe plus sur les ondes. Ceci confirme à qui veut l'entendre l'existence d’une censure à la radio et c'est un détail utile à connaître.

Je regrette d'avoir à vous le dire, mais cette chanson a été applaudie par des milliers de spectateurs et notamment a l’Olympia (3 semaines) et à Bobino (15 jours) depuis que Mouloudji la chante ; certains, je le sais. l'ont trouvée choquante : ils étaient très peu nombreux et je crains qu'ils ne l'aient pas comprise. Voici quelques explications à leur usage.

De deux choses l'une : ancien combattant, vous battez-vous pour la paix ou pour le plaisir ? Si vous vous battiez pour la paix, ce que j'ose espérer, ne tombez pas sur quelqu'un qui est du même bord que vous et répondez à la question suivante : si l'on n'attaque pas la guerre pendant la paix, quand aura-t-on le droit de l'attaquer ? Ou alors vous aimiez la guerre — et vous vous battiez pour le plaisir ? C'est une supposition que je ne me permettrais pas même de faire, car pour ma part, je ne suis pas du type agressif. Ainsi cette chanson qui combat ce contre quoi vous avez combattu, ne tentez pas, en jouant sur les mots, de la faire passer pour ce qu'elle n'est pas : ce n'est pas de bonne guerre.

Car il y a de bonnes guerres et de mauvaises guerres — encore que le rapprochement de "bonne" et de "guerre" soit de nature à me choquer, moi et bien d'autres, de prime abord — comme la chanson a pu vous choquer de prime abord. Appellerez-vous une bonne guerre celle que l'on a tentée de faire mener aux soldats français en 1940 ? Mal armés, mal guidés, mal informés, n’ayant souvent pour toute défense qu'un fusil dans lequel n'entraient même pas les cartouches qu'on leur donnait (Entre autres, c'est arrivé à mon frère aîné en mai 1940.), les soldats de 1940 ont donné au monde une leçon d'intelligence en refusant le combat : ceux qui étaient en mesure de le faire se sont battus — et fort bien battus : mais le beau geste qui consiste à se faire tuer pour rien n'est plus de mise aujourd'hui que l'on tue mécaniquement ; il n'a même plus valeur de symbole, si l'on peut considérer qu'il l'ait eu en imposant au moins au vainqueur le respect du vaincu.

D'ailleurs mourir pour la patrie, c'est fort bien : encore faut-il ne pas mourir tous — car où sera la patrie ? Ce n'est pas la terre — ce sont les gens, la patrie (Le général de Gaulle ne me contredira pas sur ce point, je pense.). Ce ne sont pas les soldats : ce sont les civils que l'on est censé défendre — et les soldats n'ont rien de plus pressé que de redevenir civils, car cela signifie que la guerre est terminée.

Au reste si cette chanson peut paraître indirectement viser une certaine catégorie de gens. Ce ne sont à coup sûr pas les civils : les anciens combattants seraient-ils des militaires ? Et voudriez-vous m'expliquer ce que vous entendez, vous, par ancien combattant ? "Homme qui regrette d'avoir été obligé d'en venir aux armes pour se défendre" ou "homme qui regrette le temps ou Ion combattait" — Si c'est "homme qui a fait ses preuves de combattant", cela prend une nuance agressive. Si c'est "homme qui a gagne une guerre", c'est un peu vaniteux.

Croyez-moi... "ancien combattant", c'est un mot dangereux ; on ne devrait pas se vanter d'avoir fait la guerre, on devrait le regretter — un ancien combattant est mieux placé que quiconque pour haïr la guerre. Presque tous les vrais déserteurs sont des "anciens combattants" qui n'ont pas eu la force d'aller jusqu'à la fin du combat. Et qui leur jettera la pierre ? Non... si ma chanson peut déplaire, ce n'est pas à un ancien combattant, cher monsieur Faber. Cela ne peut être qu'à une certaine catégorie de militaires de carrière ; jusqu'à nouvel ordre, je considère l'ancien combattant comme un civil heureux de l'être. Il est des militaires de carrière qui considèrent la guerre comme un fléau inévitable et s'efforcent de l'abréger. Ils ont tort d'être militaires, car c'est se déclarer découragé d'avance et admettre que l'on ne peut prévenir ce fléau — mais ces militaires-là sont des hommes honnêtes. Bêtes mais honnêtes. Et ceux-là non plus n'ont pas pu se sentir visés. Sachez-le, certains m'ont félicité de cette chanson. Malheureusement, il en est d'autres. Et ceux-là, si je les ai choqués, j'en suis ravi. C'est bien leur tour. Oui, cher monsieur Faber, figurez-vous, certains militaires de carrière considèrent que la guerre n'a d'autre but que de tuer les gens. Le général Bradiey par exemple, dont J'ai traduit les mémoires de guerre, le dit en toutes lettres. Entre nous, les neuf dixièmes des gens ont des idées fausses sur ce type de militaire de carrière. L'histoire telle qu'on l'enseigne est remplie du récit de leurs inutiles exploits et de leurs démolitions barbares ; j'aimerais mieux — et nous sommes quelques-uns dans ce cas — que l'on enseignât dans les écoles la vie d'Eupalinos ou le récit de la construction de Notre-Dame plutôt que la vie de César ou que le récit des exploits astucieux de Gengis Khan. Le bravache a toujours su forcer le civilisé à s'intéresser à son inintéressante personne ; où l'attention ne naît pas d'elle-même, il faut bien qu'on l'exige, et quoi de plus facile lorsque l'on dispose des armes. On ne règle pas ces problèmes en dix lignes : mais l'un des pays les plus civilisés du monde, la Suisse, les a résolus, je vous le ferai remarquer, en créant une armée de civils ; pour chacun d'eux, la guerre n'a qu'une signification : celle de se défendre. Cette guerre-là, c'est la bonne guerre. Tout au moins la seule inévitable. Celle qui nous est imposée par les faits.

Non, monsieur Faber, ne cherchez pas l'insulte où elle n'est pas et si vous la trouvez, sachez que c'est vous qui l'y aurez mise. Je dis clairement ce que je veux dire : et jamais je n'ai eu le désir d'insulter les anciens combattants des deux guerres, les résistants, parmi lesquels je compte bien des amis, et les morts de la guerre - parmi lesquels j'en comptais bien d'autres. Lorsque j'insulte (et cela ne m'arrive guère) je le fais franchement, croyez-moi. Jamais je n'insulterai des hommes comme moi, des civils, que l'on a revêtus d'un uniforme pour pouvoir les tuer comme de simples objets, en leur bourrant le crâne de mots d'ordre vides et de prétextes fallacieux. Se battre sans savoir pourquoi l'on se bat est le fait d'un imbécile et non celui d'un héros ; le héros, c'est celui qui accepte la mort lorsqu'il sait qu'elle sera utile aux valeurs qu'il défend. Le déserteur de ma chanson n'est qu'un homme qui ne sait pas ; et qui le lui explique ? Je ne sais de quelle guerre vous êtes ancien combattant - mais si vous avez fait la première, reconnaissez que vous étiez plus doué pour la guerre que pour la paix ; ceux qui, comme moi, ont eu 20 ans en 1940 ont reçu un drôle de cadeau d'anniversaire. Je ne pose pas pour les braves : ajourné à la suite d'une maladie de cœur, je ne me suis pas battu, je n'ai pas été déporté, je n'ai pas collaboré — je suis resté, quatre ans durant, un imbécile sous-alimenté parmi tant d'autres — un qui ne comprenait pas parce que pour comprendre, il faut qu'on vous explique. J'ai trente-quatre ans aujourd'hui, et je vous le dis : s'il s'agit de tomber au hasard d'un combat ignoble sous la gelée de napalm, pion obscur dans une mêlée guidée par des intérêts politiques, je refuse et je prends le maquis. Je ferai ma guerre à moi. Le pays entier s'est élevé contre la guerre d'Indochine lorsqu'il a fini par savoir ce qu'il en était, et les jeunes qui se sont fait tuer là-bas parce qu'ils croyaient servir à quelque chose — on le leur avait dit — je ne les insulte pas, je les pleure ; parmi eux se trouvaient, qui sait, de grands peintres, de grands musiciens, et à coup sûr, d'honnêtes gens.

Lorsque l'on voit une guerre prendre fin en un mois par la volonté d'un homme qui ne se paie pas, sur ce chapitre, de mots fumeux et glorieux, on est forcé de croire, si l'on ne l'avait pas compris, que celle-là au moins n'était pas inévitable. Demandez aux anciens combattants d'Indochine — à Philippe de Pirey, par exemple (Opération Sachis, chez Julliard) — ce qu'ils en pensent. Ce n'est pas moi qui vous le dis — c'est quelqu'un qui en revient — mais peut-être ne lisez-vous pas. Si vous vous contentez de la radio, évidemment, vous n'êtes pas gâté sur le chapitre des informations. Comme moyen de progression culturelle, c'est excellent en théorie la radio ; mais ce n'est pas très judicieusement employé.

D'ailleurs, je pourrais vous chicaner. Qui êtes-vous, pour me prendre à partie comme cela, monsieur Faber ? Vous considérez-vous comme un modèle ? Un étalon de référence ? Je ne demande pas mieux que de le croire — encore faudrait-il que je vous connusse. Je ne demande pas mieux que de faire votre connaissance mais vous m'attaquez comme cela, sournoisement, sans même m'entendre (car j'aurais pu vous expliquer cette chanson, puisqu'il vous faut un dessin). Je serai ravi de prendre exemple sur vous si je reconnais en vous les qualités admirables que vous avez, je n'en doute pas, mais qui ne sont guère manifestes jusqu'ici puisque je ne connais de vous qu'un acte d'hostilité à l'égard d'un homme qui essaie de gagner sa vie en faisant des chansons pour d'autres hommes. Je veux bien suivre Faber, moi. Mais les hommes de ma génération en ont assez des leçons ; ils préfèrent ses exemples. Jusqu'ici je me suis contenté de gens comme Einstein, pour ne citer que lui - tenez, voici ce qu'il écrit des militaires, Einstein...

"... Ce sujet m'amène à parler de la pire des créations : celle des masses armées, du régime militaire, que je hais ; je méprise profondément celui qui peut, avec plaisir, marcher en rangs et formations, derrière une musique : ce ne peut être que par erreur qu'il a reçu un cerveau ; une moelle épinière lui suffirait amplement. On devrait, aussi rapidement que possible, faire disparaître cette honte de la civilisation. L'héroïsme sur commande, les voies de faits stupides, le fâcheux esprit de nationalisme, combien Je hais tout cela : combien la guerre me paraît ignoble et méprisable ; J'aimerais mieux me laisser couper en morceaux que de participer à un acte aussi misérable. En dépit de fout. Je pense tant de bien de l'humanité que Je suis persuadé que ce revenant aurait depuis longtemps disparu si le bon sens des peuples n'était pas systématiquement corrompu, au moyen de l'école et de la presse, par les intéressés du monde politique et du monde des affaires."

Attaquerez-vous Einstein, Monsieur Faber ? C'est plus dangereux que d'attaquer Vian, je vous préviens... Et ne me dites pas qu'Einstein est un idiot : les militaires eux-mêmes vont lui emprunter ses recettes, car ils reconnaissent sa supériorité, voir chapitre atomique. Ils n'ont pas l'approbation d'Einstein, vous le voyez - ce sont de mauvais élèves ; et ce n'est pas Einstein le responsable d'Hiroshima ni de l'empoisonnement lent du Pacifique. Ils vont chercher leurs recettes chez lui et s'empressent d'en oublier le mode d'emploi : les lignes ci-dessus montrent bien qu'elles ne leur étaient pas destinées. Vous avez oublié le mode d'emploi de ma chanson, monsieur Faber : mais je suis sans rancune, je suis prêt à vous échanger contre Einstein comme modèle à suivre si vous me prouvez que j'y gagne. C'est que je n'achète pas chat en poche.

Il y a encore un point sur lequel j'aurais voulu ne pas insister, car il ne vous fait pas honneur ; mais vous avez déclenché publiquement les hostilités ; vous êtes l'agresseur.

Pour tout vous dire, je trouve assez peu glorieuse — s'il faut parler de gloire — la façon dont vous me cherchez noise.

Auteur à scandale (pour les gens qui ignorent les brimades raciales), ingénieur renégat, ex-musicien de Jazz, ex-tout ce que vous voudrez (voir la presse de l'époque), je ne pèse pas lourd devant monsieur Paul Faber, conseiller municipal. Je suis une cible commode ; vous ne risquez pas grand-chose. Et vous voyez, pourtant. Loin de déserter, j'essaie de me défendre. Si c'est comme cela que vous comprenez la guerre, évidemment, c'est pour vous une opération sans danger ? Mais alors pourquoi tous vos grands mots ? N'importe qui peut déposer une plainte contre n'importe qui — même si le second a eu l'approbation de la majorité. C'est généralement la minorité grincheuse qui proteste — et les juges lui donnent généralement raison, vous le savez ; vous Jouez à coup sûr. Vous voyez, je ne suis même pas sûr que France-dimanche, à qui je l'adresse, publie cette lettre : que me restera-t-il pour lutter contre vos calomnies ? Ne vous battez pas comme ça, monsieur Faber, et croyez-moi : si je sais qu'il est un lâche, je ne me déroberai jamais devant un adversaire, même beaucoup plus puissant que moi ; puisque c'est moi qui clame la prééminence de l'esprit sur la matière et de l'intelligence sur la brutalité, il m'appartiendra d'en faire la preuve — et si j'échoue, j'échouerai sans gloire, comme tous les pauvres gars qui dorment sous un mètre de terre et dont la mort n'a vraiment pas servi à donner aux survivants le goût de la paix. Mais de grâce, ne faites pas semblant de croire que lorsque j'insulte cette ignominie qu'est la guerre, j'insulte les malheureux qui en sont les victimes : ce sont des procédés caractéristiques de ceux qui les emploient que ceux qui consistent à faire semblant de ne pas comprendre; et plutôt que de vous prendre pour un hypocrite j'ose espérer qu'en vérité, vous n'aviez rien compris et que la présente lettre dissipera heureusement les ténèbres. Et un conseil : si la radio vous ennuie, tournez le bouton ou donnez votre poste ; c'est ce que j'ai fait depuis six ans ; choisissez ce qui vous plaît, mais laissez les gens chanter, et écouter ce qui leur plaît. C'est bien la liberté en général que vous défendiez quand vous vous battiez, ou la liberté de penser comme monsieur Faber?

Bien cordialement,


Boris Vian
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MessageSujet: Lettre de James Rorimer, Monument man à son épouse    Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Icon_minitimeJeu 13 Mar 2014, 11:25

Lettre de James Rorimer, Monument man à son épouse Katerine : « J'ai déniché les renseignements et les documents les plus incroyables à propos du pillage des œuvres d'art par les Nazis en Europe. »
 
George Clooney rend hommage aux bien-nommés Monuments men, cette poignée d’hommes et de femmes de 13 nations différentes qui, conservateurs, historiens de l'art ou encore architectes, reçurent la mission de protéger le patrimoine artistique et de récupérer des œuvres volées. En réalité, ils empêchèrent les nazis de spolier tout le patrimoine artistique et culturel des pays occupés ou de le ...
 
« J'ai déniché les renseignements et les documents les plus incroyables à propos du pillage des œuvres d'art par les Nazis en Europe. »
 
Lettre de James Rorimer, Monument man à son épouse Katerine
 
George Clooney rend hommage aux bien-nommés Monuments men, cette poignée d’hommes et de femmes de 13 nations différentes qui, conservateurs, historiens de l’art ou encore architectes, reçurent la mission de protéger le patrimoine artistique et de récupérer des œuvres volées. En réalité, ils empêchèrent les nazis de spolier tout le patrimoine artistique et culturel des pays occupés ou de le détruire (en premier lieu, Mona Lisa). Si cet épisode était l’un des épisodes les moins connus de la Seconde Guerre Mondiale, les documents à l’appui abondent, montrant la folie des nazis (qui volaient pour embellir la bibliothèque du Führer) et l’épopée des Monuments Men. La preuve avec une lettre d’un ministre à Hitler qui accompagnait les albums de photos d’œuvres dérobées, et une lettre de James Rorimer, l’un des Monuments Men à sa femme à la fin de la guerre.
 
 
 
17 mai 1945
 
Tu te plains peut-être de ne pas avoir reçu de nouvelles de ma part ces derniers jours. Sache que, jamais encore, je n'ai travaillé à un rythme aussi soutenu ni obtenu autant de résultats qu'au cours des deux ou trois semaines qui viennent de s'écouler.  J'ai parcouru en tous sens la zone que nous contrôlons et suis allé à deux reprises à Salzbourg et Füssen, ainsi qu'à Munich en ruines, Worms, Francfort, Darmstatd, Mannheim, Heidelberg et des douzaines d'autres bourgades. Tu auras sans doute deviné qu'il nous est à présent permis de mentionner des noms de lieux alors que c'était interdit depuis mon départ il y a plus d'un an.  Je suis cantonné à Augsbourg pour l'instant mais n'ai pas encore eu l'occasion de visiter la ville, vu que je n'ai pas arrêté de courir en tout sens, quand je ne rattrapais pas de la besogne en retard au QG. J'ai déniché les renseignements et les documents les plus incroyables à propos du pillage des œuvres d'art par les Nazis en Europe. J'ai travaillé avec d'anciens pontes du parti, récolté des indices et mis la main sur des trésors que je n'espérais plus retrouver. [Les Monuments men] Kuhn et le lieutenant-colonel McDonnell sont revenus examiner certaines des œuvres que j'ai découvertes.  J'ai démasqué certains des principaux coupables et me suis procuré des informations qui, si je ne m'abuse,  font actuellement la une des journaux partout dans le monde. Tu n'auras qu'à passer au kiosque t'en assurer.  Je compte sur toi pour m'informer de ce que raconte la presse.
 
Le train personnel de Göring, sa résidence de Berchtesgaden, celle de Hitler, la Braunhaus de Munich, les châteaux de Füssen et les monastères qui ont servi de dépôts ; voilà où m'a conduit ma mission. J'ai beaucoup de retard dans mes rapports mais mon journal, lui, est à jour. Que d'aventures palpitantes je relaterai dans le livre que je compte écrire ! À présent, je m'estime en droit d'affirmer que j'ai rempli mon rôle dans l'effort de la guerre. J'ai eu une discussion fort agréable avec le général Taylor de la 101e division aéroportée, qui m'avait convoqué, l'autre jour. Je le reverrai dimanche. Harry Anderson, un capitaine de l'institut américain, s'occupe des affaires de Göring sous ma direction, pour ainsi dire. Je m'attends à ce qu'on m'envoie un autre officier pour m'épauler, d'ici quelques jours. [Le Monument man] Calvin Hathaway m'aide beaucoup. Skilton aussi.  Quelques conscrits vont sans doute encore nous prêter main-forte.  Quelle vie ! J'ai parfois l'impression que je n'ai reçu la permission de quitter Paris que parce que deux généraux ont renoncé à m'y retenir plus longtemps. En tous cas, je me réjouis d'être ici. On nous signale sans arrêt des convois d'œuvres d'art. En ce moment, jr ne sais plus où donner de la tête. […]
 
Jusqu'à présent,  je n'ai pas encore relevé d'échos dans la presse de ma dernière mission qui consistait à mettre la main sur les œuvres d'art de l'Einsatzstab Roserberg et de ceux qui gravitaient dans son entourage. C'était d'ailleurs là mon ambition au moment de m'engager dans l'armée, quand je suis entré aux Affaires Civiles ; c'est aussi ce que j'ai dit aux responsables du centre de Shrivenham et je n'ai d'ailleurs pas cessé d'y penser pendant les huit mois que j'ai passés à Paris à m'occuper de choses et d'autres. J'ai bien failli ne jamais mettre les pieds en Allemagne. Je ne m'explique pas la chance que j'ai eue, de voir notre armée se rendre maître de la zone où se situaient les principaux dépôts, à deux exceptions près. […] Je ne désire plus qu'en finir avec la vie militaire et retourner dans le civil.
 
Ne t'embête pas à m'envoyer quoi que ce soit. […]
 
Pour l'instant il n'y a rien d'autre qui puisse m'être utile, vu que je n'ai la possibilité d'emporter avec moi que mon barda. Où nous irons prochainement, je n'en sais rien mais, en tous cas,  je ne reste jamais longtemps au même endroit.
 
Maintenant il faut que j'y retourne. Je t'aime et t'en dirai un peu plus long dès que le calme sera revenu.
 
Jim
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MessageSujet: Lettre du médecin-lieutenant Jacques Leude à ses parents   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Icon_minitimeDim 16 Mar 2014, 20:32

Cette guerre va bientôt finir et ce sera la récompense.


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Lettre du médecin-lieutenant Jacques Leude à ses parents

Le 13 mars 1954, les troupes vietnamiennes lançaient l’assaut sur la ville de Dien Bien Phu, qui deviendra le symbole de l’horreur de la guerre d’Indochine et de l’émancipation coloniale. Quelques jours plus tard, le médecin-lieutenant Jacques Leude raconte la bataille à sa famille.

 

Vendredi, 19 mars 1954

Mes très chers parents,

Je ne sais pas quels moyens et à quelle date vous recevrez ces lignes mais j’espère le plus tôt possible pour apaiser votre crainte et vos soucis qui sont grands. Je viens d’être fait prisonnier, le 14, à Diên Biên Phu où j’étais, ce que je vous avais caché pour ne pas vous inquiéter. Mais le sort a voulu que pour moi cette guerre se termine là et je remercie le ciel d’être sain et sauf, sans une égratignure ! Je vous demande de ne pas vous alarmer sur mon sort. Avec énormément de patience il faut garder l’espoir qu’un jour prochain je pourrai vous rejoindre.

Je suis bien traité ici contrairement à ce qu’on a pu dire et nos gardiens ne manifestent aucune hostilité à notre égard.

Notre vie matérielle qui va s’améliorant de jour en jour au fur et à mesure que nous approchons de camps bien organisés est convenable.

Il vous faut plus qu’à moi du courage pour supporter cette nouvelle épreuve du sort mais je suis sûr que par votre volonté de tenir jusqu’à mon retour nous nous retrouverons bientôt.

Cette guerre va bientôt finir et ce sera la récompense. Nos adversaire nous ont fait comprendre qu’ils n’avaient aucun grief contre les Français mais seulement l’espoir que le gouvernement leur rendra l’indépendance pour laquelle ils luttent.

Mille gros baisers de votre grand fils qui vous serre bien fort et vous dit à bientôt.

Jacques
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MessageSujet: Lettre de Karl Marx à Jenny Marx   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Icon_minitimeDim 16 Mar 2014, 20:36

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« Ne pouvant utiliser mes lèvres pour t'embrasser, je le fais avec ma langue et mes paroles. »


Lettre de Karl Marx à Jenny Marx


 




Très jeune, Marx était sûr de deux choses : de sa vocation philosophique et de son amour absolu pour Jenny von Westphalen, « la plus belle fille de Trèves », sa ville natale. Et sa plume, épistolaire et amoureuse avant de devenir dialectique et subversive, révèle la puissance de cet amour autant que son génie précoce. Par delà de nombreux exils, l’œuvre révolutionnaire et théorique de Karl, la misère et la perte d’enfants, confirmera l’éclat de leur amour et la justesse de cette intuition d’adolescent.




 


Mon cœur chéri,


Je t'écris à nouveau car je suis seul, et cela me gêne de toujours te parler en pensée sans que tu n'en saches rien ni ne m'entendes ni même ne puisses me répondre. Ton portrait, aussi mauvais soit-il, m'est du plus grand secours, et je comprends maintenant pourquoi même « les vierges noires », les portraits les plus réprouvés de la Mère de Dieu, ont pu trouver de fougueux adorateurs, voire plus d'adorateurs que les bons portraits. Quoi qu'il en soit, aucune de ces images noires de la Vierge n'a jamais été plus embrassée, contemplée et adorée que ta photographie, qui, pour n'être pas noire, n'en est pas moins sombre et ne reflète nullement ton visage si charmant, si engageant, si tendre, si « dolce ». Mais je corrige les rayons du soleil qui ont été mauvais peintres, et je découvre que mes yeux, tellement abîmés par la lumière des lampes et le tabac, peuvent peindre malgré tout, pas seulement en rêve mais aussi lorsque je suis éveillé. Tu es là devant moi, incarnée, et je te porte dans mes bras, et je te couvre de baisers de la tête aux pieds, et je tombe à genoux devant toi, et je soupire: « Madame, je vous aime. » Et je vous aime en réalité, plus que le Maure de Venise n'a jamais aimé.


Le monde, perfide et paresseux, se représente tous les caractères humains à la mesure de sa perfidie et de sa paresse. Lequel de mes nombreux détracteurs et venimeux adversaires m'a une seule fois reproché ma vocation à jouer les jeunes premiers dans un théâtre de deuxième catégorie ? Et pourtant, c'est la vérité. Si ces scélérats avaient eu de l'esprit, ils auraient représenté d'un côté « les rapports de production et d'échange » et de l'autre moi me prosternant à tes pieds. Look to this picture and to that – auraient-ils écrit au-dessous du tableau. Mais ces gredins sont idiots et ils le resteront, in seculum seculorum. Une absence passagère a du bon car, dans une proximité réciproque, les choses ne se différencient plus à trop se ressembler. Même des tours proches l'une de l'autre ont l'air de naines, tandis que le petit et le familier, regardés de près, prennent de plus en plus de volume. Ainsi en est-il des passions. Les petites habitudes qui, du fait de la proximité de l'autre, s'emparent de vous et prennent une tournure passionnelle disparaissent dès que leur objet immédiat se dérobe à la vue. Les grandes passions qui, par la proximité de leur objet, prennent la forme de petites habitudes grandissent et reprennent leur dimension naturelle sous l'effet magique de l'éloignement. Ainsi en est-il de mon amour. Il suffit que ton image s'évanouisse d'un simple rêve pour que je sache aussitôt que le temps n'a servi à mon amour qu'à cela à quoi servent le soleil et la pluie pour les plantes : à grandir et à croître. Dès que tu t'éloignes, mon amour pour toi apparaît tel qu'il est : c'est un géant qui concentre en lui-même toute l'énergie de mon esprit et toute l'ardeur de mon cœur. Je redeviens homme, parce que je vis une grande passion, et l'éparpillement où nous entraînent l'étude et la culture moderne, ainsi que le scepticisme qui fatalement nous amène à dénigrer toutes nos impressions subjectives et objectives ne servent qu'à faire de nous tous des créatures insigni*antes et chétives, geignardes et timorées. En revanche, l'amour, non pas pour l'homme de Feuerbach, non pas pour le métabolisme de Moleschott, non pas pour le prolétariat, mais l'amour envers la bien-aimée et spécialement envers toi permet à l'homme de redevenir homme.


Tu vas sourire, ma chérie, et te demander comment d'un coup j'en viens à développer toute cette belle rhétorique ? Mais si je pouvais serrer contre mon coeur ton tendre coeur pur, je me tairais et ne dirais plus un mot. Ne pouvant utiliser mes lèvres pour t'embrasser, je le fais avec ma langue et mes paroles.


Ton Karl


 
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MessageSujet: La banalité du mal Lettre d’Hannah Arendt à Gershom Sholem    Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Icon_minitimeMer 19 Mar 2014, 14:13

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La banalité du mal

Lettre d’Hannah Arendt à Gershom Sholem

 


Hannah Arendt, l’une des grandes philosophes du XXème siècle, a couvert le procès Eichmann en 1961 : ses réflexions ont conduit cette théoricienne du totalitarisme a créer le concept de « la banalité du mal », qui suscita de vives réactions. En témoigne la correspondance avec Gershom Sholem. Ces quelques fragments illustrent la densité des débats et la multiplicité des questions en jeu : Hannah Arendt, ou le risque de penser son temps et l’horreur de l’histoire.


 

Cher Gerhard,

Je ne suis pas de ces « intellectuels issus de la gauche allemande ». […]S'il faut que je « sois venue de quelque part », c'est de la tradition philosophique allemande. En ce qui concerne une autre de vos affirmations, je ne puis malheureusement pas dire que vous ne connaissiez pas les faits. Je trouve intrigant que vous écriviez : « Je vous considère comme une fille de notre peuple, une fille à part entière et rien d'autre. » La vérité est que je n'ai jamais prétendu être autre chose, ni être autre que je ne suis et je n'en ai même jamais éprouvé la tentation. C'est comme si l'on disait que j'étais un homme et non une femme, c'est-à-dire un propos insensé. Je sais évidemment qu'il y a un « problème juif », même à ce niveau, mais ce n'a jamais été mon problème, même pas dans mon enfance. J'ai toujours considéré ma judéité comme une des données réelles et indiscutables de ma vie et je n'ai jamais souhaité changer ou désavouer des faits de ce genre. […] Cette attitude est, à coup sûr, prépolitique, mais dans des circonstances exceptionnelles ; comme les circonstances de la vie politique concernant les Juifs, elle est destinée à avoir aussi des conséquences politiques, même si c'est, pour ainsi dire, de façon négative. Cette attitude rend impossibles certains types de comportement, ceux-là précisément que vous avez voulu déceler dans mes réflexions. […]

Je commencerai, à partir de ce que je viens d'établir, par ce que vous appelez l' « amour du peuple juif ». […] Vous avez tout à fait raison : je ne suis animée d'aucun « amour » de ce genre, et cela pour deux raisons : je n'ai jamais dans ma vie ni « aimé » aucun peuple, aucune collectivité — ni le peuple allemand, ni le peuple français, ni le peuple américain, ni la classe ouvrière, ni rien de tout cela. J'aime « uniquement » mes amis et la seule espèce d'amour que je connaisse et en laquelle je croie est l'amour des personnes. En second lieu, cet « amour des juifs » me paraîtrait, comme je suis juive moi-même, plutôt suspect. Je ne peux pas m'aimer moi-même, aimer ce que je sais être une partie, un fragment de ma propre personne. […]

L'opinion publique, surtout quand elle a été soigneusement manipulée, comme c'est le cas ici, est une chose très puissante. Ainsi, je n'ai jamais fait d'Eichmann un « sioniste ». Si l'ironie de la phrase vous a échappé — la phrase était clairement en oratio obliqua : elle rapportait les propres paroles d'Eichmann — je n'y puis vraiment rien. Je peux seulement vous assurer qu'aucun des nombreux lecteurs qui ont lu le livre avant la publication n'a jamais eu là-dessus la moindre hésitation. Ensuite, je n'ai jamais demandé pourquoi les juifs « se sont laissés massacrer ». Au contraire, j'ai accusé Hausner d'avoir posé cette question à tous les témoins les uns après les autres. Aucun peuple, aucun groupe en Europe n'a réagi différemment sous la pression immédiate de la terreur. La question que j'ai soulevée est celle de la collaboration de fonctionnaires juifs à l'époque de la « Solution finale », et cette question est très gênante parce qu'on ne peut pas prétendre que c'étaient des traîtres (il y avait aussi des traîtres, mais là n'est pas la question). En d'autres termes, jusqu'en 1939 et même jusqu'en 1941, tout ce qu'ont fait ou n'ont pas fait les fonctionnaires juifs est compréhensible et excusable. C'est plus tard seulement que la chose devient très problématique. La question a été soulevée pendant le procès et j'avais donc le devoir de la relever. Cela constitue notre part de ce qu'on appelle le « passé non maîtrisé » et, encore que vous ayez peut-être raison d'affirmer qu'il est trop tôt pour émettre un « jugement équilibré » (en fait, j'en doute), je crois vraiment que nous ne surmonterons ce passé que si nous entreprenons de le juger en toute loyauté.

J'ai exposé clairement ma position et pourtant il est évident que vous ne l'avez pas comprise. J'ai dit que toute résistance était impossible, mais il existait au moins la possibilité de ne faire rien. Et pour ne faire rien, il n'était pas nécessaire d'être un saint ;  il suffisait de dire : je ne suis qu'un simple Juif et je ne désire jouer aucun autre rôle. Que ces gens ou certains d'entre eux, comme vous le dites, aient mérité d'être pendus, c'est là une question tout à fait différente. Ce qui doit faire l'objet de la discussion, ce ne sont pas tant les personnes que les arguments par lesquels ils se justifient à leurs propres yeux et à ceux des autres. Ces arguments, nous sommes habilités à les juger. En outre, nous ne devons pas oublier qu'il s'agit ici de situations qui étaient sans doute terribles, et désespérées, mais qui n'étaient pas celles des camps de concentration. Ces décisions ont été prises dans une atmosphère de terreur, mais non pas sous la pression immédiate et sous l'impact de la terreur. Ce sont là d'importantes différences de degré, que quiconque étudie le totalitarisme doit connaitre et dont il doit tenir compte. Il restait à ces gens une certaine liberté limitée de décision et d'action. De même les tueurs SS conservaient, nous le savons aujourd'hui, un choix limité d'alternatives. Ils pouvaient dire : « Je désire être relevé de mes fonctions de tueur » et rien ne leur arrivait. Dès lors qu'en politique il s'agit d'hommes et non de héros ou de saints, c'est cette possibilité de « non-participation » (Kirchheimer) qui est décisive pour notre jugement non à l'égard du système, mais à l'égard des individus, de leurs choix et de leurs arguments. […]

Que la distinction entre victimes et bourreaux fût effacée, par une volonté délibérée et calculée, dans les camps de concentration, c'est là un fait bien connu, et j'ai insisté comme d'autres sur ces aspects des méthodes totalitaires. Mais, je le répète, ce n'est pas là ce que j'entends par une participation des Juifs à la culpabilité, ou par l'écroulement total de toutes les valeurs. Cela faisait partie du système et n'avait rien à voir avec les Juifs.

Que vous puissiez croire que mon livre est « une caricature du sionisme » serait pour moi un mystère si je ne savais que beaucoup de gens, dans les milieux sionistes, sont devenus incapables de s'ouvrir à des opinions ou à des raisonnements qui sortent des sentiers battus et qui ne concordent pas avec leur idéologie. Il y a des exceptions, et un de mes amis sionistes observait en toute innocence que le livre, et en particulier son dernier chapitre (reconnaissance de la compétence du tribunal, justification de l'enlèvement) était très pro-israélien — ce qu'il est en réalité. Ce qui vous déroute, c'est que mes arguments et ma manière d'aborder les questions sont différents de ce à quoi vous êtes habitués ; en d'autres termes, l'ennui, c'est que je suis indépendante. [….]

Je regrette que vous n'ayez pas exposé vos arguments contre l'exécution de la condamnation à mort. Je pense qu'en discutant cette question, nous aurions pu découvrir où se situaient nos différences les plus fondamentales. Vous dites que c'était une « erreur historique » et je trouve très gênant d'invoquer le spectre de l'Histoire dans un tel contexte. À mon avis, l'exécution n'était pas seulement justifiée politiquement et juridiquement (et ce dernier point était en fait le seul qui importât), mais il eût été tout à fait impossible de ne pas exécuter la sentence. Le seul moyen de l'éviter aurait été d'accepter la suggestion de Karl Jaspers et de remettre Eichmann au mains des Nations unies. Personne ne le désirait et ce n'était probablement pas réalisable : il ne restait donc d'autre alternative que de le pendre. La grâce était hors de question, non au plan juridique — la grâce ne relève pas du système juridique — mais parce que la grâce s'applique à la personne plutôt qu'à l'acte ; la grâce ne pardonne pas le meurtre, mais gracie le meurtrier pour autant que sa personne vaut davantage que tout ce qu'il a pu faire. Ce n'était pas vrai d'Eichmann. Et épargner sa vie sans le gracier était juridiquement impossible.

En conclusion, venons-en à la seule question où vous m'ayez comprise et où je suis heureuse que vous ayez touché le point capital. Vous avez tout à fait raison : j'ai changé d'avis et je ne parle plus de « mal radical ». Il y a longtemps que nous nous sommes plus vus, sinon nous aurions peut-être déjà parlé de ce sujet. (Entre parenthèses, je ne vois pas pourquoi vous qualifiez de rengaine ou de slogan mon expression « banalité du mal ». Personne, que je sache, n'a utilisé cette expression avant moi ; mais c'est sans importance.) À l'heure actuelle, mon avis est que le mal n'est jamais « radical », qu'il est seulement extrême, et qu'il ne possède ni profondeur ni dimension démoniaque. Il peut tout envahir et ravager le monde entier précisément parce qu'il se propage comme un champignon. Il  « défie la pensée », comme je l'ai dit, parce que la pensée essaie d'atteindre à la profondeur, de toucher aux racines, et du moment qu'elle s'occupe du mal, elle est frustrée parce qu'elle ne trouve rien. C'est là sa  « banalité ». Seul le bien a de la profondeur et peut être radical. […]

La valeur de cette controverse réside dans son caractère épistolaire, notamment dans le fait qu'elle est commandée par une amitié personnelle. Si donc vous êtes prêt à publier ma réponse en même temps que votre lettre, je n'y vois évidemment aucun obstacle.

 
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MessageSujet: Lettre de La Rochefoucauld à La Marquise de Sablé    Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Icon_minitimeMer 19 Mar 2014, 14:20

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Lettre de La Rochefoucauld à La Marquise de Sablé : « Il est de l’amour comme de l’apparition des esprits : tout le monde en parle, mais peu de gens en ont vu. »

François de La Rochefoucauld, né le 15 septembre 1613 et mort le 17 mars 1680, incarne la grandeur du classicisme français. Moraliste et écrivain, il reste dans l'histoire de la littérature comme l'auteur des fameuses Maximes. Son art de la formule et ses réflexions sur la destinée humaine abondent naturellement dans sa correspondance. Dans cette magnifique lettre à Mme de Sablé, ...

[10 décembre 1663]

Ce n’est pas assez pour moi d’apprendre de vos nouvelles par ce qu’on a accoutumé de m’en mander ; je vous supplie de me permettre de vous en demander de temps en temps à vous même, et de souffrir, puisque je n’ai pu vous envoyer des truffes, que je vous présente au moins des maximes qui ne les valent pas ; mais, comme on fait rien pour rien en ce siècle-ci, je vous supplie de me donner en récompense le mémoire pour faire le potage de carottes, l’eau de noix et celle de mille-fleurs : si vous avez quelque autre potage, je vous le demande encore.

« Il semble que plusieurs de nos actions aient des étoiles heureuses ou malheureuses aussi bien que nous, d’où dépend une grande partie de la louange ou du blâme qu’on leur donne.

«  Il n’y a d’amour que d’une sorte, mais il y en a mille différentes copies.

«  L’espérance et la crainte sont inséparables.

« L’amour, aussi bien que le feu, ne peut subsister sans un mouvement continuel, et il cesse de vivre dès qu’il cesse d’espérer ou de craindre.

« Il est de l’amour comme de l’apparition des esprits : tout le monde en parle, mais peu de gens en ont vu.

« L’amour prête son nom à un nombre infini de commerces qu’on lui attribue, où il n’a souvent guère plus de part que le Doge en a à ce se fait à Venise.

«  Si nous n’avions point de défauts, nous ne serions pas si aises d’en remarquer aux autres. […]

« Le pouvoir que les personnes que nous aimons ont sur nous est presque toujours plus grand que celui que nous y avons nous-même.

«  Le goût change, mais l’inclination ne change point.

«  Les défauts de l’âme sont comme les blessures du corps ; quelque soin qu’on prenne de les guérir, la cicatrice paraît toujours ; et elles se peuvent toujours rouvrir. »

Ne croyez pas que prétende mériter par là le potage de carottes : je sais que toutes les maximes du monde ne peuvent pas entrer en comparaison avec lui ; mais je vous donne ce que j’ai, et j’attends tout de votre générosité. Mandez-moi, s’il vous plaît, si on les doit mettre au rang des autres, et ce qu’il y a à y changer. S’il vous en est venu quelqu’une, je vous supplie de m’en faire part et de me continuer l’honneur de vos bonnes grâces.

 
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MessageSujet: Lettre de Stéphane Mallarmé à Maria Gerhard   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Icon_minitimeMer 19 Mar 2014, 14:21

Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Stepha10







« Je vous aime ! Je vous aime ! C'est tout ce que je sache dire et penser. »

Lettre de Stéphane Mallarmé à Maria Gerhard

Poète hermétique, prince de l’art littéraire, Mallarmé livre dans sa correspondance les clés de son œuvre, des fragments de sa vie intime et des sommets littéraires. Si les plus grandes unions connaissent souvent des débuts difficiles, Mallarmé dut souffrir le silence et l’indifférence de sa future femme. S’il abandonne tout — son travail, sa ville, son pays — pour la suivre et gagner ses faveurs, ses dons poétiques éclatent dans cette lettre de désolation amoureuse, déclaration rare chez un être si pudique et hermétique.

Mademoiselle,

Voici plusieurs jours que je ne vous ai vue.

A mesure qu'une larme tombait de mes yeux, il était doux à ma tristesse que je prisse une feuille de papier et je (sic) je m'efforçasse d'y traduire ce que cette larme contenait d'amertume, d'angoisse, d'amour, et, je le dirai franchement, d'espérance.

Aujourd'hui, elles ne sont plus faites que de désespoir. Ces lettres, je les gardais et je les entassais chaque matin, pensant à vous les remettre en osant croire, non pas que vous les liriez toutes, mais simplement que vous jetteriez les yeux au hasard sur quelques phrases, et que vous enivre et qu'on ressent lorsqu'on est aimé.

Ce rayon devrait faire ouvrir en votre cœur la fleur bleue mystérieuse, et le parfum qui naîtrait de cet épanouissement, espérais-je, ne serait pas ingrat.

Je le respirerais !

On l'appelle l'amour, ce parfum.

Aujourd'hui, la désillusion est presque venue et j'ai brûlé ces lettres qui étaient les mémoires d'un cœur.

Du reste, elles étaient trop nombreuses, et cela vous eût fait rire de voir que je vous aimais tant !

Je les remplace, ces sourires et ces soupirs, par ce papier banal et vague que je vous remettrai je ne sais quand et Dieu sait où ! Toute la gamme de ma passion ne sera pas scrupuleusement notée, comme elle l'était, je me contenterai d'écrire ici les trois phrases qui sont toute son harmonie « Je t'aime ! Je t'adore ! Je t'idolâtre ».

– Pardonnez-moi, ô ma reine, de vous avoir tutoyée dans cette litanie extatique. C'est que, voyez-vous, je suis comme fou, et égaré depuis quelques jours. Quand une flèche se plante dans une porte, la porte vibre longtemps après : un trait d'or m'a frappé, et je tremble, éperdu.

Retirez-le ou enfoncez-le plus avant, mais ne vous amusez pas à en fouiller mon cœur. Dites oui ou non, mais parlez. Répondez ! Cela vous amuse donc bien de me faire souffrir ? Je pleure, je me lamente, je désespère. Pourquoi cette sévérité ? Est-ce un crime de vous aimer ? Vous êtes adorable et vous voulez qu'on vous trouve détestable, car il faudrait vous trouver détestable pour ne pas vous aimer, – vous qui êtes un regard divin et un sourire céleste !

Vous êtes punie d'être un ange : je vous aime. Pour me punir à mon tour de vous aimer, il faudrait n'être plus un ange, et vous ne le pouvez pas.

Donc laissez-moi vous contempler et vous adorer, – et espérer !

Adieu, je vous embrasse avec des larmes dans les yeux : séchez-les avec un baiser, ou un sourire au moins.

Je vous aime ! Je vous aime ! C'est tout ce que je sache dire et penser.

Ecrivez par la poste à cette adresse – « Monsieur SM. – Poste restante, à Sens » – cela me parviendra ainsi. J'attends ma sentence.

J'irai encore vous voir au Lycée, je suis heureux de vous voir, même de loin, il me semble, quand vous tournez la rue, que je vois un fantôme de lumière et tout rayonne.

Stéphane

 

 
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MessageSujet: Lettre d’une inconnue de Stefan Zweig   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Icon_minitimeJeu 20 Mar 2014, 07:49

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C'est seulement si je meurs que tu recevras ce testament d'une femme qui t'a aimé plus que toutes les autres et que tu n'as jamais reconnue



Lettre d’une inconnue de Stefan Zweig



 





Lettre d’une inconnue, nouvelle de Stefan Zweig publiée en 1922, raconte l’histoire d’une femme qui, après avoir rencontré un homme pour la première fois alors âgée de 13 ans, lui voua une obsession sans pareille. Des années plus tard, après de longues attentes au bas de son  immeuble, elle passe trois nuits d’amour avec l’écrivain, et tombe enceinte de lui. Il ne le saura jamais puisqu’il ne se donnera pas la peine de la recontacter. Alors que son — leur — enfant meurt de la grippe, elle sait qu’elle n’y survivra pas et lègue à l’homme qui ne l’a jamais regardée cette longue lettre, dont voici la chute finale.







[…] Mon enfant est mort, notre enfant — maintenant, je n'ai plus personne au monde à aimer que toi. Mais que m'es-tu, toi qui, jamais, jamais ne me reconnais, qui passes devant moi comme devant de l'eau, qui marches sur moi comme sur une pierre, qui vas ton chemin, toujours, et me laisses éternellement t'attendre ? Autrefois, j'ai cru te tenir, toi l'insaisissable, à travers cet enfant. Mais c'était ton enfant : du jour au lendemain, il m'a cruellement quittée pour partir en voyage, il  m'a oubliée et ne reviendra plus. Me revoilà seule, plus seule que jamais, et je ne garde rien, rien de toi… plus d'enfants, pas un mot, pas une ligne, pas un souvenir, et si quelqu'un citait mon nom devant toi, il ne te dirait rien. Pourquoi ne mourrais-je pas de gaieté de cœur, puisque je n'existe pas pour toi, pourquoi ne pas passer mon chemin, puisque tu me laisses derrière toi ? Non, bien-aimé, je ne viens pas en plaignante, je ne veux pas jeter mon affliction dans ta sereine demeure. Sois sans lait, je ne t'importunerai plus ; pardonne-moi, il fallait que j'épanche mon âme au moins une fois, à l'heure où cet enfant gît là, mort et abandonné. Une seule fois, il fallait que je te parle ; maintenant, je vais regagner l'ombre et devenir muette, aussi muette que je l'ai toujours été à ton côté. Mais tu n'entendras pas ce cri de mon vivant ; c'est seulement si je meurs que tu recevras ce testament d'une femme qui t'a aimé plus que toutes les autres et que tu n'as jamais reconnue, qui t'a toujours attendu et que tu n'as jamais appelé. Peut-être, peut-être m'appelleras-tu alors, et pour la première fois je te serai infidèle, dans la mort je ne t'entendrai plus : je ne te laisse ni image ni signe, de même que tu ne m'as rien laissé ; jamais tu ne me reconnaîtras, jamais. Ce fut mon destin dans la vie, que ce soit aussi mon destin dans la mort. Non, je ne t'appellerai pas à ma dernière heure, je m'en vais sans que tu saches mon nom ni découvres mon visage. Je meurs avec légèreté, car à distance tu n'en ressentiras rien. Si tu en avais de la peine, je ne pourrais pas mourir.





Je ne peux plus poursuivre… j'ai la tête tellement prise… les membres me font mal, j'ai la fièvre… je crois que je vais devoir m'étendre. Peut-être que tout sera bientôt terminé, peut-être que le destin, pour une fois, me sera clément et m'évitera de voir ces hommes emporter mon enfant… Je ne peux plus écrire. Adieu, bien-aimé, adieu, je te rends grâce… C'était bien ainsi, malgré tout… Je veux te rendre grâce jusqu'à mon dernier souffle. Je me sens bien : je t'ai tout dit, tu sais maintenant, ou du moins tu entrevois combien je t'ai aimé, et cet amour n'est pas un poids pour toi. Je ne te manquerai pas, c'est ce qui me console. Il n'y aura rien de changé dans ta belle vie claire… je ne te fais aucun tort en mourant… c'est ce qui me console, ô bien-aimé.



Mais qui… t'enverra désormais des roses blanches pour ton anniversaire ? Hélas ! le vase sera vide, le petit souffle, la petite part de moi qui, une fois l'an, voletait autour de toi va s'éteindre, elle aussi ! Bien-aimé, écoute, je t'en supplie… c'est ma première et ma dernière demande… fais ça pour moi : à chacun de tes anniversaires — c'est un jour où on pense un peu à soi, quand même, — trouve donc des roses et mets-les dans le vase. Fais-le, bien-aimé, fais-le comme d'autres, une fois l'an, font dire une messe pour une morte qui leur était chère. Moi, je ne crois plus en Dieu et je ne veux pas de messe, je ne crois qu'en toi, je n'aime que toi et ne veux survivre qu'en toi… Oh ! un seul jour par an, très discrètement, comme j'ai vécu à ton côté… Je t'en prie, bien-aimé, fais-le… C'est ma première demande et la dernière… je te rends grâce… Je t'aime, je t'aime… adieu.
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MessageSujet: Lettre d’Épicure à Ménécée    Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Icon_minitimeJeu 20 Mar 2014, 19:03

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Les dieux ne sont pas à craindre La mort n’est pas à craindre On peut atteindre le bonheur On peut supprimer la douleur.

Lettre d’Épicure à Ménécée

Épicure appartient au Panthéon de la philosophie grecque et de la pensée universelle : dans son fameux jardin, la fondation d’une école philosophique où le sensible tient une place essentielle, orientant la vie vers  le plaisir et le contentement du corps et de l’âme, feront date.  Cependant, loin de l’exaltation dionysiaque et frénétique de l’existence,  sa lettre à Ménécée, l’un des rares écrits conservés du philosophe, prouve que l’Epicurisme est un art subtil et mesuré: voici la lettre inaugurale des débats infinis sur le bonheur.

 

Epicure à Ménécée, salut.

Quand on est jeune il ne faut pas remettre à philosopher, et quand on est vieux il ne faut pas se lasser de philosopher. Car jamais il n’est trop tôt ou trop tard pour travailler à la santé de l’âme. Or celui qui dit que l’heure de philosopher n’est pas encore arrivée ou est passée pour lui, ressemble à un homme qui dirait que l’heure d’être heureux n’est pas encore venue pour lui ou qu’elle n’est plus. Le jeune homme et le vieillard doivent donc philosopher l’un et l’autre, celui- ci pour rajeunir au contact du bien, en se remémorant les jours agréables du passé ; celui-là afin d’être, quoique jeune, tranquille comme un ancien en face de l’avenir. Par conséquent il faut méditer sur les causes qui peuvent produire le bonheur puisque, lorsqu’il est à nous, nous avons tout, et que, quand il nous manque, nous faisons tout pour l’avoir.

Attache-toi donc aux enseignements que je n’ai cessé de te donner et que je vais te répéter ; mets-les en pratique et médite-les, convaincu que ce sont là les principes nécessaires pour bien vivre. Commence par te persuader qu’un dieu est un vivant immortel et bienheureux, te conformant en cela à la notion commune qui en est tracée en nous. N’attribue jamais à un dieu rien qui soit en opposition avec l’immortalité́ ni en désaccord avec la béatitude ; mais regarde-le toujours comme possédant tout ce que tu trouveras capable d’assurer son immortalité́ et sa béatitude. Car les dieux existent, attendu que la connaissance qu’on en a est évidente.

Mais, quant à leur nature, ils ne sont pas tels que la foule le croit. Et l’impie n’est pas celui qui rejette les dieux de la foule : c’est celui qui attribue aux dieux ce que leur prêtent les opinions de la foule.

Car les affirmations de la foule sur les dieux ne sont pas des prénotions, mais bien des présomptions fausses. Et ces présomptions fausses font que les dieux sont censés être pour les méchants la source des plus grands maux comme, d’autre part, pour les bons la source des plus grands biens. Mais la multitude, incapable de se déprendre de ce qui est chez elle et à ses yeux le propre de la vertu, n’accepte que des dieux conformes à cet idéal et regarde comme absurde tout ce qui s’en écarte.

Prends l’habitude de penser que la mort n’est rien pour nous. Car tout bien et tout mal résident dans la sensation : or la mort est privation de toute sensibilité́. Par conséquent, la connaissance de cette vérité́ que la mort n’est rien pour nous, nous rend capables de jouir de cette vie mortelle, non pas en y ajoutant la perspective d’une durée infinie, mais en nous enlevant le désir de l’immortalité́.

Car il ne reste plus rien à redouter dans la vie, pour qui a vraiment compris que hors de la vie il n’y a rien de redoutable. On prononce donc de vaines paroles quand on soutient que la mort est à craindre, non pas parce qu’elle sera douloureuse entant réalisée, mais parce qu’il est douloureux de l’attendre. Ce serait en effet une crainte vaine et sans objet que celle qui serait produite par l’attente d’une chose qui ne cause aucun trouble par sa présence.

Ainsi celui de tous les maux qui nous donne le plus d’horreur, la mort, n’est rien pour nous, puisque, tant que nous existons nous- mêmes, la mort n’est pas, et que, quand la mort existe, nous ne sommes plus. Donc la mort n’existe ni pour les vivants ni pour les morts, puisqu’elle n’a rien à faire avec les premiers, et que les seconds ne sont plus. Mais la multitude tantôt fuit la mort comme le pire des maux, tantôt l’appelle comme le terme des maux de la vie.

Le sage, au contraire, ne fait pas fi de la vie et il n’a pas peur non plus de ne plus vivre : car la vie ne lui est pas à charge, et il n’estime pas non plus qu’il y ait le moindre mal à ne plus vivre. De même que ce n’est pas toujours la nourriture la plus abondante que nous préférons, mais parfois la plus agréable, pareillement ce n’est pas toujours la plus longue durée qu’on veut recueillir, mais la plus agréable.

Quant à ceux qui conseillent aux jeunes gens de bien vivre et aux vieillards de bien finir, leur conseil est dépourvu de sens, non seulement parce que la vie a du bon même pour le vieillard, mais parce que le soin de bien vivre et celui de bien mourir ne font qu’un. On fait pis encore quand on dit qu’il est bien de ne pas naitre, ou, « une fois né, de franchir au plus vite les portes de l’Hadès ».

Car si l’homme qui tient ce langage est convaincu, comment ne soit-il pas de la vie ? C’est là en effet une chose qui est toujours à sa portée, s’il veut sa mort d’une volonté́ ferme. Que si cet homme plaisante, il montre de la légèreté́ en un sujet qui n’en comporte pas. Rappelle-toi que l’avenir n’est ni à nous ni pourtant tout à fait hors de nos prises, de telle sorte que nous ne devons ni compter sur lui comme s’il devait surement arriver, ni nous interdire toute espérance, comme s’il était sûr qu’il dût ne pas être.

Il faut se rendre compte que parmi nos désirs les uns sont naturels, les autres vains, et que, parmi les désirs naturels, les uns sont nécessaires et les autres naturels seulement. Parmi les désirs nécessaires, les uns sont nécessaires pour le bonheur, les autres pour la tranquillité́ du corps, les autres pour la vie même. Et en effet une théorie non erronée des désirs doit rapporter tout choix et toute aversion à la santé du corps et à l’ataraxie de l’amé, puisque c’est là la perfection même de la vie heureuse.

Car nous faisons tout afin d’éviter la douleur physique et le trouble de l’âme. Lorsqu’une fois nous y avons réussi, toute l’agitation de l’âme tombe, l’être vivant n’ayant plus à s’acheminer vers quelque chose qui lui manque, ni à chercher autre chose pour parfaire le bien-être de l’âme et celui du corps.

Nous n’avons en effet besoin du plaisir que quand, par suite de son absence, nous éprouvons de la douleur ; et quand nous n’éprouvons pas de douleur nous n’avons plus besoin du plaisir. C’est pourquoi nous disons que le plaisir est le commencement et la fin de la vie heureuse.

En effet, d’une part, le plaisir est reconnu par nous comme le bien primitif et conforme à notre nature, et c’est de lui que nous partons pour déterminer ce qu’il faut choisir et ce qu’il faut éviter ; d’autre part, c’est toujours à lui que nous aboutissons, puisque ce sont nos affections qui nous servent de règle pour mesurer et apprécier tout bien quelconque si complexe qu’il soit.

Mais, précisément parce que le plaisir est le bien primitif et conforme à notre nature, nous ne recherchons pas tout plaisir, et il y a des cas où nous passons par-dessus beaucoup de plaisirs, savoir lorsqu’ils doivent avoir pour suite des peines qui les surpassent ; et, d’autre part, il y a des douleurs que nous estimons valoir mieux que des plaisirs, savoir lorsque, après avoir longtemps supporté les douleurs, il doit résulter de là pour nous un plaisir qui les surpasse. Tout plaisir, pris en lui-même et dans sa nature propre, est donc un bien, et cependant tout plaisir n’est pas à rechercher ; pareillement, toute douleur est un mal, et pourtant toute douleur ne doit pas être évitée.

En tout cas, chaque plaisir et chaque douleur doivent être appréciés par une comparaison des avantages et des inconvénients à attendre. Car le plaisir est toujours le bien, et la douleur le mal ; seulement il y a des cas où nous traitons le bien comme un mal, et le mal, à son tour, comme un bien.

C’est un grand bien à notre avis que de se suffire à soi-même, non qu’il faille toujours vivre de peu, mais afin que si l’abondance nous manque, nous sachions nous contenter du peu que nous aurons, bien persuadés que ceux-là jouissent le plus vivement de l’opulence qui ont le moins besoin d’elle, et que tout ce qui est naturel est aisé à se procurer, tandis que ce qui ne répond pas à un désir naturel est malaisé à se procurer. En effet, des mets simples donnent un plaisir égal à celui d’un régime somptueux si toute la douleur causée par le besoin est supprimée,

et, d’autre part, du pain d’orge et de l’eau procurent le plus vif plaisir à celui qui les porte à sa bouche après en avoir senti la privation. L’habitude d’une nourriture simple et non pas celle d’une nourriture luxueuse, convient donc pour donner la pleine santé, pour laisser à l’homme toute liberté de se consacrer aux devoirs nécessaires de la vie, pour nous disposer à mieux goûter les repas luxueux, lorsque nous les faisons après des intervalles de vie frugale, enfin pour nous mettre en état de ne pas craindre la mauvaise fortune.

Quand donc nous disons que le plaisir est le but de la vie, nous ne parlons pas des plaisirs des voluptueux inquiets, ni de ceux qui consistent dans les jouissances déréglées, ainsi que l’écrivent des gens qui ignorent notre doctrine, ou qui la combattent et la prennent dans un mauvais sens. Le plaisir dont nous parlons est celui qui consiste, pour le corps, à ne pas souffrir et, pour l’âme, à être sans trouble.

Car ce n’est pas une suite ininterrompue de jours passés à boire et à manger, ce n’est pas la jouissance des jeunes garçons et des femmes, ce n’est pas la saveur des poissons et des autres mets que porte une table somptueuse, ce n’est pas tout cela qui engendre la vie heureuse, mais c’est le raisonnement vigilant, capable de trouver en toute circonstance les motifs de ce qu’il faut choisir et de ce qu’il faut éviter, et de rejeter les vaines opinions d’où provient le plus grand trouble des âmes.

Or, le principe de tout cela et par conséquent le plus grand des biens, c’est la prudence. Il faut donc la mettre au-dessus de la philosophie même, puisqu’elle est faite pour être la source de toutes les vertus, en nous enseignant qu’il n’y a pas moyen de vivre agréablement si l’on ne vit pas avec prudence, honnêteté et justice, et qu’il est impossible de vivre avec prudence, honnêteté et justice si l’on ne vit pas agréablement. Les vertus en effet, ne sont que des suites naturelles et nécessaires de la vie agréable et, à son tour, la vie agréable ne saurait se réaliser en elle-même et à part des vertus.

Et maintenant y a-t-il quelqu’un que tu mettes au-dessus du sage ? Il s’est fait sur les dieux des opinions pieuses ; il est constamment sans crainte en face de la mort ; il a su comprendre quel est le but de la nature ; il s’est rendu compte que ce souverain bien est facile à atteindre et à réaliser dans son intégrité, qu’en revanche le mal le plus extrême est étroitement limité quant à la durée ou quant à l’intensité ; il se moque du destin, dont certains font le maître absolu des choses.

Il dit d’ailleurs que, parmi les événements, les uns relèvent de la nécessité, d’autres de la fortune, les autres enfin de notre propre pouvoir, attendu que la nécessité n’est pas susceptible qu’on lui impute une responsabilité, que la fortune est quelque chose d’instable, tandis que notre pouvoir propre, soustrait à toute domination étrangère, est proprement ce à quoi s’adressent le blâme et son contraire.

Et certes mieux vaudrait s’incliner devant toutes les opinions mythiques sur les dieux que de se faire les esclaves du destin des physiciens, car la mythologie nous promet que les dieux se laisseront fléchir par les honneurs qui leur seront rendus, tandis que le destin, dans son cours nécessaire, est inflexible ; il n’admet pas, avec la foule, que la fortune soit une divinité – car un dieu ne fait jamais d’actes sans règles –, ni qu’elle soit une cause inefficace : il ne croit pas, en effet, que la fortune distribue aux hommes le bien et le mal, suffisant ainsi à faire leur bonheur et leur malheur, il croit seulement qu’elle leur fournit l’occasion et les éléments de grands biens et de grands maux ;

enfin il pense qu’il vaut mieux échouer par mauvaise fortune, après avoir bien raisonné, que réussir par heureuse fortune, après avoir mal raisonné – ce qui peut nous arriver de plus heureux dans nos actions étant d’obtenir le succès par le concours de la fortune lorsque nous avons agi en vertu de jugements sains.

Médite donc tous ces enseignements et tous ceux qui s’y rattachent, médite-les jour et nuit, à part toi et aussi en commun avec ton semblable. Si tu le fais, jamais tu n’éprouveras le moindre trouble en songe ou éveillé, et tu vivras comme un dieu parmi les hommes. Car un homme qui vit au milieu de biens impérissables ne ressemble en rien à un être mortel.

Le quadruple remède : « Les dieux ne sont pas à craindre. La mort n’est pas à craindre. On peut atteindre le bonheur. On peut supprimer la douleur. »

( Texte original : Diogène Laërce ,Vies et doctrines des philosophes illustres, Livre X ; Traduction : J.-F. Balaudé ; Image : Portrait d'Épicure, fondateur de l'épicurisme. Copie romaine d'un original hellénistique. )
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MessageSujet: « Lettre », poème de Paul Verlaine   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Icon_minitimeVen 21 Mar 2014, 11:59

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Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré 640px-Paul_Verlaine


Et le temps que l’on perd à lire une missive N’aura jamais valu la peine qu’on l’écrive.

« Lettre », poème de Paul Verlaine

Si les lettres recèlent de trésors, et que parfois un poème s’y glisse, le contraire se produit aussi. Verlaine, virtuose de la poésie symboliste, poète maudit chantre aux vers colorés et musicaux, publie dans son recueil Fêtes Galantes une pièce intitulée Lettre, preuve qu’entre la poésie et l’épistolaire, les correspondances sont multiples et fécondes.

 

1869

Éloigné de vos yeux, Madame, par des soins

Impérieux (j’en prends tous les dieux à témoins),

Je languis et je meurs, comme c’est ma coutume

En pareil cas, et vais, le cœur plein d’amertume,

À travers des soucis où votre ombre me suit,

Le jour dans mes pensées, dans mes rêves la nuit,

Et la nuit et le jour, adorable Madame !

Si bien qu’enfin, mon corps faisant place à mon âme,

Je deviendrai fantôme à mon tour aussi, moi,

Et qu’alors, et parmi le lamentable émoi

Des enlacements vains et des désirs sans nombre,

Mon ombre se fondra pour jamais en votre ombre.

En attendant, je suis, très chère, ton valet.

Tout se comporte-t-il là-bas comme il te plaît,

Ta perruche, ton chat, ton chien ? La compagnie

Est-elle toujours belle, et cette Silvanie

Dont j’eusse aimé l’œil noir si le tien n’était bleu,

Et qui parfois me fit des signes, palsambleu !

Te sert-elle toujours de douce confidente ?

Or, Madame, un projet impatient me hante

De conquérir le monde et tous ses trésors pour

Mettre à vos pieds ce gage - indigne - d’un amour

Égal à toutes les flammes les plus célèbres

Qui des grands cœurs aient fait resplendir les ténèbres.

Cléopâtre fut moins aimée, oui, sur ma foi !

Par Marc-Antoine et par César que vous par moi,

N’en doutez pas, Madame, et je saurai combattre

Comme César pour un sourire, ô Cléopâtre,

Et comme Antoine fuir au seul prix d’un baiser.

Sur ce, très chère, adieu. Car voilà trop causer,

Et le temps que l’on perd à lire une missive

N’aura jamais valu la peine qu’on l’écrive.
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MessageSujet: Lettre de Renée Vivien à Natalie Clifford-Barney    Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Icon_minitimeSam 22 Mar 2014, 07:57

Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Amr10

Ne te souviens de moi que rarement, comme une flamme éteinte.

Lettre de Renée Vivien à Natalie Clifford-Barney

 


La poétesse scandaleuse Renée Vivien, surnommée « Sapho 1900 » pour ses fréquentations lesbiennes et ses vers saphiques, a entretenu, parmi d’autres, une relation passionnelle et conflictuelle avec l’écrivaine Natalie Clifford-Barney. Dans cette lettre, elle lui exprime, avec une nostalgie amère, la tristesse de leurs adieux, et le souvenir d’une flamme « qui se consume loin » d’elle.


 

14 août 1902

J'ai reçu ton livre, Natalie - il est beau et triste comme souvenir de toi. Et j'ai retrouvé, flottant entre les pages, le parfum blond de ton esprit froid et fin. Tu as trouvé, pour ton volume, des phrases d'arc-en-ciel et d'opale - de merveilleuses phrases irisées…

J'ai lu tout avec la joie douloureuse que l'on éprouve lorsque la Beauté se révèle à nous, descend en nous.

Je ne puis aller vers toi. Je te l'ai dit par la voix brève d'un télégramme, mes plans sont changés, mon adresse : Hôtel Royal Dieppe - pendant quinze jours.

- J'ai beaucoup rêvé et réfléchi - et j'ai vaincu l'ardente faiblesse qui un instant m'a entraînée vers toi… vers la souffrance certaine, inévitable pour toutes deux -

- Ce que tu m'écris en marge de ton livre me le prouve une fois de plus. Je ne sais ce que tu appelles des « choses horribles » ni ce qui peut te sembler horrible. Je sais qu'autrefois des choses de toi m'ont également paru horrible - des choses que tu as dites, faites, vécues. Ceci importe peu à l'heure qu'il est, mais les paroles m'ont fait comprendre une fois de plus combien il est nécessaire que nous suivions chacune notre chemin différent. Tu as l'amour d'Eva [Palmer], l'amour profond d'Eva, cet amour t'appartient, apprécie-le et comprends-le pendant qu'il en est temps encore, - sans quoi tu le pleureras vainement plus tard. Mais je crois que tu es comme moi, - tu n'apprécies les choses douces et les êtres aimés que lorsque tu les as perdus - Cela vous laisse au moins l'infinie volupté du regret - quoique rien au monde, ni sur la terre ni dans le ciel, ne vaille un regret.

Tourne-toi vers Eva - réfugie-toi dans son immense tendresse - et ne te souviens de moi que très rarement, comme une flamme éteinte - comme un peu de cendres et de poussière.

Quoiqu'en vérité je sois une flamme vivante, et qui brûle et qui se consume loin de toi - et que t'importe aujourd'hui pour qui et pourquoi elle se consume ?

Souviens-toi que l'amitié est faite de silence, elle a les pas voilés de ceux qui demeurent dans les temples - mais elle ne lève pas le voile et ne pénètre pas dans le sanctuaire.

- Je te donne le lointain baiser de ceux qui s'en vont au tournant des chemins.

Tendrement et tristement

Pauline

 
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MessageSujet: Une lettre au maire de Maussane (Arles – Maussane, 3 décembre 1868)    Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Icon_minitimeLun 24 Mar 2014, 19:22

Une lettre au maire de Maussane (Arles – Maussane, 3 décembre 1868)
 
http://www.geneprovence.com/




Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Maussanelettre1-300x178

La lettre qui suit est à l’image de nombreuses lettres que nous avons considérées les mois précédents : un homme n’a pas été payé et demande réparation. Ici, nous sommes en présence d’une lettre de Marcellin Raynaud. Ce Marcellin Raynaud se trouve être marchand de bois ; il est donc en mesure d’écrire sa lettre sur une feuille de sa production propre.

Voici le contenu de sa lettre.

« Trinquetaille le 3 décembre 1868

Monsieur Delespine, maire à Maussane,

Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Maussanelettre-234x300
 
Ayant fait toutes les fournitures de bois pour la construction de la mairie de Maussane au sieur Gustave Germond le maître maçon depuis le mois de juin écoulé, j’ai réclamé à ce dernier le paiement et il m’a dit que depuis cette époque il n’avait plus touché aucun mandat de la mairie ; veuillez être assez bon Monsieur le Maire de me dire si cela est car il ne me semble pas possible que depuis cette époque il n’est plus touché de mandat vu que le travail doit être terminé ; ces jours-ci j’ai reçu une lettre de Monsieur Germond me disant qu’il devait toucher un mandat à la fin du mois de novembre et qu’il viendrait me solder mon compte ; ainsi Monsieur le Maire je viens vous prier d’être assez bon de me donner des renseignements pour voir si Monsieur Germond n’a plus touché de mandat depuis le mois de juin comme il me le dit ; et dans le cas qu’il n’en aurait pas touché me fixer à peu près l’époque qu’il pourra en toucher un à seule fin de me faire régler par Mr Germond.
 
 
Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Maussanelettre2-300x192
 
Pardon Monsieur le Maire de la peine que je vous donne et merci d’avance.
Dans l’attente d’être honoré d’une réponse au plus tôt
Veuillez me croire votre très humble et dévoué serviteur.
Raynaud Marcellin M[archa]nd de bois, faubourg Trinquetaille, à Arles sur Rhône. »

Le texte est écrit dans un français très correct et l’orthographe est tout aussi correcte.


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MessageSujet: Re: Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Icon_minitimeLun 24 Mar 2014, 19:27

Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Fran%C3%A7ois_de_La_Rochefoucauld


Il est de l’amour comme de l’apparition des esprits : tout le monde en parle, mais peu de gens en ont vu. 


Lettre de La Rochefoucauld à La Marquise de Sablé
 

François de La Rochefoucauld, né le 15 septembre 1613 et mort le 17 mars 1680, incarne la grandeur du classicisme français. Moraliste et écrivain, il reste dans l’histoire de la littérature comme l’auteur des fameuses Maximes. Son art de la formule et ses réflexions sur la destinée humaine abondent naturellement dans sa correspondance. Dans cette magnifique lettre à Mme de Sablé, salonnière distinguée, il échange, malicieusement, quelques mots d’esprit contre des recettes de cuisine !
 
[10 décembre 1663]



Ce n’est pas assez pour moi d’apprendre de vos nouvelles par ce qu’on a accoutumé de m’en mander ; je vous supplie de me permettre de vous en demander de temps en temps à vous même, et de souffrir, puisque je n’ai pu vous envoyer des truffes, que je vous présente au moins des maximes qui ne les valent pas ; mais, comme on fait rien pour rien en ce siècle-ci, je vous supplie de me donner en récompense le mémoire pour faire le potage de carottes, l’eau de noix et celle de mille-fleurs : si vous avez quelque autre potage, je vous le demande encore.

« Il semble que plusieurs de nos actions aient des étoiles heureuses ou malheureuses aussi bien que nous, d’où dépend une grande partie de la louange ou du blâme qu’on leur donne.

«  Il n’y a d’amour que d’une sorte, mais il y en a mille différentes copies.

«  L’espérance et la crainte sont inséparables.

« L’amour, aussi bien que le feu, ne peut subsister sans un mouvement continuel, et il cesse de vivre dès qu’il cesse d’espérer ou de craindre.

« Il est de l’amour comme de l’apparition des esprits : tout le monde en parle, mais peu de gens en ont vu.

« L’amour prête son nom à un nombre infini de commerces qu’on lui attribue, où il n’a souvent guère plus de part que le Doge en a à ce se fait à Venise.

«  Si nous n’avions point de défauts, nous ne serions pas si aises d’en remarquer aux autres. […]

« Le pouvoir que les personnes que nous aimons ont sur nous est presque toujours plus grand que celui que nous y avons nous-même.

«  Le goût change, mais l’inclination ne change point.

«  Les défauts de l’âme sont comme les blessures du corps ; quelque soin qu’on prenne de les guérir, la cicatrice paraît toujours ; et elles se peuvent toujours rouvrir. »

Ne croyez pas que prétende mériter par là le potage de carottes : je sais que toutes les maximes du monde ne peuvent pas entrer en comparaison avec lui ; mais je vous donne ce que j’ai, et j’attends tout de votre générosité. Mandez-moi, s’il vous plaît, si on les doit mettre au rang des autres, et ce qu’il y a à y changer. S’il vous en est venu quelqu’une, je vous supplie de m’en faire part et de me continuer l’honneur de vos bonnes grâces.

( Texte : La Rochefoucauld, Réflexions ou sentences et maximes morales, 1665. Image : Wikipédia Commons )

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MessageSujet: Lettre de Stendhal à Mathilde    Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Icon_minitimeLun 24 Mar 2014, 19:36

Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Stendhal
 

« Il y a des moments, dans les longues soirées solitaires, où, s'il était besoin d'assassiner pour vous voir, je deviendrais assassin. » 


Lettre de Stendhal à Mathilde
 

Après sa rencontre avec Mathilde, Stendhal (23 janvier 1783 – 23 mars 1842) écrit laconiquement : « 4 mars.  Commencement d’une grande phrase musicale. » Ce coup de foudre explosif donna lieu à des folies stendhaliennes et de désespoirs cristallisant l’amour même, dont cette lettre est l’emblème accompli.
 
 
le 7 juin 1819

Madame,

Vous me mettez au désespoir. Vous m'accusez à plusieurs reprises de manquer de délicatesse, comme si, dans votre bouche, cette accusation n'était rien.  Qui m'eût dit, lorsque je me séparai de vous, à Milan, que la première lettre que vous m'écririez commencerait par monsieur et que vous m'accuseriez de manquer de délicatesse ?

Ah ! Madame, qu'il est aisé à l'homme qui n'a pas de passion d'avoir une conduite toujours mesurée et prudente. Moi aussi, quand je puis m'écouter, je crois ne pas manquer de discrétion ; mais je suis dominé par une passion funeste qui ne me laisse plus le maître de mes actions. Je m'étais juré de m'embarquer ou au moins de ne pas vous voir, et de ne pas vous écrire jusqu'à votre retour ; une force plus puissante que toutes mes résolutions m'a entraîné aux lieux où vous étiez. Je m'en aperçois trop, cette passion est devenue désormais la grande affaire de ma vie. Tous les intérêts, toutes les considérations ont pâli devant celle-là. Ce funeste besoin que j'ai de vous voir m'entraîne, me domine, me transporte. Il y a des moments, dans les longues soirées solitaires, où, s'il était besoin d'assassiner pour vous voir, je deviendrais assassin. Je n'ai eu que trois passions en ma vie : l'ambition de 1800 à 1811, l'amour pour une femme qui m'a trompé de 1811 à 1818, et, depuis un an, cette passion qui me domine et qui augmente sans cesse. Dans tous les temps, toutes les distractions, tout ce qui est étranger à ma passion a été nul pour moi ; ou heureuse ou malheureuse, elle remplit tous mes moments. Et croyez-vous que le sacrifice que je fais à vos convenances de ne pas vous voir ce soir soit peu de chose ? Assurément, je ne veux pas m'en faire un mérite ; je vous le présente seulement comme une expiation pour les torts que je puis avoir eus avant-hier. Cette expiation n'est rien pour vous, Madame ; mais pour moi, qui ai passé tant de soirées affreuses, privé de vous et sans vous voir, c'est un sacrifice plus difficile à supporter que les supplices les plus horribles ; c'est un sacrifice qui, par l'extrême douleur de la victime, est digne de la femme sublime à laquelle il est offert.

Au milieu du bouleversement de mon être, où me jette cet impérieux besoin de vous voir, il est une qualité que cependant jusqu'ici j'ai conservée et que je prie le destin de me conserver encore, s'il ne veut me plonger, à mes propres yeux, dans le monde de l'abjection : c'est une véracité parfaite. Vous me dites, Madame, que j'avais si bien compromis les choses, samedi matin, que ce qui s'est passé le soir devenait une nécessité pour vous. C'est ce mot compromis qui me blesse jusqu'au fond de l'âme, et, si j'avais le bonheur de pouvoir arracher le trait fatal qui me perce le cœur, ce mot compromis m'en eût donné la force.

Mais non, Madame, votre âme a trop de noblesse pour ne pas avoir compris la mienne. Vous étiez offensée et vous vous êtes servie du premier mot qui est tombé sous votre plume. […]

Si vous aviez des défauts, je ne pourrais pas dire que je ne vois pas vos défauts ; je dirais, pour dire vrai, que je les adore ; et, en effet, je puis dire que j'adore cette susceptibilité extrême qui me fait passer de si horribles nuits. C'est ainsi que je voudrais être aimé, c'est ainsi qu'on fait le véritable amour ; il repousse la séduction avec horreur, comme un soupçon trop indigne de lui, et avec la séduction, tout calcul, tout manège, et jusqu'à la moindre idée de compromettre l'objet que j'aime, pour le forcer ensuite à certaines démarches ultérieures, à son avantage.

J'aurais le talent de vous séduire, et je ne crois pas ce talent possible, que je n'en ferais pas usage. Tôt ou tard, vous vous apercevriez que vous avez été trompée, et il me serait, je crois, plus affreux encore, après vous avoir possédée, d'être privé de vous que si le ciel m'a condamné à mourir sans être jamais aimé de vous.

Quand un être est dominé par une passion extrême, tout ce qu'il dit ou tout ce qu'il fait, dans une circonstance particulière, ne prouve rien à son égard ; c'est l'ensemble de sa vie qui porte témoignage pour lui. Ainsi, Madame, quand je jurerais à vos pieds, toute la journée, que je vous aime, ou que je vous hais, cela ne devrait avoir aucune influence sur le degré de croyance que vous pensez pouvoir m'accorder. C'est l'ensemble de ma vie qui doit parler. Or, quoique je sois fort peu connu et encore moins intéressant pour les personnes qui me connaissent, cependant, faute d'autre sujet de conversation, vous pouvez demander si je suis connu pour manquer d'orgueil ou pour manquer de constance.

Voilà cinq ans que je suis à Milan. Prenons pour faux tout ce qu'on dit de ma vie antérieure. Cinq ans, de trente et un à trente-six ans, sont un intervalle assez important dans la vie d'un homme, surtout quand, durant cinq années, il est éprouvé par des circonstances difficiles. Si jamais vous daignez, faute de mieux, penser à mon caractère, daignez, Madame, comparer ces cinq années de ma vie, avec cinq années prises dans la vie d'un autre individu quelconque. Vous trouverez des vies beaucoup plus brillantes par le talent, beaucoup plus heureuses ; mais une vie plus pleine d'honneur et de constance que la mienne, c'est ce que je ne crois pas. Combien ai-je eu de maîtresses en cinq ans, à Milan ? Combien de fois ai-je faibli sur l'honneur ? Or, j'aurais manqué indignement à l'honneur si, agissant envers un être qui ne peut pas me faire mettre l'épée à la main, j'avais cherché le moins du monde à le compromettre.

Aimez-moi, si vous voulez, divine Métilde, mais, au nom de Dieu, ne me méprisez pas. Ce tourment est au-dessus de mes forces. Dans votre manière de penser qui est très juste, être méprisé m'empêcherait à jamais d'être aimé.

Avec une âme élevée comme la vôtre, quelle voie plus sûre pour déplaire que celle que vous m'accusez d'avoir prise ? Je crains tant de vous déplaire que le moment où je vous vis le soir du 3, pour la première fois et qui aurait dû être le plus doux de ma vie, en fut, au contraire, un des plus inquiets, par la crainte que j'eus de vous déplaire.

( Stendhal, Œuvres complètes, Honoré Champion ; Image : Wikipédia )
 
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MessageSujet: Re: Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Icon_minitimeMar 25 Mar 2014, 19:31

http://www.deslettres.fr/
 
Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Elton-10
 
Tu ne sais pas du tout ce qu’est le sexe.



Lettre d’Elton John à lui-même


Elton John, star de la pop dès les années 70 et grand défenseur de la cause gay, écrit à l’âge de 62 ans une lettre à l’adolescent qu’il était à l’âge de 16 ans.

 Retour sur le jeune adolescent pétri de doutes et de questionnements existentiels, il y défend sans ambigüité   l’hédonisme : « Sois toi-même ! .
 


Mars 2009




Cher Reg,


Tu es un très jeune garçon de 16 ans.
Tu ne sais pas du tout ce qu’est le sexe — tu ignores même ce qu’est un « queer ». Crois-moi quand je te dis que tu es « queer » : tu es gay.
 J’ai fait l’erreur de ne pas faire l’amour jusqu’à l’âge de 23 ans !
J’aimais être avec un autre homme et comprendre qui j’étais me délivra. J’ai fait l’erreur de tomber amoureux trop vite parce que j’étais naïf et romantique. Le conseil que je te donnerais c’est de ne jamais chercher l’amour — il te trouvera au moment où tu t’y attendras le moins.
 Amuse-toi, fais beaucoup l’amour (mais protège-toi) et prend plaisir à cela. Sois fier de qui tu es et, comme tu grandis et que tu deviens plus sage, bats-toi pour les droits des homosexuels — j’ai 46 ans de plus que toi, et nous avons un long chemin à parcourir.

Dans certains pays, nous ne sommes toujours pas traités avec égalité, spécialement par la soi-disant Église « Chrétienne ». J’ai fait un tas d’erreurs. Reste à l’écart de la drogue — c’est une perte de temps.

Lève-toi pour défendre les droits de l’homme. Sois aimant, bon et fort. Deviens un exemple.
Tu vas avoir une putain de vie !


Je t’aime


Elton X


PS : CHANGE TON NOM
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MessageSujet: Lettre ouverte de Rostropovitch à l’opinion publique   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Icon_minitimeVen 28 Mar 2014, 06:19

Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Rostropovitch_mur-berlin

Nous consacrons toutes nos forces à la musique pour que sa beauté réchauffe le monde 


Lettre ouverte de Rostropovitch à l’opinion publique
 

Mstislav Rostropovitch, né le 27 mars 1927 et mort le 27 avril 2007, probablement le plus grand violoncelliste du XXème siècle, éternel défenseur de la liberté, aura marqué notre temps en léguant cette image : le 11 novembre 1989, seul devant le mur de Berlin, il joue pour fêter la fin d’une ère. Virtuose précoce, son intégrité, son amour pour l’art, son amitié pour le dissident Soljenitsyne lui valurent les foudres du Kremlin. En 1978, passé à l’Ouest, il alerte ainsi l’opinion publique sur la déchéance de nationalité qui vient de les frapper, lui et sa femme Galina Vichnevskaïa.
 
Le 17 mars 1978

Nous lançons un appel à nos amis, aux amoureux de la musique et à toutes les personnes de bonne volonté. Nous leur demandons, en cette période difficile pour nous, d'exprimer leur protestation face à l'acte inhumain et illégal qui nous retire le droit de vivre et de mourir sur notre propre terre. Aujourd'hui comme hier, nous ne faisons pas de politique, ni dans notre pays, ni à l'étranger. Toutefois, nous consacrons toutes nos forces à la musique pour que sa beauté réchauffe le monde.

Des accusations formelles ont été proférées contre nous, qui n'ont aucun rapport avec la véritable raison de la déchéance de nationalité, qui n'était qu'un acte de vengeance contre la solidarité humaine que nous avons créée avec des personnes persécutées.

Est-il possible d'inclure nos activités artistiques à l'étranger dans le chef d'accusation  et nous priver de la nationalité d'un revers de main dictatorial, sans même nous donner le droit légal de nous justifier?

Nous savons qu'ici, à l'étranger, des sociétés de défense des animaux protègent des chiens abandonnés dans la rue et qu'elles traînent souvent en justice leurs anciens maîtres. Vraiment, dans ce monde, il y aura pas de société qui s'élèvera pour défendre des gens opprimés, maltraités et privés de leur nationalité.
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Galina Vichnevskaïa et Mstislav Rostropovitch
 
[/size]
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MessageSujet: Lettre de Barack Obama à Cynthia Norris   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Icon_minitimeVen 28 Mar 2014, 06:23

Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Barack-obama2__1232402548_0037

On est tenté de laisser tomber l’engagement politique ou associatif pour devenir peintre sur les bords de Seine. 


Lettre de Barack Obama à Cynthia Norris
 
A l’été 1988, Barack Obama, alors âgé de 27 ans, est en voyage à Paris : les charmes de la capitale l’éblouissent au point qu’il se ferait volontiers peintre sur la Seine. Carte postale insolite de l’actuel président des USA !





Cynthia,

J’espère que tout va bien pour vous. J’ai cru comprendre que vous aviez laissé quelque chose dans ma boite aux lettres et je crois que Sheila l’a récupéré.

Pendant ce temps-là, je flâne à Paris, la ville à la fois la plus belle, la plus séduisante et la plus exaspérante que j’aie jamais vue. On est tenté de laisser tomber l’engagement politique ou associatif pour devenir peintre sur les bords de Seine.

Cela vous amusera d’autant plus quand vous saurez que je ne parle pas un mot de français ; la plupart du temps, je suis muet comme une carpe. Je vous souhaite un été fructueux. Affectueusement,

Barack.



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MessageSujet: Re: Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Icon_minitimeLun 31 Mar 2014, 09:47

Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Virgin10



 
 

Je ne pense pas que deux personnes auraient pu être plus heureuses que nous l'avons été.


Lettre de Virginia Woolf à son mari Leonard
 

Virginia Woolf s’est suicidée le 28 mars 1941. L’immense écrivaine anglaise, romancière hors pair et féministe de la première heure, a épousé très jeune Léonard, auteur mineur qui eut la grandeur de s’effacer devant le talent de sa femme et de la protéger des appels de la folie. Si ce mariage fut non consommé, si Virginia trouva des âmes sœurs féminines où s’adonner à la sensualité, c’est à cet époux dévoué et exemplaire qu’elle adresse ses derniers mots avant de se noyer dans un lac, de nuit. Voici sa dernière lettre d’amour.
 
28 mars 1941




Mon chéri,

J'ai la certitude que je vais devenir folle à nouveau : je sens que nous ne pourrons pas supporter une nouvelle fois l'une de ces horribles périodes. Et je  sens que je ne m'en remettrai pas cette fois-ci. Je commence à entendre des voix et je ne peux pas me concentrer.

Alors, je fais ce qui semble être la meilleure chose à faire. Tu m'as donné le plus grand bonheur possible. Tu as été pour moi ce que personne d'autre n'aurait pu être. Je ne crois pas que deux êtres eussent pu être plus heureux que nous jusqu'à l'arrivée de cette affreuse maladie. Je ne peux plus lutter davantage, je sais que je gâche ta vie, que sans moi tu pourrais travailler. Et tu travailleras, je le sais.

Vois-tu, je ne peux même pas écrire cette lettre correctement. Je ne peux pas lire. Ce que je veux dire, c'est que je te dois tout le bonheur de ma vie. Tu t'es montré d'une patience absolue avec moi et d'une incroyable bonté. Je tiens à dire cela - tout le monde le sait.

Si quelqu'un avait pu me sauver, cela aurait été toi. Je ne sais plus rien si ce n'est la certitude de ta bonté. Je ne peux pas continuer à gâcher ta vie plus longtemps. Je ne pense pas que deux personnes auraient pu être plus heureuses que nous l'avons été.

 

 

Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré 4340223563_64a5679a5b_o

 
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MessageSujet: Lili des Bellons de Marcel Pagnol   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Icon_minitimeLun 31 Mar 2014, 19:07

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MessageSujet: Lettre de Pascal à Galilée   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Icon_minitimeMer 02 Avr 2014, 08:52

Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Sans-titre-22
 
 

« Je me propose Monsieur de relire de nouveau et à mon aise cette intéressante production de vostre génie ».

Lettre de Pascal à Galilée
 

Une découverte épistolaire très précieuse ! Pascal, le scientifique et philosophe français le plus emblématique, adressa le 8 janvier 1633 cette missive au savant Galilée, témoignant de leur travail commun de traduction sur les Dialogues : quand les lettres écrivent une nouvelle page de l’Histoire !
 
Paris ce 8 janvier 1633

Monsieur,

Je viens de recevoir vos dialogues ainsi que vous avais tesmoigné le désir de les avoir et je vous remercie bien sincerement de l'empressement que vous avez mis à me satisfaire je vous en aurai une recongnoissance éternelle, je me propose Monsieur de relire de nouveau et à mon aise cette interessante production de vostre génie, et je vous retourneray la translation en français comme vous me le mandez si tost que j'en auray fait la comparaison, c'est vous dire Monsieur que je dois m'en occuper de suite. Je vous feray tenir cette translation par monsieur Diodati qui m'asseuré faire bientost un nouveau voyage en Italie, avec que de se fixer icy, je ne vous dis rien d'avantage par ceste lettre, si ce n'est d'agréer avec mes remerciements, l'assurance de mon affection et je m'estime heureux d'estre Monsieur

Votre très humble, très dévoué et très obéissant serviteur

PASCAL

 

Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Capture-d%E2%80%99%C3%A9cran-2014-03-31-%C3%A0-15.58.20

 

 
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MessageSujet: Lettre de Georges Pompidou à Jacques Chaban Delmas   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Icon_minitimeMer 02 Avr 2014, 13:38

Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré M_167595787_0-800x584
 

La sauvegarde des arbres plantés au bord des routes, […] est essentielle pour la beauté de notre pays 


Lettre de Georges Pompidou à Jacques Chaban Delmas
 

George Pompidou, né le 5 juillet 1911 et mort le 2 avril 1974, 19ème président français était passionné de littérature et féru d’art moderne. Grand oublié de l’histoire, il était écologiste avant la lettre. En témoigne cette lettre à son premier ministre, appelant à sauver les arbres.
 


Mon cher Premier Ministre,

J'ai eu, par le plus grand des hasards, communication d'une circulaire du Ministre de l'Equipement — Direction des routes et de la circulation routière — dont je vous fais parvenir photocopie. Cette circulaire, présentée comme un projet, a en fait déjà été communiquée à de nombreux fonctionnaires chargés de son application, puisque c'est par l'un d'eux que j'en ai appris l'existence. […] Bien que j'ai plusieurs fois exprimé en Conseil des Ministres ma volonté de sauvegarder « partout » les arbres, cette circulaire témoigne de la plus profonde indifférence à l'égard des souhaits du Président de la République. Il en ressort, en effet, que l'abattage des arbres le long des routes deviendra systématique sous prétexte de sécurité. Il est à noter par contre que l'on n'envisage qu'avec beaucoup de prudence et à titre de simple étude, le déplacement des poteaux électriques ou télégraphiques.

C'est que là, il y a des administrations pour se défendre. Les arbres, eux, n'ont, semble-t-il, d'autres défenseurs que moi-même et il apparaît que cela ne compte pas. La France n'est pas faite uniquement pour permettre aux Français de circuler en voiture, et, quelle que soit l'importance des problèmes de sécurité routière, cela ne doit pas aboutir à défigurer son paysage. La sauvegarde des arbres plantés au bord des routes  — et je pense en particulier aux magnifiques routes du Midi bordées de platanes — est essentielle pour la beauté de notre pays, pour la protection de la nature, pour la sauvegarde d'un milieu humain. La vie moderne dans son cadre de béton, de bitume et de néon créera de plus en plus chez tous un besoin d'évasion, de nature et de beauté. L'autoroute sera utilisée pour les transports qui n'ont d'autre objet que la rapidité. La route, elle, doit redevenir pour l'automobiliste de la fin du vingtième siècle ce qu'était le chemin pour le piéton ou le cavalier : un itinéraire que l'on emprunte sans se hâter, en en profitant pour voir la France. Que l'on se garde donc de détruire systématiquement ce qui en fait la beauté !

Georges Pompidou
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MessageSujet: Lettre de Lautréamont à Poulet-Malassis   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Icon_minitimeVen 04 Avr 2014, 14:21

Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré 462px-Lautr%C3%A9amont_by_Vallotton

« Et cependant, il y a déjà une immense douleur a chaque page. » 


Lettre de Lautréamont à Poulet-Malassis
 

Isidore Ducasse, plus connu sous son pseudonyme Lautréamont, demeure aujourd’hui encore comme l’un des poètes les plus fascinants et mystérieux du XIXème siècle. Peu connu de son vivant, le  poète mourut très jeune, à l’âge de 24 ans. Les surréalistes essayèrent de trouver des indices autobiographiques dans ses poèmes, jusqu’à créer un véritable personnage fictif, brodé dans la littérature. S’il est difficile de cerner ce personnage évanescent, ses lettres restent un témoignage plus proche de ce poète intouchable, comme l’atteste cette lettre adressée à un éditeur et qui revient sur les fondements mêmes de l’écriture, de la littérature mais aussi de la réception d’une œuvre.
 
27 octobre [1869]

Laissez-moi d'abord vous expliquer ma situation. J'ai chanté le mal comme ont fait Mickiewickz, Byron, Milton, Southey, A. de Musset, Baudelaire, etc. Naturellement, j'ai un peu exagéré le diapason pour faire du nouveau dans le sens de cette littérature sublime qui ne chante le désespoir que pour opprimer le lecteur, et lui faire désirer le bien comme remède. Ainsi donc, c'est toujours le bien qu'on chante en somme, seulement par une méthode plus philosophique et moins naïve que l'ancienne école, dont Victor Hugo et quelques autres sont les seuls représentants qui soient encore vivants. Vendez, je ne vous en empêche pas : que faut-il que je fasse pour cela ? Faites vos conditions. Ce que je voudrais, c'est que le service de la critique soit fait aux principaux lundistes. Eux seuls jugeront en ler et dernier ressort le commencement d'une publication qui ne verra sa fin évidemment que plus tard, lorsque j'aurai vu la mienne. Ainsi donc, la morale de la fin n'est pas encore faite. Et cependant, il y a déjà une immense douleur a chaque page. Est-ce le mal, cela ? Non, certes. Je vous en serai reconnaissant, parce que si la critique en disait du bien, je pourrais dans les éditions suivantes retrancher quelques pièces, trop puissantes. Ainsi donc, ce que je désire avant tout, c'est être jugé par la critique, et, une fois connu, ça ira tout seul. T.A.V.

 
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MessageSujet: Lettre de Régine Deforges à Sonia Rykiel   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Icon_minitimeLun 07 Avr 2014, 11:46

Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Ecr10
 
 
Dieu, c’est le mal !

Lettre de Régine Deforges à Sonia Rykiel
 
 
Régine Deforges aura incarné un savant mélange d’aventurière audacieuse et d’écrivaine populaire. De ses romans qui firent le tour du monde (La Bicyclette Bleue) à son œuvre exigeante d’éditrice de textes érotiques, elle s’aventura dans des chemins peu empruntés par les femmes de son époque : la sexualité, le corps féminin, le plaisir… Le ton inimitable, libre et polémique,  de cette militante féministe fit fureur ! Dans cette lettre à une autre grande femme de notre temps, Sonia Rykiel, Dieu est l’objet de son courroux.
Paris le 12 septembre
Putain de merde ! Ça me taraude tout ça !
Tout ça, c’est la vie, c’est Dieu, c’est la mort qui se bousculent en moi, qui m’obsèdent et me tordent la tête et le cœur. Je veux comprendre. Je veux connaître. Je veux savoir. J’envie ceux qui vont sans se poser ces questions ou qui réussissent à les écarter. Moi, je n’y arrive pas. Je me suis réveillée tout à l’heure en larmes parce que j’avais la certitude que Dieu n’existait pas. Et son inexistence me faisait pleurer et me faisait lui adresser des prières. Le comble de la connerie, j’en conviens.
Claire a dit : « Lâchez-vous ! »
Je voudrais me débonder, me vomir. L’absence de Dieu m’envahit et la mort l’accompagne.
Pardonne-moi, Sonia, je ne peux pas t’écrire les choses douces et légères dont tu as besoin, que j’aimerais te donner, dont j’ai tant besoin moi- même. Je suis dans la haine de la vie car je n’en comprends pas la raison, la finitude. Je n’arrive pas à accepter cet état, je me débats comme un animal pris dans un filet et je m’épuise à cette lutte. « Dieu, c’est le mal ! » s’écrie Proudhon. Mais si Dieu c’est le mal, par cette affirmation il reconnaît son existence ! Pourquoi n’a-t-il pas dit que « l’idée de Dieu » c’est le mal ?
Tu vois où j’en suis, dans le chaos le plus total.
Encore une fois, pardonne ma lourdeur.
Ne réponds pas. Il n’y a rien à dire. Que des clichés, du déjà-dit.
Rien ne sert à rien.
Je ne relis pas ces conneries.
Tendresses.
Régine
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MessageSujet: Lettre de Charles Baudelaire à Richard Wagner   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Icon_minitimeJeu 10 Avr 2014, 08:33

Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré 440px-F%C3%A9lix_Nadar_1820-1910_portraits_Charles_Baudelaire_2
 

Je veux vous dire que je vous dois la plus grande jouissance musicale que j’aie jamais éprouvée 


Lettre de Charles Baudelaire à Richard Wagner
 
[Paris.] Vendredi 17 février 1860
Monsieur,




Je me suis toujours figuré que si accoutumé à la gloire que fût un grand artiste, il n’était pas insensible à un compliment sincère, quand ce compliment était comme un cri de reconnaissance, et enfin que ce pouvait avoir une valeur d’un genre singulier quand il venait d’un Français, c’est-à-dire d’un homme peu fait pour l’enthousiasme et né dans un pays où l’on ne s’entend guère plus à la poésie et à la peinture qu’à la musique. Avant tout, je veux vous dire que je vous dois la plus grande jouissance musicale que j’aie jamais éprouvée. Je suis d’un âge où on ne s’amuse plus guère à écrire aux hommes célèbres, et j’aurais hésité longtemps encore à vous témoigner par lettre mon admiration, si tous les jours mes yeux ne tombaient sur des articles indignes, ridicules, où on fait tous les efforts possibles pour diffamer votre génie. Vous n’êtes pas le premier homme, Monsieur, à l’occasion duquel j’ai eu à souffrir et à rougir de mon pays. Enfin l’indignation m’a poussé à vous témoigner ma reconnaissance ; je me suis dit : je veux être distingué de tous ces imbéciles.


La première fois que je suis allé aux Italiens pour entendre vos ouvrages, j’étais assez mal disposé, et même je l’avouerai, plein de mauvais préjugés ; mais je suis excusable ; j’ai été si souvent dupe ; j’ai entendu tant de musique de charlatans à grandes prétentions. Par vous j’ai été vaincu tout de suite. Ce que j’ai éprouvé est indescriptible, et si vous daignez ne pas rire, j’essaierai de vous le traduire. D’abord il m’a semblé que je connaissais cette musique, et plus tard en y réfléchissant, j’ai compris d’où venait ce mirage ; il me semblait que cette musique était la mienne, et je la reconnaissais comme tout homme reconnaît les choses qu’il est destiné à aimer. Pour tout autre que pour un homme d’esprit, cette phrase serait immensément ridicule, surtout écrite par quelqu’un qui, comme moi, ne sait pas la musique, et dont toute l’éducation se borne à avoir (avec grand plaisir, il est vrai) quelques beaux morceaux de Weber et de Beethoven.


Ensuite le caractère qui m’a principalement frappé, ç’a été la grandeur. Cela représente le grand, et cela pousse au grand. J’ai retrouvé partout dans vos ouvrages la solennité des grands bruits, des grands aspects de la Nature, et la solennité des grandes passions de l’homme. On se sent tout de suite enlevé et subjugué. L’un des morceaux les plus étranges et qui m’ont apporté une sensation musicale nouvelle est celui qui est destiné à peindre une extase religieuse. L’effet produit par l’introduction des invités et par la fête nuptiale est immense. J’ai senti toute la majesté d’une vie plus large que la nôtre. Autre chose encore : j’ai éprouvé souvent un sentiment d’une nature assez bizarre, c’est l’orgueil et la jouissance de comprendre, de me laisser pénétrer, envahir, volupté vraiment sensuelle, et qui ressemble à celle de monter dans l’air ou de rouler sur la mer. Et la musique en même temps respirait quelquefois l’orgueil de la vie. Généralement ces profondes harmonies me paraissaient ressembler à ces excitants qui accélèrent le pouls de l’imagination. Enfin j’ai éprouvé aussi, et je vous supplie de ne pas rire, des sensations qui dérivent probablement de la tournure de mon esprit et de mes préoccupations fréquentes. Il y a partout quelque chose d’enlevé et d’enlevant, quelque chose aspirant à monter plus haut, quelque chose d’excessif et de superlatif. Par exemple, pour me servir de comparaisons empruntées à la peinture, je suppose devant mes yeux une vaste étendue d’un rouge sombre. Si ce rouge représente la passion, je le vois arriver graduellement, par toutes les transitions de rouge et de rose, à l’incandescence de la fournaise. Il semblerait difficile, impossible même d’arriver à quelque chose de plus ardent ; et cependant une dernière fusée vient tracer un sillon plus blanc sur le blanc qui lui sert de fond. Ce sera, si vous voulez, le cri suprême de l’âme montée à son paroxysme.


J’avais commencé à écrire quelques méditations sur les morceaux de Tannhäuser et de Lohengrin que nous ]avons entendus ; mais j’ai reconnu l’impossibilité de tout dire.


Ainsi je pourrais continuer cette lettre interminablement. Si vous avez pu me lire, je vous en remercie. Il ne me reste plus à ajouter que quelques mots. Depuis le jour où j’ai entendu votre musique, je me dis sans cesse, surtout dans les mauvaises heures : Si, au moins, je pouvais entendre ce soir un peu de Wagner ! Il y a sans doute d’autres hommes faits comme moi. En somme vous avez dû être satisfait du public dont l’instinct a été bien supérieur à la mauvaise science des journalistes. Pourquoi ne donneriez-vous pas quelques concerts encore en y ajoutant des morceaux nouveaux ? Vous nous avez fait connaître un avant-goût de jouissances nouvelles ; avez-vous le droit de nous priver du reste ? – Une fois encore, Monsieur, je vous remercie ; vous m’avez rappelé à moi-même et au grand, dans de mauvaises heures


CH. BAUDELAIRE.


Je n’ajoute pas mon adresse, parce que vous croiriez peut-être que j’ai quelque chose à vous demander.
 
( Texte : Baudelaire, Correspondance, I, 1832-1860 ; Image : Photographie de Charles Baudelaire, Felix Nadar,circa 1855, Commons Wikipédia )
 
 
Charles Baudelaire (9 avril 1821 – 31 août 1867), ou l’art de reconnaître les génies de son époque : après Delacroix et Edgar Poe, Baudelaire s’incline et consacre, contre son temps, Richard Wagner. Cette lettre adressée d’un génie à l’autre, malgré tout ce qui les sépare, témoigne du bouleversement du poète, touché par la grâce de la musique wagnérienne et l’emprise de son art scénique total. De l’exultation artistique!
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MessageSujet: Lettre de Fourier au Grand juge   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Icon_minitimeJeu 10 Avr 2014, 18:16

Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Hw-fourier




Je suis inventeur du calcul mathématique des destinées, calcul sur lequel Newton avait la main et qu’il n’a même pas entrevu .

Lettre de Fourier au Grand juge
 

Charles Fourier (7 avril 1772 - 10 octobre 1837), philosophe socialiste français, est le père de la théorie de l’harmonie universelle, venant parfaire les découvertes scientifiques d’Isaac Newton sur le plan matériel. Convaincu de l’importance sociale de ses travaux, il adresse une ébauche de son projet théorique au ministre de la Justice afin qu’il la remette au premier consul, Napoléon.

 
4 nivôse an XI.
Citoyen grand juge,


C’est à propos d’une bagatelle que je vais vous révéler de grandes choses. Permettez-moi une demi-page sur cette bagatelle qui donne lieu à l’annonce de l’harmonie universelle.


HARMONIE SOCIALE UNIVERSELLE ET CHUTE PROCHAINE DES TROIS SOCIÉTÉS CIVILISÉES, BARBARE ET SAUVAGE


Je suis inventeur du calcul mathématique des destinées, calcul sur lequel Newton avait la main et qu’il n’a pas même entrevu ; il a déterminé les lois de l’attraction matérielle, et moi, celle de l’attraction passionnée, dont nul homme avant moi n’avait abordé la théorie.


L’attraction passionnée se trouve être l’Archétype sur lequel Dieu a réglé toutes les modifications de la matière, l’ordre du mouvement universel et du mouvement social des humains dans tous les mondes.


Tant qu’un globe oublie de calculer les lois de l’attraction par analyse et synthèse, sa raison marche de ténèbres en ténèbres ; il ne peut pas acquérir la moindre notion sur les lois dirigeantes de l’univers, sur les destinées sociales, le but de passions, etc…


La théorie des destinées peut se diviser en trois branches principales :


1° La théorie des créations, c’est-à-dire la détermination des plans adoptés par Dieu pour les modifications de la matière, depuis la cosmogonie des univers et astres non aperçus jusqu’aux développements les plus minutieux de la matière dans les trois règnes ; les plans suivis par Dieu dans la distribution des passions, propriétés, formes, couleurs, saveurs, etc… aux diverses substances ;


2° Le mouvement social, c’est-à-dire les destinées futures et passées des sociétés humaines dans les divers globes, leur ordonnance, leurs révolutions, leurs caractères, etc…


3° L’immortalité ou le destin futur et passé de Dieu et des âmes dans les divers mondes qu’elles ont parcourus et parcourront pendant l’éternité.


Vous jugerez, citoyen ministre, que l’achèvement de cette immense théorie serait une tâche beaucoup trop forte pour une seule tête et même pour plusieurs ; aussi me suis-je arrêté spécialement au calcul le plus urgent, celui du mouvement social et de la destinée sociétaire des nations industrieuses. J’ai déterminé dans les plus petits détails tout le mécanisme de l’harmonie, depuis les procédés de l’administration centrale jusqu’aux minuties des relations domestiques, qui s’exercent dans un ordre diamétralement opposé aux nôtres.

Les lois de l’harmonie devraient être découvertes depuis deux mille trois cents ans ; elles sont restées ignorées par l’inadvertance et l’orgueil des trois sciences métaphysique, politique et morale. Ces sciences ont oublié de déterminer les fonctions et devoirs de Dieu. Elles auraient reconnu que Dieu doit une loi sociale aux humains, que, pour la découvrir, il fallait mettre en question : quel est le moyen de révélation que Dieu emploie pour nous interpréter ses vues ? L’attraction, qui explique déjà les vues de Dieu aux astres et aux animaux, est encore l’organe de Dieu auprès des humains. Sa synthèse forme le code de l’harmonie sociale qui va durer environ soixante mille ans ; après quoi, le luxe déclinant fortement par le refroidissement du globe, le genre humain retombera en subversion par la chute du luxe qui est le pivot de l’harmonie ; et la carrière humaine finira comme elle a commencé par les sociétés civilisées, barbare, sauvage et autres qui sont de l’ordre subversif.


L’annonce de cette découverte devant influer plus ou moins sur la pacification selon le degré de confiance qu’elle obtiendra du gouvernement, je devrais, citoyen grand juge, vous remettre une note détaillée à ce sujet ; mais, ayant la main droite foulée et peu en état d’écrire, je ne puis m’occuper en ce moment d’aucun mémoire de longue haleine. Les détails sur l’harmonie sont si extraordinaires qu’une explication superficielle est trop peu satisfaisante. Si vous le désirez, j’entrerai dans quelques détails ; mais, vu l’état de ma main foulée, je ne puis guère promettre plus de deux grandes feuilles comme celle-ci.


Etant seul possesseur de la théorie du mouvement social, je ne dois pas la livrer au public, mais communiquer seulement la superficie du calcul avec les précautions convenables, pour que le fond et la solution des problèmes soient réservés au gouvernement français. Par ce moyen, le premier consul ne pourra être devancé par aucun prince dans la fondation de l’harmonie universelle. Il s’assurera sans compétiteur le grade de primat ou empereur du globe, grade dévolu de droit au fondateur. Il n’y a ici ni importance ni charlatanerie, puisque le calcul est régulier, mathématique et invariable.


Ne croyez pas, citoyen grand juge, que cette invention puisse devenir un point de ralliement pour des sectaires et pour des intrigants. C’est, au contraire, un moyen sûr de déconcerter les brouillons civils et politiques de tous les pays. Car, puisque la terre entière va passer à un meilleur sort, puisqu’il y aura extirpation absolue de la pauvreté et métamorphose graduée de la classe pauvre en classe médiocre, de l’état bourgeois en état opulent, de l’opulence en splendeur, et ainsi de suite, cette perspective bien confirmée et étayée de toutes les preuves imaginables doit amortir tous les germes de discorde civile ou politique et rasseoir les têtes les plus turbulentes.


Permettez-moi quelques lignes de raisonnement. La pauvreté est la principale cause des désordres sociaux. L’inégalité, tant blâmée par les philosophes, ne déplaît point à l’homme ; au contraire, le bourgeois se complaît à l’ordre hiérarchique, il aime à voir le cortège des grands bien chamarrés. Le peuple les voit avec le même enthousiasme ; mais s’il manque du nécessaire, il prend en aversion les supérieurs et les usages sociaux. De là les troubles, les crimes et les gibets, triste appui de l’ordre civilisé. Il est aisé de prouver que tous les crimes sociaux commis par l’ambition proviennent de la pauvreté du peuple, des efforts qu’il faut pour s’y soustraire, de l’inquiétude que répand dans le corps social l’aspect de cette pauvreté, la crainte d’y tomber et la répugnance des mœurs odieuses qu’elle traîne à sa suite.


Il n’y a donc dans la science sociale qu’un problème à résoudre, celui de la métamorphose graduée dont je vous ai parlé, l’art d’élever chacune des classes de la civilisation au sort de la classe supérieure. Alors l’indigence et le mal-être seront extirpés, puisque la classe populacière sera devenue classe médiocre et jouira d’une honnête aisance comme nos petits bourgeois, qui sont les gens du monde les plus éloignés de l’esprit séditieux. Dès que le peuple jouira constamment de l’aisance et d’un minimum décent, toutes les sources de discorde seront taries ou réduites à très peu de chose. L’administration deviendra un badinage ; aussi, dans l’harmonie, le gouvernement du globe entier sera-t-il moins bien compliqué que celui d’un empire civilisé.


Ceci est bien éloigné des théories philosophiques, dont les unes, les démagogiques, ont pour but de prendre aux grands pour donner aux petits ; les autres, qu’on nomme économiques, n’ont aucune vue en faveur du peuple et ne songent qu’à enrichir un empirer sans s’inquiéter du sort de l’individu ; et, pour preuve, les théories économiques ont fortement enrichi l’Angleterre sans enrichir les Anglais ; aussi trouve-t-on dans la seule ville de Londres CENT QUINZE MILLE misérables, prostituées, voleurs, mendiants et gens sans aveu (selon le tableau de Londres) ; dans l’Ecosse, il règne une misère épouvantable parmi les ouvriers : voilà pourtant le résultat des systèmes modernes qui prétendent adoucir les malheurs des peuples.


Résumons le problème que je viens de me poser : c’est de prouver que trois milliards d’habitants organisés en ordre d’harmonie donneront ce même produit que neuf à dix milliards organisés en ordre civilisé. Encore ce monstrueux accroissement de richesse ne serait-il qu’une illusion, si l’harmonie n’extirpait pas divers germes de discorde, tels que la guerre et autres, qui neutralisent les efforts et absorbent les produits de l’industrie, quelque énormes qu’ils puissent être.


Vous jugerez par cet aperçu, citoyen grand juge, que l’annonce de la découverte sera un germe de concorde, un baume versé sur les plaies du genre humain. La certitude d’une si brillante métamorphose glacera les ambitieux, jettera les brouillons dans l’apathie ; elle inspirera un profond dédain pour le fracas, les tourmentes, les perfidies et les injustices de la civilisation ; le seul sentiment général qu’elle excitera sera celui de la charité. Chacun sentira qu’il faut se concerter pour adoucir le sort des misérables jusqu’à l’organisation de l’harmonie qui les mettra à l’abri du besoin. Cette charité sera d’autant plus spontanée que la hiérarchie sphérique devra rembourser, dès qu’elle sera constituée, toutes les aumônes qui auront été votées sur l’espoir de sa fondation prochaine.


Il est nécessaire, citoyen grand juge, de vous prévenir d’un incident comique qui résultera de la théorie du mouvement social. Elle va porter un coup mortel aux deux philosophies politique et morale, et, de plus, une blessure incurable à la métaphysique. Ces trois sciences ont engendré et entretenu la pauvreté, la perfidie et l’ignorance des destins. C’est l’antipode de leur tâche ; elles ont dû s’attendre à la catastrophe ; aussi la prévoient-elles, depuis Socrate qui espère que la lumière descendra, jusqu’à Voltaire qui s’écrie :


Mais quelle épaisse nuit voile encor la nature !


Cette lumière, sollicitée depuis Socrate jusqu'à Voltaire, doit être un coup de foudre pour ceux mêmes qui l'ont désirée ; car, en la demandant, ils avouent leur ignorance. La disgrâce de ces trois sciences sera un bien petit malheur. On ne peut pas, disent les militaires, faire l'omelette sans casser des œufs ; ainsi, dans le choc de la vérité contre le sophisme, il faudra bien que quelque science reste sur le carreau. L'humanité perdra beaucoup de livres, mais elle gagnera le bonheur, l'opulence et la paix pour l'espace d'environ soixante mille ans ; voilà de quoi se consoler.


La religion  ne peut pas être offensée dans ce débat. Elle ne nous a point leurrés, elle ne nous a point promis le bonheur en civilisation ; au contraire, elle a enseigné la bonne vérité en disant que les lumières des philosophes ne sont que des ténèbres.


En vous faisant entrevoir le bien de l'humanité entière, la paix perpétuelle, la cessation prochaine des misères du peuple et des crimes sociaux, l'exaltation du premier consul à la suprématie, je suis assuré, citoyen grand-juge, d'exciter, non pas vos doutes, mais vos vœux pour la véracité du calcul annoncé. S'il avait été révélé plus tôt et si le premier consul connaissait dès à présent les lois du mouvement social, il pourrait jouer complètement l'Angleterre dans un traité de paix calculé sur la révolution prochaine, et cette humiliation d'un cabinet agitateur serait une brillante facétie pour la clôture de la civilisation.


Parmi les bienfaits sociaux dont je vous ai offert la perspective, je ne dois pas oublier d'annoncer que, deux ans après l'établissement de l'harmonie, on verra cesser toutes les maladies accidentelles, peste, épidémies vénérienne, variolique, fièvre jaune, etc... Dès que la hiérarchie sphérique sera constituée, elle établira quarantaine universelle sur les maladies syphilitiques ; en même temps, le Primat du globe lèvera environ vingt millions de pionniers pour assainir promptement les régions méphitiques. Ainsi l'extinction des maladies accidentelles s'opèrera dans l'espace de deux à trois ans.


Je me résume, citoyen grand-juge, à deux sollicitations sur lesquelles j'ose vous demander réponse :


1° L'autorisation de faire insérer des articles détachés dans les journaux de Paris, en leur laissant la latitude de corriger à volonté, selon les intentions de la censure, que je saurai bien pressentir ;


2° Le communication de ma lettre ou d'une copie au premier consul. Je ne saurais comment lui en faire tenir une en main propre ; j'espère sur votre complaisance pour cet envoi. Il ne peut manquer d'être ému à l'idée de tirer le genre humain du chaos social, d'extirper à jamais de la terre entière l'indigence et les crimes, et de devenir sur la terre le bras de Dieu qui conduira le genre humain à sa destinée. Il ne se méfiera point de l'homme qui lui montre une telle carrière.


Les extrêmes se touchent ; si je suis inconnu et misérable, je m'attends à exciter la confiance du premier des hommes par l'excès même de mon obscurité.


J'ai l'honneur de vous saluer respectueusement.


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MessageSujet: Lettre de Kurt Cobain à son ami d’enfance imaginaire   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Icon_minitimeJeu 10 Avr 2014, 18:17

Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Kurt-Cobain

“Il vaut mieux brûler franchement que s'éteindre à petit feu”
Lettre de Kurt Cobain à son ami d’enfance imaginaire
 

Le 8 avril 1994, un électricien retrouvait le corps de Kurt Cobain, leader du légendaire groupe grunge Nirvana qui a marqué la musique et  l’histoire des années 90. Tragiquement suicidé, il n’a laissé que cette lettre d’adieu adressée à un ami d’enfance imaginaire.


5 avril 1994

A Boddah,

Parlant du point de vue d'un niais qui en a vu et qui, visiblement, préférerait être un gamin émasculé et plaintif, cette lettre devrait être assez facile à comprendre.

Tous les avertissements qui m'ont été donnés, des quatre cents coups du punk rock, jusqu'à ma découverte, dirons-nous, de l'éthique qu'impliquaient l'indépendance et l'embrassement de votre communauté, se sont avérés justifiés. Je n'ai plus ressenti d'excitation à écouter de la musique ni même à en créer depuis maintenant trop d'années. Je me sens coupable de tout cela bien au-delà des mots.

Par exemple, lorsque nous sommes en coulisses, que les lumières s'éteignent et que les hurlements frénétiques de la foule commencent à se faire entendre, cela ne me touche plus autant qu'un Freddie Mercury, qui semblait adorer et se délecter de l'amour et de l'adoration que cette foule lui témoignait, ce que j'admire et envie totalement. Le fait est que je ne peux pas vous tromper, aucun d'entre vous. Cela n'est honnête ni pour vous ni pour moi. Le pire crime auquel je puisse penser serait de duper les gens en prétendant que je m'amuse encore à 100%. Parfois, j'ai l'impression que c'était comme si je pointais avant de monter sur scène. J'ai essayé tout ce qui était en mon pouvoir pour y prendre plaisir (et j'y prends effectivement plaisir, mon dieu croyez moi, j'y prends plaisir, mais pas suffisamment). Je me réjouis d'avoir touché et diverti tant de gens. Je dois être l'un de ces narcissiques qui n'apprécient les choses que lorsqu'elles ne sont plus. Je suis trop sensible. J'ai besoin d'être légèrement engourdi pour retrouver l'enthousiasme de mon enfance.

Au cours de nos trois dernières tournées, j'ai pu apprécier bien mieux tous les gens que j'ai rencontrés personnellement ou en tant qu'admirateur de notre musique ; mais je ne parviens toujours pas à surmonter la frustration, la culpabilité et l'empathie que j'éprouve à l'égard de tout le monde. Il y a de la bonté en chacun de nous et je pense que j'aime tout simplement trop les gens. Tant et si bien que ça me rend foutrement triste. Pauvre petit, susceptible et ingrat, né sous le signe du poisson, doux Jésus. Pourquoi ne pas simplement se réjouir ? Je ne sais pas !

J'ai une femme divine qui transpire l'ambition et la compassion et une fille qui me rappelle trop ce que j'ai été, pleine d'amour et de joie, qui embrasse chaque personne qu'elle croise parce que chacun est bon et ne lui fera pas de mal. Et ça me terrifie au point que je peux à peine fonctionner. Je ne peux pas me faire à l'idée que Frances puisse devenir le rocker misérable, autodestructeur et suicidaire que je suis aujourd'hui.

J'ai de la veine, beaucoup de veine, mais dès l'âge de sept ans, j'ai commencé à haïr l'être humain en général. Simplement parce que ça semble si facile pour les gens qui ont de l'empathie de bien s'entendre. Seulement parce que j'aime trop les gens et que je me montre trop compatissant envers eux, je crois.

Je vous remercie tous, depuis le gouffre brûlant de mon estomac nauséeux, pour vos lettres et l'intérêt que vous m'avez accordé ces dernières années. Je suis un gosse, trop erratique et trop instable ! Je n'ai plus de passion, alors rappelez-vous : il vaut mieux brûler franchement que s'éteindre à petit feu.

Paix, amour, compassion. Kurt Cobain.

Frances et Courtney, je vous adorerai toujours. S'il te plaît, Courtney, continue pour Frances. Pour sa vie, qui sera bien plus heureuse sans moi.

JE VOUS AIME. JE VOUS AIME !!!

 



 

 
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MessageSujet: Lettre de Primo Levi à son traducteur allemand Heinz Riedt   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Icon_minitimeDim 13 Avr 2014, 17:40

 Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré 792533


Je n'ai jamais nourri de haine à l'égard du peuple allemand


Lettre de Primo Levi à son traducteur allemand Heinz Riedt
 

Survivant d’Auschwitz, Primo Levi est l’un des grands écrivains de la Shoah, témoin capital  d’Auschwitz, qu’il a décrit inlassablement et légué aux générations futures. Rongé par la culpabilité, son décès mystérieux le 11 avril 1987, suicide ou accident, relança toutes les interrogations sur la survie des rescapés de la barbarie nazie. Si ses œuvres, empreintes d’un souci scientifique de restituer la réalité historique, oscillant entre la littérature et l’histoire, le témoignage et la réflexion, jamais il ne put comprendre la barbarie nazie. Illustration dans cette lettre à son traducteur allemand.
 
Mai 1960


[…] Ainsi, nous en avons terminé : j'en sui heureux, satisfait du résultat, je vous en suis reconnaissant, et je suis en même temps un peu triste. Vous le comprendrez: c'est le seul livre que j'aie écrit, et maintenant que nous avons fini de le transplanter en allemand je me sens comme un père dont le fils est devenu majeur et part, et qui ne peut plus s'occuper de lui.
Mais il y a encore autre chose. Vous vous serez probablement aperçu que le Lager, et avoir écrit sur le Lager, ont été pour moi une aventure importante qui m'a changé profondément, m'a mûri et m'a donné une raison de vivre. C'est peut-être de la présomption, mais le fait est qu'aujourd'hui, moi, le détenu 174 517, grâce à votre entremise, je veux parler aux Allemands, leur remettre en mémoire ce qu'ils ont fait, et leur dire : " Je suis vivant, et je voudrais vous comprendre afin de vous juger."
Je ne crois pas qu'une vie humaine ait nécessairement un but bien défini, mais si je pense à ma propre vie et aux buts précis que je me suis fixés jusqu'ici, je n'en distingue qu'un de bien précis et conscient, et c'est justement de porter témoignage, de faire entendre ma voix au peuple allemand, de "répondre" au capo qui s'est essuyé la main sur mon épaule, au docteur Pannwitz, à ceux qui pendirent "le Dernier", et à leurs héritiers.
Je suis sur que vous n'avez pas mal compris. Je n'ai jamais nourri de haine à l'égard du peuple allemand, et si j'en avais nourri, j'en serais guéri maintenant, après vous avoir connu. Je ne comprends pas, je ne supporte pas qu'on juge un homme non pour ce qu'il est mais à cause du groupe auquel le hasard l'a fait appartenir […]
Mais je ne puis dire que je comprends les Allemands : or, une chose qu'on ne peut comprendre constitue un vide douloureux, une piqûre, une irritation permanente qui demande à être soulagée. J'espère que ce livre aura quelque écho en Allemagne : pas seulement par ambition, mais parce que la nature de cet écho me permettra peut-être de mieux comprendre les Allemands. d'apaiser cette irritation.
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MessageSujet: Lettre de Charlie Chaplin à son frère Sydney    Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Icon_minitimeMer 16 Avr 2014, 11:26


 Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Charli10

Sid, nous serons bientôt millionnaires.



Lettre de Charlie Chaplin à son frère Sydney
 

L’immense Charlie Chaplin (16 avril 1889 – 25 décembre 1977), pierre angulaire du cinéma, achève avec son incarnation du très attachant Charlot, la jonction entre le film muet et le cinéma parlant. Sa personnalité très singulière, le mena avec succès vers une renommée qu’il recherchait avec avidité, comme en témoigne cette lettre à son frère. Le réalisateur y livre un état des lieux de son encore très jeune carrière et affiche clairement son ambition : devenir millionnaire.
 
Los Angeles Athletic Club,


Los Angeles, Calif.



Dimanche 9 aout [1914]







Mon cher Sid,


Tu sais parfaitement qui s’adresse à toi. Oui. C’est bel et bien ton frère Chas. Je t’écris après toutes ces années, mais tu dois me pardonner. Tout mon temps est pris par les films. J’écris, je réalise, et joue dans chacun d’entre eux et, crois-moi, cela m’occupe beaucoup. Et oui, Sid, j’ai réussi. Tous les cinémas arborent mon nom en lettres capitales, soit « Chas Chaplin, aujourd’hui ». Je te le dis, dans ce pays je suis une attraction du box office. Tous les managers me disent que je reçois 50 lettres par semaine d’hommes et de femmes des quatre coins du monde. C’est merveilleux de voir comme je suis devenu célèbre en si peu de temps et j’espère que l’année prochaine je gagnerai beaucoup de pognons. J’ai reçu énormément d’offres à 500 $ par semaine accompagné de 40% d’actions, ce qui équivaut à un salaire d’environ 1000 $ par semaine. M. Marcus Lowe, le plus important proprio de salles de cinéma, m’a fait une offre très sérieuse et veux que je forme une compagnie et me propose de choisir entre une paye à la semaine ou 50% des actions.

C’est une affaire réglée, quoiqu’il en soit, tout cela est entre les mains de mes avocats, et bien entendu, j’irai au bout de mon contrat avec les gens de Keyst., et s’ils mettent une meilleure offre sur la table, je resterai où je suis. Cette opportunité avec Marcus Lowe est   concrète : j’ai la garantie d’être dans toutes ses salles ainsi que de vendre à l’extérieur par la suite. Bref, je t’expliquerai tout cela dans ma prochaine lettre. Il financera toute l’opération et si elle aboutit, cela est synonyme de jackpot pour nous. Mr Sennett est à New York. Il dit vouloir t’écrire et te faire une offre. Je lui ai assuré que tu serais parfait pour le cinéma, bien sur il ne te connait pas et se contente de suivre simplement mes recommandations. Il dit vouloir te donner 150 $ pour commencer. Je lui ai répondu que tu gagnais déjà cela et que tu n’imaginais pas de te déplacer pour la même somme. Si toutefois tu l’envisages, ne signe pas pour une trop longue durée, parce que je te voudrai avec moi lorsque je commencerais Je pourrai t’obtenir 250 $ très facilement mais tu devras alors singer un contrat. Il vaut mieux pour toi que tu viennes pour trois mois auprès des Keystone et qu’ensuite tu travaille à notre propre comte. Tu auras des nouvelles de Sennet, mais ne viens pas pour moins que cela, compris ?

Tu vas adorer ici, c’est un très beau pays, et l’air frais me fait un bien fou. Je me suis fait un tas d’amis ici et je me rends à toutes les fêtes etc. J’ai mes entrées dans le meilleur Club de la ville, là où tous les millionnaires se rendent, et j’y passe des moments sains et agréables. Je vis bien. J’ai mon propre valet, c’est la classe non ?

Je continue à faire des économies et depuis mon arrivée j’ai placé 4 000 $ dans une banque, 1200 dans une autre et 1500 à Londres, pas mal pour 25 ans et je me porte toujours bien Dieu merci.  Sid, nous serons bientôt millionnaires. Ma santé est meilleure que jamais et je grossis. Bon  tu dois me donner des nouvelles de Mère et n’oublie pas de m’écrire avant de signer tout contrat parce qu’il y a une autre firme prête à te payer 250$.

Ils me voulaient et je leur ai parlé de toi, puisque je ne pouvais pas rompre mon contrat. Mr Sennet est un homme charmant et nous sommes bons amis, mais les affaires sont les affaires. Bien sûr, il ne sait pas que je le quitte ni que j’ai reçu ces offres, donc ne dis rien à personne pour éviter les rumeurs, on ne sait jamais. Je ne voudrais pas blesser Sennet, il a beaucoup d’estime pour moi. Maintenant, concernant l’argent pour mère, penses-tu qu’il soit prudent que je te l’envoie pendant que la guerre bat son plein ou crois-tu qu’il vaut mieux que tu payes ma part pour le moment et que je te rembourse plus tard. Tant que j’ai l’assurance que l’argent atteindra sa destination, je te l’enverrai. Quoiqu’il en soit, fais-moi savoir quoi faire dans ta prochaine lettre.  J’espère qu’ils ne t’enverront pas au combat. Cette guerre est terrible. C’est à peu près toutes les nouvelles importantes que j’avais. Je viens d’achever un long métrage avec Marie Dressier, la star américaine, et moi-même. Il a couté 50.000$ et j’y occupe chaque plan. C’est le meilleur film que j’ai jamais fait. Je dois en venir au bout à présent, je commence à avoir faim. À l’instant mon valet me dit que des amis viennent me chercher en automobile donc je vais diner à la plage. Bonne nuit Sid, mon affection à Minnie


Ton frère qui t’aime.


Charlie
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MessageSujet: Lettre de Jean-Paul Sartre au « Castor » Simone de Beauvoir   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Icon_minitimeMer 16 Avr 2014, 11:27

Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Sartre_and_de_Beauvoir_at_Balzac_Memorial-800x600
 

Vous avez été un petit charme et vous m’avez rappelé ce que c’était que le vrai bonheur. 




Lettre de Jean-Paul Sartre au « Castor » Simone de Beauvoir
 

Jean-Paul Sartre (21 juin 1905- 15 avril 1980), père de l’existentialisme, penseur engagé, romancier et dramaturge, a chercher à démêler le sens du tissu complexe de la vie humaine, dans son rapport au monde, au travail et à autrui. Inextricablement lié à Simone de Beauvoir, son autre morganatique, leur correspondance s’inscrit dans le flux de l’Histoire. En témoigne cette lettre, adresse amoureuse du philosophe à celle qu’il aime, en pleine drôle de guerre.

Le 6 novembre [1939]


Mon charmant Castor

Comme c’était triste hier soir de laisser cette petite personne toute seule dans le noir. Un moment j’ai eu l’idée de retourner et puis j’ai pensé : « À quoi bon ? Ça sera cinq minutes et puis après ça sera plus dur de se séparer. » J’ai marché très vite jusqu’à l’école, je savais tout le temps que cette chère petite personne était encore là, à cinq cents mètres de moi, ça m'a empêché de lire tout un grand temps. Mais vous savez, au fond, j’étais profondément heureux. Vous comprenez, ça m’avait secoué, ces cinq jours, secoué dans ma vase et puis j’y retombais, mais c’est formidable tout ce que ça m’a donné. D’ailleurs ça m’a donné une seule chose, tout simplement mais que rien ne peut valoir, votre présence toute seule et toute nue et vos petits visages et vos tendres sourires et vos petits bras autour de mon cou. Mon amour c’est bien vrai, ce qu’on disait souvent, que je pourrais vivre avec vous n’importe où. Après ça j’étais un peu inquiet, pas bien sûr de moi et puis je me demandais qu’est-ce que vous deveniez, si tout marchais bien pour vous ; j’imaginais ce train noir et froid.

Les acolytes étaient là, agaçants et complices. Pieter m’a demandé en mimant l’air détaché et en barbouillant les mots dans sa bouche, par discrétion (il était d’ailleurs seul avec moi) si vous étiez partie. J’ai écrit un peu dans mon carnet et puis on a été se coucher. Mme Vogel nous avait déménagés. Nous sommes à présent dans un salon en noyer qui ressemble un peu à celui du Bel Eute mais avec des couleurs plus criardes. On nous a dressé là un lit qui semble fort déplacé. Paul tremble de casser des potiches, coquillages, bonbonnières ou bibelots dont la salle regorge, dans son sommeil ambulant. Mais il a été très sage. Ce matin il est parti pour chercher des tubes d’hydrogène avec Pieter et je suis resté seul tout le jour. J’ai été à la Rose, vers sept heures moins le quart et la grosse vieille m’a dit en ricanant : « Ha ! Ha ! vous êtes seul ! » J’ai lu Un rude hiver, suite et fin qui m’a déçu. D’ailleurs il n’y a pas là de quoi faire un livre. Ça doit être tronqué j’imagine. J’étais tout enveloppé de tendresse mais je ne voulais pas m’y laisser aller, c’est pernicieux. Tout de même je me demandais tout le temps si vous aviez bien senti combien profondément je vous aime et ce que vous êtes pour moi.

O mon charmant Castor, je voudrais que vous sentiez mon amour aussi fort que vous sentez le vôtre. Je suis revenu et toute la matinée j’ai gratté sur mon petit carnet. Mais pas sur ce qu’on avait dit ; au fond c’est tellement simple : j’ai été profondément et paisiblement heureux et maintenant je ne veux pas avoir de regrets, voilà tout ce qu’il y aurait à dire. J’ai senti toute la journée que j’étais en état de regarder ma situation avec un œil neuf mais je fermais soigneusement cet œil-là. A présent, à force d’être fermé, comme l’œil de la taupe il s’est résorbé. Voilà ce que je n’ai pas écrit. Mais j’ai continué de 9h à 11h (après un sondage exécuté seul avec Keller) à coucher sur le papier des considérations sur mon adolescence – et puis encore un peu au Cerf (où on m’a posé les questions polies qui s’imposaient) de 11h à 12h. Puis j’ai déjeuné (du veau, en signe de deuil – on me proposait aussi des salsifis mais je n’ai pas voulu pousser le deuil jusque-là et j’ai obtenu des pommes sautées) et Mistler est venu avec Courcy.  Appel. Puis j’ai encore gratté le papier jusqu’à maintenant. Paul me dit que sa femme est institutrice à 7 kilomètres de Tréveray et qu’elle est très serviable. Voilà. Pas de lettre de Tania – elle doit râler, je serai curieux de connaître le dénouement de cette histoire. Une aimable lettre de ma mère. C’est tout, ça fait lendemain de fête, c’est une lettre de vous que j’aurais voulu.

Mon cher amour, ma petite fleur, on n’a fait qu’un, n’est-ce pas ? Je vous aime si fort, si fort et je le sens bien. Vous avez été un petit charme et vous m’avez rappelé ce que c’était que le vrai bonheur. Je vous embrasse sur vos deux petites joues.
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MessageSujet: Lettre de Nina Simone à Isabelle Terrin   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Icon_minitimeMar 22 Avr 2014, 08:04

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Mon problème (à ton avis) est d’aimer trop intensément
Lettre de Nina Simone à Isabelle Terrin
 

Nina Simone (21 février 1933-21 avril 2003), grande dame du jazz, icône black  dans le monde entier a mené une vie multiple et mystérieuse. Dans cette lettre à son avocate, Isabelle Terrin, elle livre un récit décousu sur sa vie, ses origines et ses amours, et laisse à présager son état psychologique qui la mènera quelques mois plus tard dans un hôpital psychiatrique.

 
17 octobre 1995

Chère Isabelle,

J’ai été très touchée par ta lettre pleine de délicatesse. J’ai hésité à te répondre à cause de la souffrance extraordinaire que j’ai connue à Bouc-Bel-Air. Quoiqu’il en soit, c’est « toi » qui m’as dit que mon problème (à ton avis) est d’aimer trop intensément. Et tu me l’as expliqué avec des mots si bien choisis.

C’est à la fois une joie et une douleur inexplicable d’être « belle » et noire, et d’être une femme, d’être célèbre dans des pays aussi bien familiers qu’inconnus. D’être MOI. Nous partageons la douleur (c’est évident), mais pas au même niveau.

Je ne compte pas revenir à Bouc-Bel-Air pour l’instant. Le seul jugement auquel je fais confiance [référence à son récent procès], c’est le mien et celui de quelques rares (très rares) amis. […] J’ai dû me fier à l’Homme noir parce qu’à l’époque et encore aujourd’hui (et hélas, pendant les 500 dernières années, ceux de mon peuple — ignorants, pauvres, riches ou célèbres, peu importe — ont été traqués, violés, massacrés — bébés extirpés du ventre déchiré des femmes de Gorée). Oui, j’ai vu tout ça Isabelle. Alors la seule nouveauté en Bosnie, c’est que ça concerne les Blancs. Il est possible (mais hautement improbable) que l’HOMME BLANC (en tant que race) ait changé. Le racisme est un problème auquel je serai toujours confrontée. Mon « père », vois-tu, m’a donné pour instruction de passer six mois par an jusqu’à ma mort en Afrique, où je suis libre.

J’ai été mariée deux fois, j’ai perdu quatre enfants parce que j’ai travaillé trop dur — et ma fille encore vivante (je l’ai vue) est belle et PERDUE. Elle n’a pas la moindre idée de quoi faire dans

Je suis une femme belle et intelligente, j’attire tous les hommes dotés d’odorat (sourires).  C’est vrai. Les chiens, les chats, les enfants aussi. Et je n’ai jamais renoncé à la liberté de marcher tranquillement dans la rue. Toutes les « stars noires » sont ici avec moi, les morts et les vivants, je suis amie avec la famille de Nat King Cole — la princesse Fernandez n’est pas ici, mais des amis communs sont présents… J’attends dans cet hôtel.

Il faut que je sache quelle est ma situation à Bouc-Bel-Air — à ce qu’on m’a dit, ces putains de journaux ont écrit que j’avais pris 18 mois de liberté surveillée. La sale publicité qui a entouré mon arrivée ici a déclenché une agitation que je ne peux pas affronter toute seule. Depuis mon arrivée le 29 août, les douanes ont déjà saisi ma voiture rouge. Je refuse de donner la moindre interview à qui que ce soit. En particulier, « 33 » m’a envoyé quatre fax de Paris au sujet d’un documentaire sur Billie Holiday. Pour 1000 dollars. Écoute, Isabelle — c’est une insulte, et à double titre, même : ces abrutis ont le culot de me demander de trahir l’une des femmes dont l’esprit a fait de Porgy un succès ! Mon Dieu ! Ils peuvent crever avant que je fasse une chose pareille. Billie Holiday est morte (essentiellement parce qu’elle a toujours refusé les tuyaux que les HOMMES lui proposaient à condition qu’elle les laisse la baiser d’abord) ? […]

Quant à mon amour (Mohamed), il m’a non seulement demandé de l’épouser, mais il s’est également procuré des vêtements convenables pour une grande fête en Tunisie. Isabelle, il a dû s’en occuper tout seul, même s’il n’a que vingt-cinq ans, parce que ma robe de mariée est déjà prête et ajustée. Je ne sais pas si ça va marcher. Il ne peut pas me rejoindre pour l’instant. Il est lent à mesurer toute la cruauté de la vie, surtout aux Etats-Unis. Son « honnêteté » est tout bonnement affolante. Il me donne de ses nouvelles tous les trois jours et je pleure tous les soirs. Il est si jeune et pur. Il a touché mon cœur et mon âme. C’est à la fois effrayant et tellement rare.

Je t’ai sûrement déjà parlé de Mohamed. Les Français refusent de te laisser entrer en France, et les Américains refusent de le laisser entrer en Amérique. Me voilà coincée. Je dois me reposer dans cet hôtel (situé à quelques minutes à peine de mon appartement) le temps pour moi de me calmer les nerfs et d’offrir à Nina Simone du bon temps rien que pour elle. Ce sera une première.

Tu peux me contacter ici. J’attends tes réflexions personnelles sur tout ce que j’ai écrit.

Amitiés sincères,

Nina.

 
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MessageSujet: Lettre de Gabriel « Gabo » Garcia Marquez à Plinio Mendoza   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Icon_minitimeMar 22 Avr 2014, 12:49

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Le jour où cela explose, il faut s’asseoir face à la machine à écrire ou bien tu cours le risque d’assassiner ta femme 




Lettre de Gabriel « Gabo » Garcia Marquez à Plinio Mendoza
 

Mort le 17 avril 2014, Gabriel Garcia Marquez, dit « Gabo », immense écrivain colombien, mythe de la littérature hispanique, fut un auteur démesuré et excessif, à la hauteur sa destinée inouïe. Après avoir publié plusieurs récits, écrit divers scénarios, c’est au cours d’un voyage sur ses terres natales que Gabo se souvient des récits mythologiques que lui racontait sa grand-mère sur la genèse et le destin fabuleux des habitants de Macondo. De cette révélation prophétique allait naître son grand œuvre : de retour chez lui, il quitte ses emplois alimentaires, charge sa femme de l’administration de la vie courante et travaille sans répit pendant 18 mois. Ce souffle homérique aboutira à Cent ans de solitude, le livre le plus lu au XXème siècle, l’un des emblèmes du Boom latino. L’inventeur du réalisme magique, aura toutefois traversé doutes littéraires et difficultés matérielles, comme en témoigne cette lettre à son ami.
 
1967

Après avoir travaillé comme une bête pendant tant d’années, je me sens épuisé de fatigue. Je n’ai aucun horizon clair, sauf que la seule chose qui me plaît mais ne me permet pas de vivre, c’est d’écrire des romans. Ma décision, qui obéit surtout à une irrésistible impulsion, est de me débrouiller, par tous les moyens, pour continuer à écrire mes textes. Crois bien, sans en faire un drame, que je ne sais pas ce qui va se passer

Ce que tu me dis du chapitre de Cent ans de solitude me rempli de joie. C’est pour ce cela que je l’ai publié. Quand je suis revenu de Colombie et que j’ai repris ce que j’avais écrit, j’ai eu l’impression démoralisante d’être embarqué dans une aventure dont l’issue pouvait être heureuse autant que catastrophique. Pour avoir l’opinion d’autres personnes, j’ai alors envoyé le chapitre à Guillaume Cano et j’ai réuni les individus les plus experts, exigeants et francs à qui j’ai lu un autre chapitre. Le résultat fut formidable, surtout parce que j’ai lu le chapitre le plus dangereux : la montée au ciel, corps et âme, de Remedios Buenda…

Par ces quelques paroles, j’essaie de répondre sans aucune fausse modestie à ta question sur ma gestation de romans si épais. En réalité, Cent ans de solitude est le premier roman que j’ai essayé d’écrire, à l’âge de 17 ans, sous  le titre de La Maison. Je l’ai abandonné peu après car c’était trop grand pour moi. Depuis je n’ai cessé d’y penser, d’essayer de le visualiser mentalement, de chercher la forme la plus efficace de le raconter et je peux t’assurer que le premier paragraphe du roman est, à la virgule près, le premier paragraphe que j’ai écrit il y a 20 ans. De tout cela j’en conclus que lorsque quelque chose te poursuit, cela se construit tout seul dans ta tête pendant très longtemps et le jour où ça explose, il faut s’asseoir face à la machine à écrire ou bien tu cours le risque d’assassiner ta femme.

 

 
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MessageSujet: Lettre de Madame de Staël à Ribbing   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Icon_minitimeMer 23 Avr 2014, 07:46

Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Madame-de-sta%C3%ABl
 
 
Je vous aime par-delà tous les sacrifices du monde, compris celui de ma vie. 


Lettre de Madame de Staël à Ribbing
 

Fille de Necker, banquier et fameux ministre des Finances, Madame de Staël incarne la fine fleur de l’aristocratie française traversant les effluves révolutionnaires, à coups d’amours déchirées et d’ouvrages pénétrants. Ennemie attitrée de Napoléon, qui la poussa à de longs exils, penseuse et femme politique de premier plan, elle est une pionnière du romantisme et de l’aspiration féminine au bonheur. Dans cette lettre, entre la fin de son idylle avec M. de Narbonne, et avant de former un couple mythique avec Benjamin Constant, elle supplie son amour d’alors de lui répondre : l’amour ou la mort.
 
10 mars, Coppet, 1796





[…] Aujourd’hui, vous […] donnerez la réponse qui décidera de ma vie, elle sera telle peut-être que je ne pourrai plus sans m’avilir ni vous écrire ni vous recevoir. Pour la dernière fois, si vous ne m’aimez plus, entendez l’accent de la personne du monde à qui vous avez été le plus cher, conservez cette lettre dont les caractères autrefois vous ont ému et, pour dernier souvenir d’un sentiment qui vous a occupé, d’une personne qui a eu la gloire d’intéresser le caractère le plus distingué de son siècle, mandez-moi que vous l’avez reçue. 


J’ai besoin de savoir que ce testament de mon cœur est entre  vos mains, que la date, le lieu vous seront quelquefois présents et que les larmes dont j’ai couvert ce papier auront fait naître en vous un mouvement d’attendrissement. 


Il y a six semaines que vous ne m’avez écrit et l’on écrit de partout que vous aimez Pulchérie. Si vous me mandez que cela n’est pas, le ciel se rouvre pour moi ; dans trois semaines je vous revois et ma vie est à vous. 


Si ce même caractère de vérité qui fonde ma confiance vous porte à me dire que depuis le 19 janvier j’ai cessé d’être celle sans laquelle, disiez-vous, il vous serait impossible de vivre, connaissez-moi par moi, non pas tout ce que l’envie se plaît à répéter sur une personne supérieure pour son malheur à quelques égards, mais qui n’a pas su tirer de ses avantages le seul bien désirable, le bonheur de fixer ce qui l’avait aimée. Vous avez vu ce qu’il m’en a coûté pour rompre avec M. de Narbonne et peut-être, dans la triste situation où il est maintenant, sent-il plus que personne ce que valait mon dévouement. Et cependant ce qu’on appelle l’amour, cet invincible attrait des yeux comme du cœur, je ne l’avais jamais ressenti pour lui. 


A 26 ans, malgré moi, malgré tous les obstacles qui nous séparaient, j’ai conçu pour vous un attachement sans bornes, sans mesures et tant que je vivrai, vous aurez la preuve que ce sentiment n’a pas cessé […]. Je n’ai point de droits à votre reconnaissance, mon sentiment me commandait et non pas vous et je n’ai jamais cru qu’il ne vous fût pas plus facile de vous passer de moi que moi de vous […]. Je vous aime par-delà tous les sacrifices du monde, compris celui de ma vie, mais j’avoue que jamais Benj. ne s’est offert à moi comme un rival pour Adolphe.


 Il a un grand goût pour mon meilleur talent, l’esprit ; il partage ces occupations littéraires que je mets à la place du vide des heures des femmes, et enfin je crois vous avoir dit (sous le sceau du secret) et malgré le dégoût d’un tel sujet, que sa femme, en se divorçant de lui, avait donné pour raison l’état déplorable de sa santé. Il semble qu’il est hors de la carrière de l’amour, du moins de celui qu’on s’inspire […]. 
Si vous avez cessé de m’aimer, c’est plutôt fatigué de l’excès de ma tendresse d’inquiet de sa vérité. Je sens que tout espoir de bonheur est fini avec vous. Vous savez combien il m’en coûtait, même au milieu de ma passion pour vous, de confier deux fois ma vie. Il est dit que je vivrai seule, que je descendrai dans un autre âge sans appui, que mon ardente et profonde sensibilité dévorera mon cœur. Dieu, le hasard, que sais-je, veut que des femmes qui ne me valaient pas ont reposé leur tête dans des bras protecteurs, et pouvant réunir les souvenirs de la jeunesse à la confiance de l’âge mûr, n’ont pas vu comme moi dans la durée de la vie que l’isolement de l’abandon […]. 
Adieu, Adolphe, peut-être adieu pour toujours ; peut-être adieu pour trois semaines et la vie ensuite heureuse. 


Quoi qu’il arrive, le dernier sentiment de ma vie restera attaché à la dernière fois où vous m’avez serrée contre votre cœur.

( Madame de Staël, Choix de lettres (1778-1817), Editions Klincksieck ; Image : Wikipédia )
 
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MessageSujet: Lettre d’Eugène Delacroix à Achille Piron   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Icon_minitimeSam 26 Avr 2014, 07:44

Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Mwm02462
 

Je bâtis des châteaux de chimères et me voilà divaguant et extravagant dans la vaste mer de l’illusion sans bornes et sans rivages. 


Lettre d’Eugène Delacroix à Achille Piron
 

Delacroix, peintre et emblème du romantisme, auteur  d’œuvres mémorables comme  La Liberté guidant le peuple, La Mort de Sardanapale ou encore Femmes d’Alger dans leur appartement, incarne à merveille la fougue et l’ivresse du génie artistique.  À l’âge de 17 ans, ce « maître de l’école française » s’épanche dans cette lettre à son ami Achille Piron sur la passion amoureuse dans la vie du peintre solitaire et voué à son art.
 
20 août 1815



Que de choses j’aurais à te dire, mon bon ami, si je n’avais pas perdu la tête, mais malheureusement voilà mes anciennes folies qui me reprennent et tu n’as pas de peine à deviner pourquoi.
 Quel moment que celui où on revoit après des siècles, un objet qu’on croyait avoir aimé et qui était presque entièrement effacé du cœur… 
Au milieu de tout cela je tombe de mon haut quand je songe à l’empire que j’ai eu sur moi-même hier dans cet instant délicieux et terrible qui m’a réuni pour quelques minutes à celle que j’avais eu l’indignité d’oublier. Il m’arrive souvent qu’une sensation morale, de quelque nature qu’elle soit, ne me frappe guère que par contrecoup, et lorsque livré à moi-même ou rentré dans la solitude de mon âme, l’effet s’en renouvelle avec plus de force par l’éloignement de la cause. C’est alors que mon imagination travaille et que, contraire à la vue, elle agrandit les objets à mesure qu’ils s’éloignent. Je m’en veux de n’avoir pas joui avec assez de plénitude de l’instant que le hasard m’a procuré ; je bâtis des châteaux de chimères et me voilà divaguant et extravagant dans la vaste mer de l’illusion sans bornes et sans rivages.
 Me voilà donc redevenu aussi sot qu’auparavant. Dans le premier instant mon cœur battit d’une force…
 Ma tête se bouleversa tellement que je craignis de faire une sottise : je ne faisais pas un pas sans songer que j’étais près d’elle, que nos yeux contemplaient les mêmes objets et que nous respirions le même air : lorsque je lui eus parlé et que tu m’entraînas dans l’autre salle… je t’aurais, je crois, battu et néanmoins je n’étais pas fâché d’un autre côté de m’éloigner d’elle, mais je crois que l’enfer et les démons ne seraient par parvenus à me faire quitter cette maison bienheureuse tant que j’y aurais su ma Julie. Et puis ces habits noirs, cette tête pâle et défaillante, ces tombeaux, ce froid vague qui me saisissait, cette mort que je voyais partout, ces charmes pleins de jeunesse et rayonnants de beauté, ce pied vif et léger qui foulait les froides reliques de mille générations et la poussière de quelques tyrans… que de sensations, que de choses...


Une tête plus forte que la mienne n’y eût pas résisté, et ma foi, à quoi bon s’arracher de l’âme un sentiment qui la remplit si bien, qui cadre si bien avec mes idées.

Peu à peu mes sens se rassirent : nous parlâmes, nous fîmes quelques plaisanteries, cela me calma, mais dès que je t’eus quitté, mon esprit et mon cœur furent tout aux petits Augustins.  Enfin que veux-tu, je suis le plus grand des fous ; moi, je m’en moque, il faut que je la voie, il le faut, je donnerais le diable pour en venir à bout. Tu sais à peu près à quels termes j’en suis avec elle, elle m’a contemplé hier avec une certaine attention et une fréquence qui persuade à ma vanité que je ne lui suis pas indifférent, tandis que d’un autre côté, je n’y vois qu’une simple curiosité. Il faut dans tout cela me donner au plus vite ton avis, il faut éclaircir tout ceci. 
Je t’en supplie par l’amitié que j’ai pour toi, cherche, travaille de ton côté, retourne-toi l’esprit de mille manières pour me trouver le moyen de la voir, de lui parler, de lui écrire. Voilà de belles choses, d’étranges folies. 
Que dirais-je dans un an, dans un mois peut-être si je voyais une misérable lettre comme celle-ci. Mais je suis jeune et… non je ne suis pas encore amoureux : mais c’est à toi à décider si je dois le devenir ou non.

Réponds moi au plus vite, sur-le-champ, cherche, médite. Songe que je suis sur les épines, j’ai grand besoin que Cupidon jette  sur moi un regard de compassion, car je me vois bien loin de mon but.

Écris, écris, écris et surtout que je la voie.  Que d’obstacles ! Que de barrières à surmonter.

EUGÈNE.

( Eugène Delacroix, Lettres intimes, Gallimard ; Image : Wikipédia ) 
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MessageSujet: Lettre de Victor Hugo à M. Heurtelou, rédacteur en chef du Progrès   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Icon_minitimeDim 27 Avr 2014, 20:47

Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Chaines-L-g8SsXD-660x4732
 
 
 
La même flamme est dans l’homme. 


Lettre de Victor Hugo à M. Heurtelou, rédacteur en chef du Progrès
 

Si l’esclavage est reconnu comme un « crime contre l’humanité » depuis 2001, des esprits visionnaires et avancés se sont insurgés contre cette réalité terrible. Ainsi, en 1860 Victor Hugo défend la cause abolitionniste et prend la défense de John Brown, un Blanc qui fut pendu pour avoir encouragé la révolte des noirs.
 
Le 1 mars 1860



Hauteville-House, 1 mars 1860.

Vous êtes, monsieur, un noble échantillon de cette humanité noire si longtemps opprimée et méconnue.

D’un bout à l’autre de la terre, la même flamme est dans l’homme; et les noirs comme vous le prouvent. Y a-t-il eu plusieurs Adam ? Les naturalistes peuvent discuter la question ; mais ce qui est certain, c’est qu’il n’y a qu’un Dieu. Puisqu’il n’y a qu’un père, nous sommes frères. C’est pour cette vérité que John Brown est mort; c’est pour cette vérité que je lutte. Vous m’en remerciez, et je ne saurais vous dire combien vos belles paroles me touchent. Il n’y a sur la terre ni blancs ni noirs, il y a des esprits ; vous en êtes un. Devant Dieu, toutes les âmes sont blanches.

J’aime votre pays, votre race, votre liberté, votre révolution, votre république. Votre île magnifique et douce plaît à cette heure aux âmes libres ; elle vient de donner un grand exemple ; elle a brisé le despotisme. Elle nous aidera à briser l’esclavage.

Car la servitude, sous toutes ses formes, disparaîtra. Ce que les États du Sud viennent de tuer, ce n’est pas John Brown, c’est l’esclavage. Dès aujourd’hui, l’Union américaine peut, quoi qu’en dise le honteux message du président Buchanan, être considérée comme rompue. Je le regrette profondément, mais cela est désormais fatal ; entre le Sud et le Nord, il y a le gibet de Brown. La solidarité n’est pas possible. Un tel crime ne se porte pas à deux. Ce crime, continuez de le flétrir, et continuez de consolider votre généreuse révolution.

Poursuivez votre œuvre, vous et vos dignes concitoyens. Haïti est maintenant une lumière. Il est beau que parmi les flambeaux du progrès, éclairant la route des hommes, on en voie un tenu par la main d’un nègre.

Votre frère, VICTOR HUGO.

 
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MessageSujet: Lettre de Pedro Almodovar au Sénat argentin sur le mariage    Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Icon_minitimeLun 28 Avr 2014, 17:49


Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Pedro_Almod%C3%B3var_Guadalajara_3-660x429

Votez OUI 


Lettre de Pedro Almodovar au Sénat argentin sur le mariage homosexuel 
 


Le réalisateur de Talons aiguilles ou de Tout sur ma mère, Pedro Almodovar, qui a filmé la movida comme personne, est aussi un citoyen engagé. En juillet 2010, en plein débat sur le mariage homosexuel en Argentine, il écrit une lettre aux sénateurs argentins : vive les nouvelles familles !

 

Le 15 juillet 2010

Chers amis,

Le mariage homosexuel ne fait de mal à personne, ne vole rien et cependant, il rend heureuses de nombreuses personnes et leur offre la possibilité de vivre d’une manière honnête, pleine et cohérente avec leur amour. C’est un droit essentiel de toute société civilisée, sans quoi beaucoup de personnes seront marginalisées à cause de leur sexualité.

Parler d’égalité en ce sens n’est pas un caprice de dégénérés ; la Déclaration des Droits de l’homme affirme que nous sommes tous égaux, indépendamment de notre sexe, religion, condition sociale, langue, race, etc. Les idées sectaires, rétrogrades, immobilistes, sexistes et injustes ne doivent pas empêcher une société libre de progresser.

Clamer que le mariage homosexuel représente un danger pour la famille est mensonger et ridicule. Au contraire, les familles homosexuelles assurent l’avenir de l’idée de la famille et l’enrichissent. On ne peut imposer la famille biologique comme unique modèle familial, ou alors on va contre la réalité des choses. Si quelque chose caractérise la famille contemporaine, c’est son énorme variété. J’ai connu des familles avec une seule mère, un seul père, deux mères, deux pères, des familles multi-ethniques, des familles sans aucun géniteur biologique. Des familles dont les membres parlent plusieurs langues et proviennent de diverses cultures, des millions de familles qui ne sont pas catholiques. Qu’on le veuille ou non, ces familles existent et adorent leurs enfants, qu’elles élèvent et éduquent autant que toute autre famille biologique, parce qu’elles sont fondées sur l’amour et la solidarité humaines.

Je ne puis rien demander aux membres du Sénat Argentin. Pour voter cette loi qui autorisera le mariage homosexuel, je n’en appelle même pas à votre sens de la justice, mais je vous demande juste de faire preuve de bon sens. C’est la seule chose dont vous avez besoin pour voter OUI.
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MessageSujet: Lettre de Louis Armstrong à un fan   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Icon_minitimeVen 02 Mai 2014, 10:34

Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Louis_Armstrong_restored1-800x600
 
 
Tout est Musique. 


Lettre de Louis Armstrong à un fan
 

Pour fêter la Journée Internationale du jazz, voici une lettre de Louis Armstrong, l’un des pères du jazz, connu aux quatre coins du monde pour son timbre de voix rocailleux et son sourire légendaire. En pleine Guerre du Viet Nam, il revient dans une lettre à un soldat fan de cette musique sur les lieux et les origines de sa vocation de trompettiste. Tout comme le jazz s’émancipait de la musique traditionnelle de l’époque, cette lettre s’affranchit des règles de ponctuation et de syntaxe, fidèle en cela à l’esprit facétieux et swing de Satchmo.
 
1967



36–57–107 St. Corona, New York’ U.S.A Cher Lieutenant Caporal Villec ‘’

J’aimerais ‘prendre une ‘Minute ou ‘deux’ pour te ''dire combien – je sens que ‘tu es un fan de ‘Jazz, et que tu ‘Captes ce Jargon tout comme ‘nous’, "ouais". Bon Sang ! – j’ai toujours avec moi un ‘Album, ‘plein de ‘Chansons – en ‘Version Longue ‘ je précise. [...] ‘Ouais ! Je m’offre un ‘Concert avec ces ‘chansons. La ‘Musique, c’est la ‘vie en per’sonne. Que serait ce ‘monde sans de la ‘bonne musique ? Peu importe ‘le style.

‘Tout est venu des Vieilles ‘Eglises ‘Saintes. Je me souviens – ‘des bons vieux temps à La Nouvelle Orléans – ma vile natale. J’étais un petit Garçon de ‘dix ans environ. Ma mère avait l’habitude de m’emmener à l’Eglise, et le Révérend (‘le Prêcheur’ en fait) ‘dirigeait’ de bon vieux Cantiques. Et en une fraction de seconde – toute la ‘Congrégation  "Hurlait – ‘Chantait ‘follement et c’était très ‘beau. ‘Moi, un ‘petit gamin qui "Aimait" ‘Tout et ‘tout le monde, je passais un ‘Moment Fantastique à l’Eglise, particulièrement lorsque les ‘Sœurs  entraient vraiment ‘en transe tandis que "Rev" (le prêcheur) était au ‘Milieu de son ‘Sermon. ‘Ah ! ces ‘Sœurs de l’Eglise se mettaient à Crier ‘Si fort – que leurs jupons en tombaient. Bien sur, ‘un des diacres accourrait pour les rattraper – et les ‘portaient à bout de ‘Bras et les éventaient jusqu’à ce qu’elles reprennent ‘leurs esprits.

Et puis il y avait les "Baptêmes – lorsque quelqu’un veut se convertir, rejoindre l’Eglise et recevoir le ‘sacrement. Il faut donc qu’ils soient ‘Baptisés. ‘Ecoute ça – Je me souviens d’un Dimanche où l’Eglise devait baptiser un ‘immense Type. Du coup les Diacres, vêtus de ‘Robes blanches, se ‘Tenaient tous dans la ‘Rivière – l’Eau jusqu’à la ceinture. Il venaient de ‘Baptiser ‘plusieurs ‘femmes et quelques ‘hommes – et avaient ‘sauvé leurs ‘Âmes. Puis, lors de la ‘Procession’ un ‘Grand, un ‘immense’, un robuste ‘Pêcheur’ s’avance vers eux. Alors – ‘les ‘Diacres, qui étaient eux-mêmes très forts, ont saisi ce Larron, et pendant qu’ils le plongeaient dans l’eau, lui demandèrent – "Frère ‘as-tu la ‘Foi ? " Le Type ne prononça ‘pas un mot – il se contentait de les regarder. Ils le ‘Plongèrent à nouveau dans l’eau de la ‘Rivière, cette fois-ci ‘quelques minutes de ‘Plus. Et lorsque les ‘Diacres regardèrent le type dans les yeux pour lui demander – "As-tu la ‘Foi ?" Le Type ‘répondit finalement –"Oui – Je crois que vous essayez de me ‘noyer, bande d’Enfoirés. "

P.S. Je suppose que tu dois me trouver ‘Dingue. ‘Non ‘Non. Je ‘raconte ces anecdotes simplement parce qu’elles ‘tournent toutes autour de la ‘Musique. D’ailleurs, Tout est Musique. "Tu ‘Captes ? Les ‘Marches Funèbres dans ma ‘Ville Natale, la ‘Nouvelle Orléans’. – c‘est pareil ! C’est pourquoi, ‘Gate" ‘Villec, on ‘jouait ces ‘Marches avec une ‘émotion qui venait du ‘cœur. ‘Tout au long du chemin menant au Cimetière – et bien entendu c’était des orchestres Brass Band.  On mettait un ‘mouchoir sous les ‘cymbales de la ‘Caisse-Claire pour étouffer le ‘Son pendant qu’on‘jouait "Flee as a bird" sur la route du Cimetière – Mais ‘dès que le ‘prêcheur disait "Ashes to ‘Ashes – ‘Dust to Dust" – on ‘retirait le mouchoir de La ''Caisse-Claire et Commençait un ‘roulement de tambour’ pour ‘rassembler tout le monde, y compris les membres du Club – ou de la Loge du ‘défunt. Puis on retournait au ‘quartier général en jouant "Didn’t He Ramble" ou  "When the Saints Go Marching In". TuVois ? Encore de la Musique.

[…]

‘Et bien, ‘Frè’re Villec, je ‘crois bien que je vais m’arrêter ‘là, et prendre un peu de repos. " Le ‘Jour commence à se ‘lever. JeViens de ‘finir le ‘Boulot. Je suis trop fatigué pour ‘garder les ‘yeux ouverts. Ah ! Ah ! Je te laisse avec ce petit message pour toi. "Ça donne ça’.

 


Passe le bonjour de ma part aux gars de ta compagnie. Et aux autres également. À présent, je vais faire ‘Comme le ‘Fermier fait à la ‘Patate – Je vais te ‘Planter, et te ‘Reprendre ‘plus tard. Je ‘Ferme boutique, maintenant. Ce fut un vrai  plaisir de t’écrire.

Satchmo

Louis Arsmtrong.





Texte : Louis Armstrong in his own words, Selected writings, Oxford University Press, 1999 ; Image : Wikipédia Commons )

 
 

 
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MessageSujet: Lettre d’Alfred de Musset à George Sand    Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Icon_minitimeSam 03 Mai 2014, 20:32

Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Alfre10
 
 
S’il t’importe peu de savoir si ton souvenir me reste ou non, il m’importe à moi aujourd’hui que ton spectre s’efface déjà et s’éloigne devant moi


Lettre d’Alfred de Musset à George Sand
 

Les deux enfants terribles du romantisme, Alfred de Musset et George Sand, connurent un amour orageux.  Après quelques mois heureux à Paris, où la magie amoureuse et intellectuelle les emporte aux septième ciel, les nuages noirs firent leur apparition. A Venise, Musset tombe malade, et George fait appel au Docteur Pagello, dont elle tombe amoureuse. Les scènes chaotiques se succèdent jusqu’à ce que George Sand quitte définitivement Musset pour s’installer à Nohant. Voici la dernière lettre de Musset, sublime lettre de rupture.
 
Adieu mon enfant. Je pense que tu resteras ici. — Quelle que soit ta haine ou ton indifférence pour moi, si le baiser d’adieu que je t’ai donné aujourd’hui est le dernier de ma vie, il faut que tu saches qu’au premier pas que j’ai fait dehors avec la pensée que je t’avais perdue pour toujours, j’ai senti que j’avais mérité de te perdre, et que rien n’est trop dur pour moi ; s’il t’importe peu de savoir si ton souvenir me reste ou non, il m’importe à moi aujourd’hui que ton spectre s’efface déjà et s’éloigne devant moi, de te dire que rien d’impur ne restera dans le sillon de ma vie où tu as passé, et que celui qui n’a pas su t’honorer quand il te possédait, peut encore y voir clair à travers ses larmes et t’honorer dans son cœur, où ton image ne mourra jamais — Adieu mon enfant—
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MessageSujet: Lettre de Maurice Béjart à un jeune danseur    Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Icon_minitimeDim 04 Mai 2014, 07:14

  
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Je ne pourrais croire qu’à un dieu qui saurait danser.


Lettre de Maurice Béjart à un jeune danseur
 

Maurice Béjart (1er janvier 1927-22 novembre 2007), l’un des plus grands chorégraphes français choisi le style néo-classique pour que les corps, déliés de la rigueur académique du ballet classique, prennent la mesure des innovations sonores qui les accompagnent, et se fondent dans une technique expressive « libre ». À l’image du Boléro de Ravel, un de ses plus grands chefs-d’œuvre, c’est une façon de penser et de sentir les corps que Maurice Béjart révolutionna intégralement. Directeur de compagnie, sa vocation pédagogique innerve  cette lettre, manuel à destination d’un jeune danseur, où Maurice Béjart exprime sa quête d’universalité et d’unicité de Dieu au travers la danse.  
 

Comprendre

Un grand immeuble comprend une centaine d’appartements, chaque appartement ne peut pas comprendre un immeuble.

Les humains veulent « comprendre » Dieu mais le GRAND reste incompréhensible pour le petit.

L’Amour seul permet au petit de s’élever pour de brefs moments au niveau de l’incompréhension qui cependant est si proche de nous.

Le prière chrétienne dit :   « Notre père qui êtes aux cieux. » J’aime mieux le Coran qui déclare : « Il est plus près de toi que ta veine jugulaire. » Il est là, il n’y a rien à comprendre, rien à posséder, rien à attendre et surtout pas d’une vie future. Saisir le présent, présent, présent… Surtout lorsque tu danses, totalement, il est là, le seul, l’unique, le multiple.

« Je ne pourrais croire qu’à un dieu qui saurait danser. »

UN

La religions dites polythéistes multiplient à l’infini les manifestations de la divinité, il y a le dieu du feu, le dieu du tonnerre, la déesse du printemps, le dieu du vin, celui de la lumière, etc. Toute classification, en effet, aide les professeurs et les ménagères à mettre ce qu’ils appellent de l’ordre dans ces forces qui les dépassent et où ils recherchent une divinité à l’échelle de l’homme qui, sûrement, n’existe pas, du moins de la manière dont nous, humains, pouvons la concevoir.

Il en est de même en danse où chaque jour des « spécialistes » trouvent une nouvelle terminologie pour définir telle ou telle forme de mouvement et créer du même coup une chapelle, une secte, une exclusion.

La danse est UNE et en mouvement. Toute découverte en entraîne une autre sans abolir le passé, qui n’est pas démodé mais, un pas franchi et non aboli, nécessaire à une évolution constante d’un art qui est celui de l’éphémère, du renouveau, du fragile, du profond puisqu’il est l’art de l’instant et que seul l’instant existe. Mais basé sur la connaissance intime de cet instrument qu’on n’a pas fini de découvrir, d’analyser : le corps humain ou l’esprit de manifeste.

Les classifications en danse ont créé une sorte de racisme et Dieu sait si le racisme, absurde théorie, empêche toujours une vision, évolution véritable.

Il n’est de grande période artistique que de métissage, entre un passé retrouvé et un nouvel horizon découvert entre un pays découvert et un passé réactualisé, entre des cultures et des techniques en apparence antagonistes mais en réalité complémentaires :

Naissance

Renaissance

Je suis contemporain, post-africain, pseudo-classique, minimo-japonisant, moderno-argentin, folklorico-rétro et indo-petipatiste…

Vive la Danse

 

Et maintenant, je dois t’avouer que je ne suis pas sûr d’être chorégraphe… je suis même certain de ne pas l’être car il m’est impossible d’imaginer le moindre mouvement de danse sans savoir qui va l’exécuter. C’est l’interprète qui, avec son corps, sa psychologie, sa puissance émotive vient susciter, exciter mon imagination et me lancer dans ce mouvement qui, contrairement aux apparences, vient de son génie et non de ma créativité.

Je ne sais ce que c’est qu’une « arabesque ». Je n’ai jamais vu d’arabesque (oui, je l’ai souvent répété) mais j’ai vu Mme X et M. Y exécuter cette forme que les danseurs nomment « arabesque ».

J’aime mes interprètes à la folie et, plus cet amour est profond, plus le résultat a de chance d’être une réussite. J’ai raté de nombreux ballets mais je ne crois pas avoir jamais raté une danseuse ou un danseur !

Toi… Sois « l’artisan furieux » que chante René Char.

Lutte, travaille et envole-toi !

Salve !

 

« Celui qui apprendra à voler aux hommes de l’avenir aura déplacé toutes les bornes ; pour lui, les bornes mêmes s’envoleront dans l’air, il baptisera de nouveau la terre, il l’appellera « la légère. » »

 

NIETZSCHE

 

 
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MessageSujet: Lettre d’Yves Klein au Président Eisenhower   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Icon_minitimeLun 05 Mai 2014, 14:26

 
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La révolution Bleue : Mouvement visant la transformation de la manière de penser et d’agir du peuple français 



Lettre d’Yves Klein au Président Eisenhower
 

Peintre de renommée mondiale, artiste extravagant, avant-gardiste, génial et exubérant, Yves Klein a marqué l’histoire de l’art moderne avec ses Monochromes et son bleu. La Révolution Bleue, qu’il entendait imposer au monde, ne se limite pas au monde de l’art mais vise la terre entière, comme en témoigne cette lettre ahurissante au Président des USA, Eisenhower.

 
Paris, le 20 mai 1958



Strictement Confidentiel

Ultra Secret

« La révolution Bleue » Mouvement visant la transformation de la manière de penser et d’agir du peuple français vis à vis de leur sens du devoir envers leur Nation et celles du monde entier.

Cher Président Eisenhower,

À cette époque où la France est déchirée par de douloureux évènements, mon parti m’a chargé de vous transmettre les propositions suivantes :

L’institution en France d’un Cabinet des citoyens français (temporairement établi exclusivement par des membres de notre parti pendant 3 ans), sous le contrôle politique et moral d’une Chambre des Représentants Internationale.   Cette chambre agira uniquement en tant qu’entité consultative conçue dans l’esprit de l’ONU, et sera composé de représentants de chacune des nations reconnues par les Nations-Unies.

L’assemblée nationale française serait ainsi remplacée par notre Organisation des Nations-Unies. La totalité du gouvernement français, agencé de la sorte sera soumis à l’autorité de l’ONU et de son siège à New York.

Cette solution nous semble être la plus à même de résoudre un grand nombre de contradictions regardant notre politique intérieure.

Par cette transformation de la structure gouvernementale, nous sommes certains, avec mon parti, d’établir un modèle pour le monde entier, équivalent à la Révolution Française de 1789, qui distilla l’idéal universel « Liberté – Egalité – Fraternité », si impératif par le passé et aujourd’hui toujours aussi vital. À ces trois vertus, ainsi qu’aux droits de l’Homme, il convient d’en ajouter un ultime impératif sociale : « le Devoir »

Nous espérons, Monsieur le Président, que vous considèrerez sérieusement ces propositions.

Dans l’attente de votre réponse, qui je l’espère sera prompte, je vous supplie de bien vouloir tenir confidentiel le contenu de cette lettre. Par ailleurs, je vous implore de bien vouloir me faire savoir, avant que je ne contacte officiellement l’ONU pour leur faire part de notre volonté d’agir, si nous pouvons compter sur votre assistance effective.

Je demeure, Monsieur le Président,

Votre dévoué,

Yves Klein

 
 
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MessageSujet: Lettre de Groucho Marx à Woody Allen   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Icon_minitimeLun 05 Mai 2014, 20:52


Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Groucho_Marx_-_portrait-800x600
 
 
 
Et pour l’amour de Dieu, cesse d’avoir de la réussite – ça me met hors de moi. 

Lettre de Groucho Marx à Woody Allen
 

Groucho Marx (2 octobre 1890 – 19 août 1977), père de la comédie burlesque et acteur fétiche d’Hollywood, se lie d’amitié avec Woody  Allen en 1961. Une longue correspondance  toutefois, fut interrompue brusquement pour les raisons hilarantes qu’il expose dans la présente lettre.

 

22 mars 1967

Cher WW, Goodie Ace a dit à quelques uns de mes amis au chômage que tu étais déçu ou ennuyé ou heureux ou ivre car je n’avais pas répondu à la lettre que tu m’avais écrite il y a quelques années. Tu sais fort bien qu’il n’y pas d’argent à gagner en répondant aux courriers – à moins qu’il ne s’agisse de lettres de crédits envoyées par la Suisse ou la mafia. Je t’écris à contrecœur, car je sais que tu fais une demi-douzaine de choses simultanément – cinq d’entre elles d’ordre sexuel. Je ne sais pas où tu trouves le temps de correspondre. Ta pièce, je pense, sera toujours à l’affiche lors de mon arrivée à New York, la première ou seconde semaine d’avril. Cela doit être terriblement embêtant pour les critiques qui, si je me souviens bien, prédisaient qu’elle ne serait pas prolongée car elle était trop drôle.

Puisqu’elle se joue encore, ils doivent être d’autant plus ennuyés. La même chose s’est produite pour la pièce de mon fils qu’il avait mise en scène en collaboration avec Bob Fisher. Morale de l’histoire : n’écris pas de comédie qui fasse rire le public. Ce problème des critiques est un sujet de discussion depuis que j’ai fait ma Bar Mitzvah, il y a quasiment 100 ans. Je n’ai jamais dit cela à personne, mais j’ai reçu deux présents lorsque je suis sorti de l’enfance pour me diriger vers ce que j’imagine aujourd’hui être la maturité. Un oncle, qui était à l’époque dans la finance, m’a offert une paire de longues chaussettes noires, et une tante, qui tentait de faire de moi quelqu’un, m’offrit une montre en argent. Trois jours après avoir reçu ces cadeaux, la montre s’est évaporée.

La cause de cette disparition était que mon frère Chico n’était pas un aussi bon joueur de billard qu’il n’aimait le croire. Il l’a mis au clou chez un prêteur sur gage au croisement de la 89 e rue et le Troisième Avenue. Un jour, alors que je vagabondais sans but précis, je la découvris à la fenêtre du magasin. 

Sans mes initiales gravées au dos, je ne l’aurais jamais reconnue, le soleil l’avait terni à tel point qu’elle était noire charbon. Les chaussettes, que j’ai gardé aux pieds une semaine entière sans jamais les laver, étaient à présent d’un vert bigarré.

Voilà l’intégralité de ma récompense pour 13 années de survie.

Voilà, en bref, la raison pour laquelle je ne t’ai pas écrit depuis un bout de temps. Je porte toujours les chaussettes – ce ne sont plus des chaussettes désormais, elles font partie intégrante de mes jambes. Tu m’écrivais que tu devais venir ici en Février, et dans une frénétique excitation, j’ai acheté tellement de charcuterie que, si je l’avais conservé en petites coupures plutôt qu’en petites tranches, cela aurait réglé mes contributions au Fonds Social Juif Unifié pour 1967 et 68. Je pense que je descendrais à l’hôtel St Régis à New York.

Et pour l’amour de Dieu, cesse d’avoir de la réussite – ça me met hors de moi.

 

Mes vœux à toi et ton ami minuscule, little Dickie. Groucho

 

 
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MessageSujet: Lettre d’Ernest Hemingway à Marlène Dietrich   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Icon_minitimeMer 07 Mai 2014, 12:18

Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Imagep10

J’espère que tu ne me tiens pas rigueur pour mon infidélité car fondamentalement je suis fidèle.


Lettre d’Ernest Hemingway à Marlène Dietrich 



Ernest Hemingway rencontre Marlène Dietrich en mer, sur un paquebot en 1934. Leur amitié connait alors les plus hautes vagues romantiques dans d’exaltants échanges épistolaires. Si l’écrivain et l’actrice ne consumeront jamais cette union des âmes, elle offre toutefois de merveilleux traits amoureux, comme en témoigne cette lettre de « Papa » Hemingway à celle qui fut son amie et sa muse.



 
 


1er Juillet 1930

Ma très chère Marlene : j’écris ceci tôt le matin, à l’heure à laquelle les pauvres, les soldats et les marins s’éveillent par habitude, pour t’envoyer cette petite lettre au cas où tu te sentirais seule.

Hier je suis mort avec mon Colonel pour la dernière fois et j’ai dis au revoir à la fille et ce fut pire que toute les autres fois. Mais les dernières pages d’épreuve sont à présent achevées. Je les ai rédigées en un jour et une nuit, et toute la journée d’hier.

Désormais je dois essayer de ne pas y penser et au diable tout le reste. Je te dis toujours tout, ainsi je dois te dire que dire au revoir à cette fille dans la vie réelle n’était pas ma vraie intention. Maintenant je ne sais pas si je la reverrais un jour. Mais si je la vois, et que je dois lui dire adieu, et je le ferais, ce ne sera pas amusant non plus. J’espère que tu ne me tiens pas rigueur pour mon infidélité car fondamentalement je suis fidèle. Il fut un temps, j’avais un plan et étais décidé à n’aimer qu’une seule personne. Ce plan s’appelait le Plan de Monogamie de Sept Ans. Il alla au diable lui aussi.

Aujourd’hui je n’ai plus de plans. Je devrais gagner un peu d’argent et je suppose que cela me satisfera. Et puis il y a cette guerre qui ne m’intéresse pas. Nous partons naviguer avec le Pilar pendant trois jours et je vais essayer de pêcher intelligemment et de tirer sur les cannettes de bières du mieux que je peux, rapidement et avec finesse.

Je pensais à toi hier nuit alors que je n’arrivais pas à m’endormir et je me disais combien les soucis des femmes sont pires que ceux des hommes. Les hommes en ont quelques uns également. Je suppose que la vraie mesure de nos soucis (Dr Hemingstein le Philosophe) est calculée par la capacité que l’on a d’aimer quoi que ce soit de bon cœur quand rien de bon ne peut en advenir.

J’ai aimé (réellement) cinq femmes, la République d’Espagne et la 4eme Division d’Infanterie. […] Je nous savais vaincus en Espagne quand nous perdîmes Irun en 36 et je me suis attardé pendant deux ans et demi avec mon cœur et mon cran et moins de 1000 pièces d’artilleries pour un front de 640 miles. Tu peux demander à ton vieux ce que cela représente. Les mortiers tous faits maisons.

J'aime Miss Martha, je crois, mais je ne pouvais plus la supporter et elle m’a menti, huit année durant, en me faisant croire qu’elle ne pouvait absolument pas avoir d’enfant. Et bien, je renoncerai aux femmes, sauf que je tombe gravement amoureux de toi et que tu es sans cesse éprise d’un quelconque imbécile. Je rencontre une fille fantastique comme Mary et elle blesse mon cœur à nouveau comme avec un 88. En ce moment, j’aime la 4ème Div. D’infanterie et 25.569 pertes sur une force qui en comprend entre 12 500 et 13 000. J’aime mon Chien Noir et il m’aime et il vieillit. J’aimais une adorable Persane grisonnante du nom de Princessa et elle est morte de vieillesse la semaine dernière.

Cette lettre est un ramassis de conneries, ou dois-je être poli, parler allemand, et dire de bêtises ? J’aime encore pratiquement tout bon sang et je t’aime toi à n’en plus douter, ma satanée héroïne. Mais ciel que je suis las et que je m’ennuie à mourir lorsque j’achève quelque chose. Je pense que le livre te plaira. J’ai vraiment beaucoup travaillé dessus. Si tu l’aimes ne serait-ce qu’au quart de l’admiration que j’ai eu pour toi dans  La Scandaleuse de Berlin, je serais ravi.

Je demanderai à Scribner de t’envoyer leur première impression.

Tu pourras le lire pendant ton vol au dessus de la Corée. Fais des acrobaties et divertis-les.

Je t’aime passionnément, Papa.
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MessageSujet: Lettre de Karl Marx à son père    Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Icon_minitimeMer 07 Mai 2014, 12:20

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« Quand j’ai été mieux, j’ai brûlé mes poèmes et mes débuts de romans, pensant à renoncer totalement, car, jusqu’à aujourd’hui, rien ne me permet de penser qu’il existe la moindre preuve de mon talent. »

Lettre de Karl Marx à son père
 

Penseur et acteur de la révolution, père du communisme, Marx domine le XIXème siècle de sa stature immense. Le chemin parcouru et l’empreinte laissée dans le monde sont longs depuis cette lettre qu’il adresse, jeune étudiant épris de philosophie, à son père. Naissance d’un génie!


Le 10 novembre 1837

Cher père,

Il y a des moments, dans la vie d’un homme, qui sont des postes- frontières marquant la fin d’une période et indiquant clairement une nouvelle direction. En de tels moments de transition, on se sent obligé de regarder le passé et l’avenir avec des yeux d’aigle pour être conscient de la réalité. En vérité, l’histoire du monde elle-même aime à regarder ainsi en arrière, à faire le bilan, ce qui donne parfois un sentiment de recul ou de stagnation, alors qu’il s’agit simplement de s’asseoir dans un fauteuil pour se comprendre soi- même et embrasser intellectuellement toute l’activité de son propre esprit. En de tels moments de mutation, chacun peut céder au lyrisme, car toute métamorphose est en partie comme un chant du cygne, en partie comme l’ouverture d’un ample et nouveau poème.

Chacun a alors le sentiment qu’il doit élever un mémorial à ce qu’il a vécu, de telle façon que l’expérience retrouve dans les émotions ce qui a été oublié de l’action. Il n’y a pas meilleur lieu pour élever un tel mémorial que le cœur d’un père, le plus indulgent, leplus empathique, dont le soleil de l’amour réchauffe toutes nos actions.

Et quel meilleur pardon espérer pour ce qui est blâmable que de tenter de le faire reconnaître comme la manifestation d’une nécessité ? Et comment faire au moins admettre que ce qui vient, pour l’essentiel, du hasard ou d’erreurs intellectuelles ne mérite pas d’être critiqué comme résultant de l’action volontaire d’un cœur perverti ?

A la fin d’une année passée ici, je regarde en arrière, mon cher père, et permettez-moi de regarder ma vie comme je regarde la vie en général, c’est-à-dire comme l’expression d’une activité intellectuelle se développant dans toutes les directions, en sciences, en arts et dans la sphère privée. Attristé par la maladie de Jenny et par mes vains efforts intellectuels pour échapper à l’idolâtrie qui m’animait pour une pensée que maintenant j’exècre, je suis tombé malade, comme je te l’ai déjà écrit, mon cher père.

Quand j’ai été mieux, j’ai brûlé mes poèmes et mes débuts de romans, pensant à renoncer totalement, car, jusqu’à aujourd’hui, rien ne me permet de penser qu’il existe la moindre preuve de mon talent. Et même mon séjour à Berlin, qui aurait dû me plaire infiniment, m’inciter à contempler la nature, m’a laissé indifférent car, finalement, aucune œuvre d’art n’est aussi belle que Jenny.

Mais mon cher, très cher père, ne serait-il pas possible d’en parler avec vous personnellement ? La santé de mon frère, de ma chère maman, votre propre maladie (que j’espère peu sérieuse), tout cela me fait désirer me précipiter vers vous, et cela en fait presque une nécessité.

Je serais déjà là si je n’avais douté de votre permission de me voir quitter Berlin. Croyez-moi, mon cher, cher père, je ne suis animé par aucune intention égoïste (même si ce serait une bénédiction pour moi de revoir Jenny) ; mais il est une pensée qui m’émeut et que je n’ai pas le droit d’exprimer. Et, bien qu’il soit difficile de l’admettre, comme me l’écrit ma chère Jenny, ces considérations sont sans valeur, comparées à l’accomplissement de devoirs sacrés. Je vous supplie, cher père, quoi que vous décidiez, de ne pas montrer cette page de ma lettre à ma mère : mon arrivée à l’improviste pourrait aider cette femme si magnifique à se rétablir, tout en espérant que s’éloigneront les nuages qui se sont assemblés sur la famille, et qu’il me sera donné de souffrir et de pleurer avec vous, peut-être aussi de vous donner des preuves de mon amour profond et démesuré que j’exprime en général si mal. Dans l’espoir que vous aussi, cher, très aimé père, vous preniez en compte l’état de trouble de mon esprit, et que vous recouvrirez vite votre santé en sorte que je puisse vous serrer dans mes bras et vous dire toutes mes pensées. Votre fils à jamais aimant.

PS : S’il vous plaît, cher père, excusez mon mauvais style et mon écriture illisible. Il est presque quatre heures du matin, la chandelle arrive à sa fin,

mes yeux sont fatigués, une excitation extrême a pris possession de moi et je ne saurai calmer ces spectres turbulents avant d’être avec vous, qui m’êtes si chers. S’il vous plaît, faites part de mes pensées à ma douce et merveilleuse Jenny. J’ai lu sa dernière lettre douze fois et j’y découvre chaque fois de nouvelles délices, y compris de style. C’est à mon avis la plus belle lettre jamais écrite pas une femme.

 
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MessageSujet: Carte postale de Salvador Dali à Picasso - Lettre de Katharine Hepburn à Spencer Tracy   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Icon_minitimeLun 12 Mai 2014, 11:52

Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré 451px-Salvador_Dali_NYWTS
 

[...] Je suis en train de peindre des véritables chefs-d’œuvre dans le genre ceux que l'on faisait aux époques de Raphael


Carte postale de Salvador Dali à Picasso 
 

En 1949, en pleine peinture d’oeuvres aussi lumineuses et originales que Leda Atomica, Dali remercie une fois de plus Picasso pour avoir ouvert le bal de l’art moderne. Hommage sublime d’un génie à un autre, empreint de fautes d’orthographe : Picasso acceptera-t-il de voir ces tableaux ?
 
[octobre 1949]

Très cher Picasso, Ge travaille
chaque matin depuis la leve du soleill
et je la satisfaction de pouvoir vous assure
que je suis entrain de peindre des
veritables chefd’euvre dans le genre de
ceux que l’on faisait aux epoques de Rafael
Merci, merci avec votre geni iberique
integral et categorique vous havais tue
Buguereau et aussi et surtout l’art moderne
tout entier ! maintenant on peut de
nouveau peindre originallement
Bon jour ! vous embrasse
et viendre vous montrai encore une fois mais tableux
vous serai fou de joie votre Salvador Dali.

 

Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré DSC_0221-1024x665










Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré State_of_the_Union_with_Tracey_and_Hepburn-640x600
 
 
Tu n’as jamais su entrer dans ta propre vie, mais tu pouvais devenir un autre.




Lettre de Katharine Hepburn à Spencer Tracy
 

Katharine Hepburn (12 mai 1907 – 29 juin 2003) incarne le grand Hollywood. Elle qui fût quatre fois récompensée par ses pairs par l’Oscar de la meilleure actrice, excella dans certains des plus grands classiques du cinéma américain (Les quatre filles du docteur March, Marie Stuart) et aux cotés des plus grand acteurs. La relation passionnée qu’elle entretint avec Spencer Tracy, son grand amour, fut d’une rare et profonde intimité. Bien des années après le décès de l’acteur, elle lui adresse cette lettre, ultime preuve de l’affection qu’elle lui vouait.
 
1991


Cher Spence,
Qui a jamais pensé que je t’écrirais une lettre ? Tu es mort le 10 juin 1967. Mon Dieu, Spence, cela fait maintenant vingt-quatre ans. C’est long. Es-tu enfin heureux ? Est-il doux ce repos que tu goûtes ? Répare-t-il vraiment toute l’agitation et le tourment de ta vie ? Tu sais, je ne t’ai jamais cru quand tu parlais de tes insomnies. Je me disais : Oh !… tu exagères, tu dors… si tu ne dormais pas, tu serais mort. D’épuisement. Rappelle-toi cette nuit où… je ne sais pas…, tu te sentais si mal. Alors je t’ai dit : va te coucher, va. Je vais m’étendre sur le sol à coté de toi et te parler pour t’endormir. Je vais parler, parler, parler et tu trouverais cela tellement ennuyeux que tu n’auras pas d’autre échappatoire que le sommeil.
Je l’ai fait, j’ai pris un gros coussin et Lobo le chien. Et je suis restée à te veilleur en caressant Lobo. Je te parlais de toi et du film que nous venions de terminer – Devine qui vient dîner – et de mon atelier, et de ton manteau de tweed neuf, et du jardin et de tous les sujets gentiment soporifiques – la cuisine, les commérages sans intérêt –, mais tu continuais de t’agiter dans tous les sens – à droite, à gauche – les oreillers trop bas – la couverture à tirer – et ainsi de suite. Pour finir – et je dis bien pour finir – tu t’es calmé. J’ai attendu quelques instants – et je suis sortie sur la pointe des pieds.
Tu me disais la vérité n’est-ce pas ? Tu avais vraiment des insomnies. À l’époque, je me demandais toujours… Pourquoi ? Je me le demande encore ; tu prenais des pilules. Très fortes. J’imagine que tu dirais que, sans elles, tu n’aurais jamais dormi. Pour toi, la vie n’était pas une chose facile n’est-ce pas ?
Quels étaient tes plaisirs ? Tu aimais le bateau, surtout par gros temps. Tu aimais le polo. Mais un jour Will Rogers est mort dans accident d’avion. Et tu n’as plus jamais joué au polo. Jamais. Le tennis, le golf, non, pas vraiment. Tu faisais quelques balles. Non sans talent. Je ne crois pas que tu aies jamais vraiment manié un club. La natation ? Tu n’aimais pas l’eau froide. La marche ? Non, ce n’était pas ton truc. Cela faisait partie des choses que l’on peut faire tout en pensant – à tout, à rien, à quoi, Spence ? À Quoi ? À une chose précise comme la surdité de Johnny ou le fait d’être catholique, et mauvais catholique ? Pas de réconfort, jamais. Je me souviens du père Ciklic te disant que tu te concentrais sur ce que la religion avait de négatif, jamais sur ce qu’elle offrait de positif.
Il devait s’agir d’une chose fondamentale et permanente.
Et le plus incroyable. Toi – le plus grand acteur de cinéma. Je le dis parce que je le crois et que j’ai entendu nombre de gens de la profession, et non des moindres, le dire aussi. De Laurence Olivier à Lee Strasberg en passant par David Lean. Annoncez ce que vous voulez. Toi, tu savais le faire. Tu savais le faire avec cette simplicité somptueuse et directe : tu savais, point final. Tu n’as jamais su entrer dans ta propre vie, mais tu pouvais devenir un autre. Un tueur – un prêtre – un pêcheur – un chroniqueur sportif – un juge – un journaliste. Et ce, instantanément.
Tu avais à peine besoin de travailler. Tu apprenais un texte en un rien de temps. Quel soulagement ! Être un autre, l’espace de quelque temps. Tu n’étais pas toi – tu étais en sécurité. Tu adorais rire, n’est-ce pas ? Tu savais rire de toi.
Mais il fallait retourner aux vicissitudes de la vie. Et zut, un petit verre – non – si – peut être. Puis, terminé la boisson. Là, tu étais très fort, Spence. Tu étais capable d’arrêter. Ce pour quoi je te respectais beaucoup. Peu commun.
À ce sujet, tu disais : on n’est pas en sécurité que deux mètres sous terre. Mais pourquoi les échappatoires ?
Pourquoi toujours cette fuite – ce besoin d’échapper à l’être remarquable que tu étais ?
Pourquoi, Spence ? Je voulais te demander. Savais-tu pourquoi ?
Pardon ? Je ne t’entends pas…
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MessageSujet: Lettre de suicide de Romain Gary   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Icon_minitimeMar 13 Mai 2014, 12:58

Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Romain-Gary-2-640x600
 
 
Les fervents du cœur brisé sont priés de s’adresser ailleurs.
Lettre de suicide de Romain Gary
 

Né il y a 100 ans, Romain Kacew, alias Romain Gary, a traversé le siècle d’un pas pressé. Résistant de la première heure, ce jeune lituanien deviendra l’un des grands écrivains populaires français. Grand voyageur, ambassadeur, légende vivante, il s’inventa une autre identité littéraire, sous le pseudonyme d’Emile Ajar, et deviendra ainsi le seul écrivain lauréat deux fois du Prix Goncourt. Son suicide fut accompagné de cette lettre d’adieu.
 
 
30 août 1979
Pour la presse. Jour J. Aucun rapport avec Jean Seberg. Les fervents du cœur brisé sont priés de s’adresser ailleurs.
On peut mettre cela évidemment sur le compte d’une dépression nerveuse. Mais alors il faut admettre que celle-ci dure depuis que j’ai l’âge d’homme et m’aura permis de mener à bien mon œuvre littéraire. Alors, pourquoi? Peut-être faut-il chercher la réponse dans le titre de mon ouvrage autobiographique, La nuit sera calme, et dans les derniers mots de mon dernier roman: "Car on ne saurait mieux dire".
Je me suis enfin exprimé entièrement.
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MessageSujet: Lettre de Groucho Marx à Woody Allen   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Icon_minitimeJeu 15 Mai 2014, 07:14

  
Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Groucho_Marx_-_portrait-800x600
 
 
 
Et pour l’amour de Dieu, cesse d’avoir de la réussite – ça me met hors de moi. 




Lettre de Groucho Marx à Woody Allen
 

Groucho Marx (2 octobre 1890 – 19 août 1977), père de la comédie burlesque et acteur fétiche d’Hollywood, se lie d’amitié avec Woody  Allen en 1961. Une longue correspondance  toutefois, fut interrompue brusquement pour les raisons hilarantes qu’il expose dans la présente lettre.

 

22 mars 1967

Cher WW, Goodie Ace a dit à quelques uns de mes amis au chômage que tu étais déçu ou ennuyé ou heureux ou ivre car je n’avais pas répondu à la lettre que tu m’avais écrite il y a quelques années. Tu sais fort bien qu’il n’y pas d’argent à gagner en répondant aux courriers – à moins qu’il ne s’agisse de lettres de crédits envoyées par la Suisse ou la mafia. Je t’écris à contrecœur, car je sais que tu fais une demi-douzaine de choses simultanément – cinq d’entre elles d’ordre sexuel. Je ne sais pas où tu trouves le temps de correspondre. Ta pièce, je pense, sera toujours à l’affiche lors de mon arrivée à New York, la première ou seconde semaine d’avril. Cela doit être terriblement embêtant pour les critiques qui, si je me souviens bien, prédisaient qu’elle ne serait pas prolongée car elle était trop drôle.

Puisqu’elle se joue encore, ils doivent être d’autant plus ennuyés. La même chose s’est produite pour la pièce de mon fils qu’il avait mise en scène en collaboration avec Bob Fisher. Morale de l’histoire : n’écris pas de comédie qui fasse rire le public. Ce problème des critiques est un sujet de discussion depuis que j’ai fait ma Bar Mitzvah, il y a quasiment 100 ans. Je n’ai jamais dit cela à personne, mais j’ai reçu deux présents lorsque je suis sorti de l’enfance pour me diriger vers ce que j’imagine aujourd’hui être la maturité. Un oncle, qui était à l’époque dans la finance, m’a offert une paire de longues chaussettes noires, et une tante, qui tentait de faire de moi quelqu’un, m’offrit une montre en argent. Trois jours après avoir reçu ces cadeaux, la montre s’est évaporée.

La cause de cette disparition était que mon frère Chico n’était pas un aussi bon joueur de billard qu’il n’aimait le croire. Il l’a mis au clou chez un prêteur sur gage au croisement de la 89e

Sans mes initiales gravées au dos, je ne l’aurais jamais reconnue, le soleil l’avait terni à tel point qu’elle était noire charbon. Les chaussettes, que j’ai gardé aux pieds une semaine entière sans jamais les laver, étaient à présent d’un vert bigarré.

Voilà l’intégralité de ma récompense pour 13 années de survie.

Voilà, en bref, la raison pour laquelle je ne t’ai pas écrit depuis un bout de temps. Je porte toujours les chaussettes – ce ne sont plus des chaussettes désormais, elles font partie intégrante de mes jambes. Tu m’écrivais que tu devais venir ici en Février, et dans une frénétique excitation, j’ai acheté tellement de charcuterie que, si je l’avais conservé en petites coupures plutôt qu’en petites tranches, cela aurait réglé mes contributions au Fonds Social Juif Unifié pour 1967 et 68. Je pense que je descendrais à l’hôtel St Régis à New York.

Et pour l’amour de Dieu, cesse d’avoir de la réussite – ça me met hors de moi.

 

Mes vœux à toi et ton ami minuscule, little Dickie. Groucho
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MessageSujet: Lettre de Grace Kelly à Alfred Hitchcock   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Icon_minitimeJeu 15 Mai 2014, 07:17

Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Grace_Kelly_MGM_photo-640x600
 

Malgré tout, j’espère que je resterai l’une de vos « vaches sacrées » 


Lettre de Grace Kelly à Alfred Hitchcock
 
En 1956, Grace Kelly renonce, par son mariage avec Rainier de Monaco, à sa carrière hollywoodienne, incompatible avec le statut d’épouse du roi monégasque. Six ans plus tard, pourtant, elle est tentée par un retour sous les projecteurs et  accepte le rôle que lui offre Hitchcock dans Pas de printemps pour Marnie. Un projet qu’elle finira par abandonner, à regrets, comme en témoigne cette lettre, émouvante de complicité et de tendresse, sonnant le glas d’une longue et belle amitié entre ces deux monstres sacrés du cinéma.

18 Juin 1962

Cher Hitch

Cela m’a brisé le cœur de devoir abandonner le film –  J’étais tellement enthousiaste à l’idée de le faire et particulièrement à l’idée de travailler de nouveau avec vous –

Lorsque nous nous reverrons, j’aimerais tout vous expliquer en personne,  ce qui n’est pas facile à faire avec une lettre ou à travers une tierce personne. Il est malheureux que cela ait du se passer de cette manière et j'en suis profondément désolée – Merci, cher Hitch, d’être si compréhensif et bienveillant à mon égard – Je déteste vous décevoir –  Je déteste également l'idée qu’il y ait probablement d’autres « bestiaux » capables d’interpréter ce rôle avec talent. Malgré tout, j’espère que je resterai l’une de vos « vaches sacrées » –

Avec ma profonde affection,

Grace.

Réponse d’Alfred Hitchcock à Grace Kelly.

26 juin 1962

Ma chère Grace,

C’était triste en effet. J’avais très hâte de m’amuser et de prendre plaisir à faire un film avec vous de nouveau.

Sans l’ombre d’un doute, je pense que vous avez pris, non seulement la meilleure décision, mais aussi la seule décision possible, de mettre le projet de côté pour le moment.

Après tout, ce n’était qu’un film. Alma se joint à moi pour vous envoyer nos plus sympathiques et nos plus affectueuses pensées.

P.S. J’ai ajouté une petite cassette, que j’ai faite spécialement pour Rainier. Je vous en prie, demandez lui de l’écouter en privé. Ce n’est pas pour toutes les oreilles.

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MessageSujet: Lettre de Charles Fourier sur les banquiers   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Icon_minitimeJeu 15 Mai 2014, 13:39

Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Hw-fourier
 
 
Quelle est l'idole qui s'offre à l'engouement du vulgaire ? C'est l'homme à argent. 


Lettre de Charles Fourier sur les banquiers
 

Père du socialisme utopiste, Charles Fourier (7 avril 1772 – 10 octobre 1837) élabora un système de philosophie politique et sociale visant l’harmonisation entre les classes. Dans ce but, il critiqua de façon acerbe  les banquiers. Une lettre brûlante d’actualité !
 
[Entre 1802 et 1804]




AU RÉDACTEUR DU « JOURNAL DE LYON »

Citoyen, les raisonnements donnent souvent quelque importance à des questions qui n'en paraissent souvent pas susceptibles : c'est ce que j'observe au sujet d'un article inséré́ dans votre Journal, sur le sens du mot Banquier.

Je ne m'arrête pas à discuter la rigide acception du mot ; j'examinerai plutôt les causes qui ont mis si promptement en crédit, un titre jadis si peu remarqué.

Tout favori de la fortune ambitionne quelque distinction. Il ne reste guère aujourd'hui que celles de Général, ou de membre des Autorités supérieures, et elles sont restreintes à un bien petit nombre d'individus. Les fonctions de moyen ordre, qui étaient anciennement considérées, telles que celles de Juge, d'Administrateur, sont entre les mains d'hommes plus estimables que riches, qui ne peuvent pas éblouir le peuple par le faste des anciens dignitaires ; et la versatilité́ qui a régné longtemps dans la délégation des emplois, a singulièrement affaibli encore le lustre dont brillaient les Fonctionnaires publics, aux yeux de la multitude.

Dans cet état de choses, quelle est l'idole qui s'offre à l'engouement du vulgaire ? C'est l'homme à argent. Appelez-le, comme il vous plaira, Banquier, Armateur, Négociant, etc. vous n'empêcherez pas l'homme riche de se décorer du titre le plus en vogue, lorsqu'il n'est pas légal, et que chacun peut se l'attribuer ; et puisque les Mondor qui traitent avec le Gouvernement, sont Banquiers ou soi-disant tels, tout possesseur d'un portefeuille veut être Banquier, et le sera en dépit de toutes les définitions. S'il est vrai qu'on peut (en style de comédie) faire pendre un homme avec quatre lignes de son écriture, on peut bien prouver qu'un Négociant est un Banquier. N'a-t-on pas vu anciennement plus d'un roturier prouver qu'il était comte ou marquis, et fabriquer des titres quand il n'en avait pas ?

On ne les lui contestait guère, pourvu qu'il traitât splendidement. Pourquoi donc contester un titre aussi vague, aussi équivoque, aussi banal que celui de Banquier ; un titre qu'on accorde aux croupiers d'un tripot ? pourquoi le contester, dis-je, à des gens qui ont raison en tout et partout, puisqu'ils ont en leur faveur des hôtels, des cuisiniers, et autres arguments  irrésistibles ? Soyons plutôt étonnés de ce qu'ils ont choisi ce nom entre tant d'autres, et disons avec Boileau :

Ô le plaisant projet d'un poète ignorant, Qui, de tant de héros, va choisir CHILDEBRAND

Tout ce qu'on peut observer au sujet de la prééminence qu'a obtenue le grade de Banquier, c'est que les fonctions les plus utiles ne sont pas les plus considérées. Il n'y a d'hommes essentiels dans les relations commerciales, que les manufacturiers et les armateurs. Toutes les autres classes de trafiquants, commissionnaires, Banquiers, grossiers ou détaillants, ne sont qu'accessoires et agents des deux classes que j'ai citées.

Sans parler du manufacturier, dont la profession est dédaignée parce qu'elle ne conduit pas rapidement à la fortune, je citerai l'armateur : celui-ci partage les périls de l'état, expose ses vaisseaux, ses capitaux, dans des établissements lointains et sujets à devenir la proie de l'ennemi. Plus l'état court de dangers, plus le sort des armateurs est étroitement lié au sien.

Au contraire, le Banquier n'étant attaché qu'à son portefeuille, pouvant, d'un jour à l'autre, échanger, réaliser et transporter sa fortune, il ne tient ni à l'état, ni aux individus. Si l'on classe les citoyens selon l'intérêt qu'ils doivent prendre au sort de la patrie, le Banquier sera peut-être le dernier de tous, leur opinion unanime peuvent bien servir de règle à des opinions divergentes. Cette question mériterait d'être traitée avec plus d'étendue.  Elle est, ce me semble, l'une des plus importantes dont votre Journal puisse provoquer la discussion pour le bien de cette ville à laquelle il est consacré.

FOUR ...
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MessageSujet: Lettre de Jean-Luc Godard aux « amis de l’Est »    Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Icon_minitimeJeu 15 Mai 2014, 13:43

Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Godard-deux-ou-trois-800x600


Dans le cinéma, il n'y a pas de milieu, il n'y a que des extrêmes ; il n'y a pas de règles, il n'y a que des exceptions. 




Lettre de Jean-Luc Godard aux « amis de l’Est »
 

Figure mythique du cinéma, auteur-réalisateur majeur comme il y en a peu, Jean-Luc Godard a révolutionné, dès les années 1950, notre manière de faire du cinéma et de concevoir les films. Critique pour Les Cahiers du Cinéma, avec  François Truffaut, Eric Rohmer, Jacques Rivette ou encore Claude Chabrol, il est l’une des figures de proue de La Nouvelle Vague et réalise de nombreux chefs-d’œuvre comme  Le Mépris, A Bout de Souffle et La Chinoise. Dans cette lettre à ses « amis de l’est », il revient sur la conception de son travail, et l’art de faire des films.
 
9 avril [?]

Chers amis de l'Est ; comme il m'aurait plus d'être avec vous ce soir pour parler de cinéma. Car, si le cinéma est en train de mourir, tué par ce que Roberto Rossellini appelle la culture industrielle, nous, de l'Ouest, nous ne sommes pas morts, et vous non plus j'espère. Oui, le cinéma est en train de mourir, à Hollywood, à Rome, à Londres, et ailleurs où on l'a déjà enterré avec de beaux et tristes discours. Mais vous et moi savons qu'il n'est pas encore tout à fait mort, qu'il respire encore faiblement. Où ? Dans notre cœur qui battra toujours pour lui à vingt quatre images secondes. Cette modeste flamme qui hier encore incendiait le monde à coups de stars et de millions, il ne tient plus qu'à nous qu'elle s'éteigne définitivement. Mais ni vous ni moi ne le permettront, car cette flamme n'est rien d'autre que notre vie elle-même. Nous représentons le cinéma parlant (et notre ambition doit être inversement proportionnelle à notre modestie) comme Griffith et Eisenstein ont un moment représenté le cinéma muet. Et je ne choisis pas par hasard de dire : cinéma parlant plutôt que cinéma. Car cinéma parlant veut dire : cinéma qui parle, et cinéma dont il faut parler. En ces heures de défaites et d'illusions qu'ils traversent, il [est] aussi important de faire des films que d'en parler. Voilà pourquoi, il m'aurait plu d'être avec vous ce soir, de soutenir le vaillant Henri Langlois dans son combat, bref : de parler de cinéma.

Souvent, des jeunes garçons viennent me voir. Ils veulent savoir comment faire pour devenir metteur en scène, quelle filière suivre pour entrer dans le "milieu". Eh bien ! justement, dans le cinéma, il n'y a pas de milieu, il n'y a que des extrêmes ; il n'y a pas de règles, il n'y a que des exceptions. A ces jeunes garçons qui me supplient de les engager comme assistant pour apprendre, je dis : il n'y a rien à apprendre, ou plutôt si, mais pas comme vous croyez. Un assistant, c'est un esclave. Donc, ne devenez pas des esclaves. Si vous voulez faire des films plus tard, faites-en donc tout de suite avec n'importe quoi, sur n'importe quel sujet, car tout ce qui est sur la terre et dans le ciel fait partie du royaume des hommes, et doit donc être filmé ! On vous propose un documentaire sur les fourmis, sur les casseroles, sur les locomotives, ne refusez pas en disant que vous avez envie de filmer de l'Iliade ou les Illusions Perdues ou je ne sais quels autres grands sujets. Au contraire, acceptez, et filmez les fourmis, les casseroles, les locomotives, avec tout votre cœur, toute votre intelligence, toute votre ambition. Pensez que vous êtes en train de faire le film plus important de l'histoire du cinéma. Votre technique est certainement inférieure à celle d'un Rembrandt ou d'un Shakespeare, mais votre passion doit être égale. J'ai toujours à l'esprit à ce propos cette phrase d'Ernst Lubitsch : « Commencez par filmer des montagnes, alors vous saurez filmer des hommes. » J'aurais voulu parler de tout ça avec vous, ce soir, pour vous remercier de votre invitation. Ce qui me console, de toutes façons, c'est de savoir qu'il y a toujours quelque part dans le monde, à n'importe quelle heure, quand ça s'arrête à Tokio [sic] ça recommence à New-York, à Moscou, à Paris, à Caracas ; il y a toujours, dis-je, un petit bruit monotone mais intransigeant dans sa monotonie, et ce bruit, c'est celui d'un projecteur en train de projeter un film. Notre devoir est que ce bruit ne s'arrête jamais.

J-L G.

J-L G.

Source : Documents, Jean-Luc Godard, Centre Pompidou, 2006

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MessageSujet: Lettre de Martin Scorsese à sa fille Francesca   Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Icon_minitimeJeu 15 Mai 2014, 13:44

Lettre de Sully Prudhomme à Henri Poincaré Martin-Scorsese-Wallpaper-1-800x600
 

Le futur sera lumineux 


Lettre de Martin Scorsese à sa fille Francesca
 

Martin Scorsese, réalisateur qui n’en finit pas de rencontrer le succès commercial, comme le prouve la sortie de son dernier film Le loup de Wall Street, est  également un cinéaste engagé, un artiste réfléchissant sur son métier. Entre les nouvelles technologies et la révolution digitale, les contraintes économiques de Hollywood et l’ambition artistique, il formule dans cette lettre un vœu salutaire, à l’encontre du pessimisme qui entoure le 7ème art : de beaux jours nous attendent !
 
2 janvier 2014


Ma très chère Francesca,

Je t’adresse cette lettre au sujet de l’avenir. Je l’observe à travers la lentille de mon univers. A travers l’objectif du cinéma, qui a été au centre de cet univers.

Depuis quelques années, j’ai réalisé que la notion du cinéma avec laquelle j’ai grandi, qui se trouve dans les films que je t’ai fait découvrir depuis que tu es enfant, et qui prospérait lorsque j’ai commencé à faire des films, arrive à son terme. Je ne parle pas des films qui ont déjà été produits. Je parle de ceux qui vont l’être dans le futur.

Je ne souhaite pas être désespérant. Je n’écris pas ces mots par esprit de défaite. Bien au contraire, je pense que le futur est lumineux.

Nous avons toujours été conscients que le cinéma était un business, et que cet art était rendu possible parce qu’il coïncidait avec des considérations économiques. Aucun d’entre nous, parmi ceux qui débutèrent dans les années 60 et 70, n’avait d’illusion à ce sujet. Nous savions que nous devrions travailler dur pour protéger ce que nous aimions. Nous savions également que nous pourrions connaître des jours plus compliqués. Et je suppose que nous réalisions, dans une certaine mesure, que nous allions devoir faire face à une époque où tout élément, inconvenant ou imprévisible dans le processus de la production cinématographique, serait réduit voire même éliminé. Le plus imprévisible élément qui soit ? Le cinéma. Et les gens qui le font.

Je ne veux pas répéter ce qui a été dit et écrit par tant d’autres avant moi sur tous les changements dans l’industrie, et je suis touché par les exceptions à la tendance globale dans le cinéma – Wes Anderon, Richard Linklater, David Fincher, Alexander Payne, les Frères Coen, James Gray et Paul Thomas Anderson qui parviennent tous à faire des films. Paul a non seulement tourné The Master en 70 mm, il est même parvenu à le diffuser ainsi dans quelques villes. Quiconque s’intéresse au cinéma devrait être reconnaissant.

Et je suis aussi sensible aux artistes qui persistent à réaliser leurs films partout dans le monde, en France, en Corée du Sud, en Angleterre, au Japon, en Afrique. Cela devient de plus en plus dur, mais ils persévèrent dans leur art.

Mais je ne crois pas être pessimiste quand je dis que le cinéma en tant qu’art et l’industrie cinématographique arrivent à un carrefour. Le divertissement audiovisuel et ce que l’on appelle cinéma – des images émouvantes conçues par des individus – semblent prendre des directions inverses. À l’avenir, tu verras certainement de moins en moins ce que nous nommions comme cinéma sur des écrans multiplex : ces films seront de plus en plus dans des plus petites salles, en ligne, et, j’imagine, dans des lieux et des circonstances que je ne peux anticiper.

Alors pourquoi l’avenir est-il si lumineux ? Car pour la première fois dans l’histoire de ce genre artistique, des films peuvent être faits avec très peu d’argent. C’était impensable à mon époque, et les films à très petit budget ont toujours plus été une exception qu’une règle. Désormais, c’est le contraire. On peut obtenir de belles images avec des caméras aux prix abordables. On peut enregistrer des sons. On peut monter, mixer et étalonner chez soi. Tout cela a fini par arriver.

Mais avec toute l’attention prêtée à la machinerie de la production de films et aux avancées technologiques qui ont permis cette révolution dans l’industrie, il y a une chose qu’il est important de rappeler : ce ne sont pas les outils qui font le film, c’est l’individu. C’est libérateur de prendre une caméra et de commencer à filmer pour ensuite monter cela grâce à Final Cut Pro. Faire un film – celui que tu as besoin de faire – est une autre affaire. Il n’y a pas de raccourcis.

Si John Cassavetes, mon ami et mon mentor, était vivant aujourd’hui, il se servirait probablement de tous les équipements disponibles. Mais il continuerait à dire les mêmes choses qu’il a toujours dit – il faut se consacrer absolument à l’œuvre, il faut s’y donner entièrement et sauvegarder l’étincelle du lien qui vous a conduit vers le cinéma. Vous devez la protéger avec votre vie. Auparavant, parce que faire des films coûtait si cher, nous devions la protéger de l’extinction et de la compromission. À l’avenir, il faudra vous préserver contre quelque chose d’autre : la tentation de suivre la tendance, qui amène vos films à dériver et flotter vers l’horizon.

Ce n’est pas seulement une question de cinéma. Il n’y a de raccourcis à rien. Je ne dis pas que tout doit être difficile. Je dis que la voix qui t’anime est la tienne – c’est la lueur interne, comme le disent les Quakers.

C’est toi. C’est la vérité.

Avec tout mon amour, Papa

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